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Le charlatanisme à l'ombre de la crédulité et du désespoir
Oran
Publié dans La Tribune le 22 - 05 - 2010

De notre correspondant à Oran
Samir Ould Ali
à entendre parler les gens de la rue, personne n'a échappé à la tentation d'aller solliciter une voyante, un taleb ou un raki pour tenter de se faire prédire son avenir, soigner une maladie ou se débarrasser d'un mal quelconque. Certains n'hésitant pas à parcourir des centaines de kilomètres pour se rendre chez une guezzana ou un chouef dont la réputation a dépassé les limites de sa wilaya. Et les exemples foisonnent : du cancéreux éreinté par les séances de chimiothérapie qui recherche un moyen de guérison plus rapide à la mère qui désespère de voir sa fille âgée de trente ans mariée un jour, en passant par le politicien inquiet de son avenir, le jeune diplômé à la recherche d'un travail, le commerçant voulant booster son activité et gagner plus d'argent…, le charlatanisme se nourrit de toutes les misères, de toutes les fragilités. Et, on le voit, la richesse et l'instruction ne préservent pas de la crédulité même si beaucoup (on le comprend) ne reconnaissent pas ouvertement avoir recours aux voyants : «Quand la science est impuissante à expliquer ou guérir un mal, il n'y a rien de mal à recourir à l'occulte, se défend un jeune homme dont la sœur souffre de graves troubles musculaires qu'aucun médecin n'a pu identifier. Nous avons frappé à toutes les portes, consulté tous les spécialistes mais aucun n'a pu déterminer la maladie de ma sœur. C'est pour cela que nous avons sollicité les tolbas mais cela n'a malheureusement rien donné.» L'homme reconnaît l'inanité du recours à la thérapie parallèle mais affirme que cela fait partie de la quête du remède : «Lorsqu'un être cher est malade, tu fais tout pour le guérir ou alléger sa souffrance. C'est ce que nous avons tenté de faire.»
La recherche légitime du bonheur dans un pays où les raisons d'être heureux sont rares, constitue pour beaucoup de charlatans un filon en or qu'ils n'hésitent pas à exploiter en embauchant même des rabatteurs qui se chargent de leur faire de la publicité. Et cela se voit généralement dans le milieu des femmes où, sous couvert d'altruisme, des rabatteuses exploitent le désarroi et la fragilité des victimes pour les orienter vers le grand chouef ou la grande guezzana. «Ma nièce n'était pas mariée mais quelques semaines après qu'il l'a vue, elle a eu trois prétendants […] Grâce à lui, je me suis débarrassée d'une migraine effroyable […] Va la voir et ton mari ne regardera jamais une autre que toi», sont quelques-uns des multiples arguments que ces propagandistes s'ingénient à présenter pour vaincre un possible scepticisme. Et, en général, cela fonctionne et la victime se fait ainsi dépouiller d'une partie de son argent sans pouvoir, par crainte de la raillerie ou du reproche, s'en plaindre.De temps en temps, cependant, la police met fin aux activités de l'un ou l'autre de ces charlatans qui opèrent presque au grand jour. Il y a quelques jours à peine, l'un de ces escrocs, âgé de 77 ans, a été arrêté à Belgaïd, dans la daïra de Bir El Djir. Selon les habitants de ce hameau, le septuagénaire exerçait depuis des années et s'était forgé une nombreuse clientèle composée de femmes : «C'est à l'école que revient la charge d'éduquer nos enfants et de leur inculquer le rationalisme, estime cette mère de famille. Lorsque même les enseignants parlent des vertus de la rokia avant d'évoquer ceux de la science, que reste-t-il ?» Et le mot est lâché : l'école. Tant que l'institution sera l'otage des conflits, elle ne pourra pas éclairer les esprits, les charlatans pourront activer à leur aise et nul ne pourra contester l'influence qu'ils ont sur la société.


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