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Les perspectives des marchés gaziers brouillées, les pays exportateurs embarrassés
La production américaine de gaz non conventionnels a chamboulé la carte mondiale
Publié dans La Tribune le 12 - 04 - 2010

A la différence du pétrole, on ne peut pas à proprement parler de marché mondial lorsqu'on évoque l'avenir du gaz naturel. Il s'agit plutôt de marchés régionaux, de celui de l'Amérique du Nord à celui de l'Asie en passant par l'Europe, qui déterminent l'avenir du gaz naturel. Ces trois principaux marchés du gaz sont en plein bouleversement. Si, dans un passé récent, ces marchés étaient assez prévisibles, aujourd'hui, ils sont totalement incertains, brouillant les perspectives à moyen et long terme. En effet, en quelques années seulement, la carte gazière s'est complètement transformée. Dans un premier temps, le développement du gaz naturel liquéfié (GNL) a ouvert un marché mondial, en parallèle avec les marchés traditionnels régionaux et a permis le développement de marchés spots aux côtés des contrats de long terme. Aujourd'hui, le développement des gaz non conventionnels aux États-Unis perturbe le marché en créant une bulle gazière. Une étude récente (Oil Daily du 19 juin 2009), estime le potentiel de gaz naturel à 51 408 milliards de m3. Cela représente environ plus de 40% d'augmentation durant les 2 dernières années pour ce pays. En ajoutant les estimations du Department Of Energy (DOE), de l'ordre de 6 664 milliards de m3 de réserves prouvées, on aura un total des ressources en gaz pour les Etats-Unis de 58 072 milliards de m3. L'Amérique du Nord qui est le plus grand marché de gaz naturel au monde, avec 30% de la consommation mondiale, va devenir, selon certains analystes, autosuffisante en gaz, et même peut-être exportatrice. D'ailleurs en 2009 et en l'espace d'une année, les Etats-Unis sont devenus le premier producteur de gaz dans le monde, déclassant la Russie qui se retrouve en 2ème position. Selon les estimations de l'AIE, les Etats-Unis ont produit en 2009 624 milliards de mètres cubes (soit + 3,7%) sur un an et la Russie 582 milliards de mètres cubes (-12%). Ainsi, la réduction importante des besoins d'importation des Etats-Unis, ainsi que le développement du GNL en Asie (notamment en Australie) et au Moyen-Orient vont assurément conduire à moins d'interactions entre les 3 grands marchés régionaux (Amérique du Nord, Europe, Asie-Pacifique). La production de gaz non conventionnel est devenue une proportion très importante de la production américaine totale de gaz et a été la cause d'une forte baisse du prix du gaz dans le pays, elle a affecté de ce fait la rentabilité des méga-projets du golfe Persique et de leurs usines de liquéfaction très coûteuses. Aussi, les inquiétudes à propos de la menace que représentent les gaz non conventionnels ne cesse de grandir chez les grands producteurs de gaz naturel. L'Algérie et la Russie affichent certaines appréhensions. C'est dans ce contexte justement que le géant russe Gazprom s'est dit inquiet de perdre des marchés à cause de la hausse inattendue de la production gazière aux Etats-Unis, favorisée par de nouvelles techniques d'extraction. De même que le ministre de l'Energie et des Mines, M. Chakib Khelil, a affirmé que les contrats d'exportation de gaz naturel à long terme des pays producteurs «sont confrontés à une réelle menace» et que le Forum des pays exportateurs de gaz (FPEG) devrait réagir aux mutations du marché gazier mondial. Actuellement, l'offre dépasse la demande et les prix du gaz dans les marchés des contrats spots et à terme ont reculé à de faibles niveaux, et une menace réelle existe pour les contrats d'exportation de gaz à long terme. Il convient de signaler que le gaz non conventionnel a assuré 12 % des volumes produits dans le monde l'an dernier. En 2030, le gaz non conventionnel devrait représenter près de 60% de la production américaine. Ce qui mettra en sérieuse difficulté le marché spot de GNL qui a commencé, l'année dernière déjà, à enregistrer une baisse importante des prix en raison de la hausse inattendue de la production gazière aux Etats-Unis. En un mot donc, la nouvelle donne américaine a chamboulé toutes les cartes des pays exportateurs de gaz. Tout porte à croire que la nouvelle technique utilisée par les Etats-Unis va avoir un effet boule de neige puisque la question du gaz non conventionnel a été abordée en Europe, pour la 1re fois en automne 2008 dans le cadre d'une conférence tenue à Berlin. Cette conférence a donné naissance au programme européen GASH (Gas Shales in Europa). Il a pour mission de rechercher systématiquement les gisements européens de gaz de schiste, d'étudier le potentiel, et d'élaborer sur une base scientifique une production ultérieure de ce gaz naturel. Il existe en Europe des couches de schiste argileux susceptibles de contenir du gaz naturel.De telles couches sont présentes en Suède, Allemagne, France, Angleterre, Pologne, Turquie, Ukraine et Roumanie. Les estimations vont jusqu'à 14 000 milliards de mètres cubes de réserves de gaz naturel. Depuis 2008, des majors sont déjà présentes dans
l'exploration en Europe : Exxon Mobil et Royal Dutch Shell ont acquis des licences d'exploration-production en Suède, Pologne, Allemagne, France et Autriche. Conoco-Phillips est présente depuis peu en Pologne, ainsi que Chevron, Exxon en Allemagne et en Hongrie, et Statoil en partenariat avec Chesapeak en Ukraine, Pologne et Roumanie. Statoil et Chesapeak ont signé, début 2010, un accord d'exploration des shale gas valable dans le monde entier. Une étude réalisée par Advanced Resources International (ARI) avance que la Pologne seule pourrait détenir des réserves de l'ordre de 3 000 milliards de mètres cubes, soit l'équivalent de 200 ans de sa propre consommation ou 6 ans de consommation de l'Europe des 27. La Chine s'est fixé comme objectif de produire 30 milliards de mètres cubes par an de gaz non conventionnel, soit l'équivalent de la moitié de la demande de 2008. Plusieurs compagnies étrangères sont déjà présentes dans ce pays. Il y a eu d'ailleurs, en novembre 2009, la création du «US-China Shale Gas Resource Initiative» : la technologie américaine contre l'échange d'opportunités d'investissement. Selon l'AIE, la Chine et l'Inde pourraient receler d'immenses réserves de gaz non conventionnels. Avec toutes ces données, il paraît difficile de faire des pronostics sur l'avenir du marché mondial du gaz. Face à cette incertitude, l'Algérie, quatrième pays producteur du gaz naturel, va se pencher, au 10ème Forum des pays exportateurs de gaz qui se tiendra en fin de semaine à Oran, sur l'impact des gaz non conventionnels sur le marché. Une étude initiée par l'Algérie sera présentée et débattue lors de cette rencontre pour trouver une solution à la nouvelle donne que représentent les gaz non conventionnels.
Il est attendu que les 11 pays membres du Forum (l'Algérie -qui en assure la présidence- la Bolivie, l'Égypte, la Guinée équatoriale, l'Iran, la Libye, le Nigeria, le Qatar, la Russie, le Venezuela et Trinité&Tobago), ainsi que 3 pays observateurs (la Norvège, le Kazakhstan et les Pays-Bas) prennent la décision importante de baisser l'offre de gaz, afin d'ajuster l'offre et la demande pour obtenir un prix juste. Face aux nouvelles mutations gazières qui se dessinent à l'horizon 2015/2020, quelles sont la possibilité et la faisabilité qu'une telle décision soit prise ? Les pays exportateurs pourront-ils honorer leurs contrats à long terme, déjà signés en baissant la production ? Il est attendu la généralisation des nouvelles technologies pour l'extraction du gaz non conventionnel. La forte offre ne va-t-elle pas affaiblir la position des pays exportateurs qui, même en baissant leur production, risquent de n'avoir aucun impact ?
H. Y.


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