De notre envoyé à Khenchela Abdelkrim Ghezali Il a plu la veille à Khenchela et les traces de la bénédiction du ciel sont toujours visibles dans les rues défoncées. La boue jonche des quartiers entiers et certains avaloirs bouchés crée des mares auxquelles les piétons se sont habitués. Rien ne différencie Khenchela d'une autre ville d'Algérie. Toutes les villes se ressemblent comme si elles avaient été clonées à partir d'un modèle unique. Des cités- dortoirs ceinturent la ville, de vieux quartiers en ruine, et çà et là, des quartiers résidentiels abritent les notables et les riches. Comme dans toutes les villes grandes et moyennes, la circulation est infernale dans des rues et ruelles envahies par les marchandises de toutes sortes transformant Khenchela, à l'instar de toutes les villes du pays, en un immense marché permanent, sans foi, ni loi, ni règle d'hygiène. La population s'est aussi habituée à cet état de fait et ne semble guère gênée par sa dépossession des trottoirs. Les piétons et les véhicules se disputent la chaussée le plus naturellement du monde. Le béton à l'assaut des terres Pourtant, Khenchela s'est développée dans l'espace. Ses terres agricoles l'entourant jadis étaient des champs de blé et d'orge. Le béton a poussé comme une malédiction qui s'est abattue sur toutes les agglomérations, rongeant sa glèbe, ses oueds, ses forêts et même son patrimoine historique. Le développement anarchique de l'urbanisme n'a pas seulement détruit les terres arables mais aussi la personnalité de la ville, ses repères, et son charme. Pourtant, la frénésie du béton et l'expansion de la ville n'ont pas réglé le problème du logement qui continue à nourrir la colère et les réactions violentes des laissés-pour-compte de cette anarchie urbanistique caractéristique de toutes les villes. Plus de 120 000 âmes vivent à Khenchela-ville. Les jeunes constituent la majorité de la population et leur rage de vivre se meurt à petit feu tant l'ennui et l'oisiveté sont servis à satiété. Seuls les cybercafés, la drogue et la drague consolent cette population juvénile dont beaucoup scrutent les horizons et attendent le moment opportun pour se jeter en mer. Rien ne les retient. Le chômage endémique, conjugué à l'absence d'activités culturelles, ludiques et sportives de proximité ronge ces âmes perdues et voile toutes les perspectives. La violence est devenue le credo de jeunes en mal d'expression et d'extériorisation. La maison de la culture de Khenchela est le seul espace qui attire fans, curieux et oisifs. Selon le directeur de la culture de la wilaya, près de 620 associations sont enregistrées à travers les daïras et communes de Khenchela. Seulement 25% d'entre elles activent plus ou moins. La raison en serait le manque d'espace devant abriter ce potentiel. Selon les jeunes qui tentent de se libérer de ce marasme et de faire fleurir des espaces d'expression culturelle libre qui répondent aux besoins et au profil d'une jeunesse incomprise, une chape de plomb pèse sur eux en plus des entraves administratives et du poids des traditions. La culture étouffée par l'administration En d'autres termes, le conservatisme et la culture officielle étouffent la jeunesse et l'empêchent de s'exprimer librement. A ce propos, Khenchela n'est pas une exception. Partout, l'administration veut régenter la culture et son expression, étouffant ainsi une jeunesse qui recèle un potentiel et un génie créateur insoupçonnés. Les universités et les centres universitaires qui se sont développés à l'intérieur du pays sont restés en marge des populations, évoluant en vase clos loin des attentes sociales et des besoins notamment des jeunes dont beaucoup auraient aimé être encadrés par les enseignants et les étudiants pour promouvoir des activités extra-universitaires en direction du large public. Rien n'est fait dans ce sens. Certes, le centre universitaire de Khenchela organise périodiquement des colloques, des séminaires scientifiques, historiques, littéraires… mais qui restent destinés à un public spécialisé. Ces actions sont utiles mais ne créent pas de dynamique dans les villes de l'intérieur du pays. Pourtant, le centre universitaire de Khenchela, à l'image de tous les centres universitaires, a attiré des enseignants de valeur venus de Constantine, de Batna et même d'Alger pour s'établir définitivement dans la ville ou pour y passer au moins trois jours par semaine. Des potentialités mal exploitées Ce flux d'intellectuels aurait pu être exploité pour initier une vie intellectuelle, culturelle, artistique et scientifique à travers des clubs qui établiraient de véritables ponts entre l'université et les populations autochtones. Il ne suffit pas d'avoir une culture riche et une histoire foisonnant de jalons, de repères et d'épopée. Tout ce patrimoine a besoin d'être exhumé, théorisé et revisité. Cet effort, souvent volontariste et empirique, a besoin de méthodologie et d'orientation que ne peuvent fournir que les universitaires. Pendant les années soixante-dix et quatre-vingt, les universités d'Alger, de Constantine, d'Oran, de Tizi Ouzou et d'Annaba constituaient de véritable pôles de rayonnement intellectuel, scientifique et culturel et avaient des liens avec les milieux associatifs qui étaient les confluents entre l'intelligentsia et les populations. Au-delà des activités proprement universitaires, enseignants et étudiants animaient des cercles et des clubs ouverts dans des quartiers populaires, permettant ainsi aux jeunes femmes et hommes d'exprimer leurs talents.