Synthèse de Hassan Gherab La nappe de pétrole qui contamine le golfe du Mexique a atteint le delta du Mississippi, et notamment Pass-a-Loutre, où elle se répand dans les bayous et les marécages. Depuis l'explosion de la plate-forme pétrolière Deepwater Horizon le 22 avril dernier, ce sont entre 60 000 et 94 000 tonnes de pétrole qui s'y sont déversées, et aucune des tentatives de BP pour colmater la brèche et maîtriser la fuite de pétrole n'a fonctionné jusque-là. Désarmé devant cette catastrophe écologique, Angelina Freeman, une scientifique venue observer les dégâts de la marée noire dans le delta du Mississippi ne pouvait que se désoler en faisant le constat : «Tout est presque mort.» Le pétrole brut qui se répand sur les roseaux des marécages «est très noir. Il a un peu la substance sirupeuse du chocolat. Il est très épais», explique-t-elle. Lorsque le pétrole se répand dans les marécages, il asphyxie et empoisonne des trésors de biodiversité. «C'est ici que les poissons élèvent leurs petits, que les oiseaux nidifient. [Ces marais] protègent les terres en amont des dégâts des tempêtes, filtrent l'eau en ralentissant le courant et en facilitant le dépôt de sédiments», explique Mme Freeman. De son côté, le consul général de France à La Nouvelle-Orléans, Olivier Brochenin, qui s'est rendu sur place pour constater l'ampleur des dégâts, évoque dans France Soir, un véritable «massacre», indiquant que «plus de 20% des zones de pêche sont déjà interdites à la récolte dans le golfe américain». La crainte de voir disparaître ce milieu naturel exceptionnel est réelle. Elle est d'autant plus grande que la saison des ouragans s'annonce particulièrement violente. Des tempêtes pourraient emporter le pétrole plus en amont du Mississippi, dans des marécages pour l'instant épargnés par la marée noire. Cette crainte est clairement exprimée par des météorologues qui se disent inquiets des conséquences possibles que pourrait avoir la présence de pétrole dans les eaux océaniques, si ces dernières donnaient naissance à une ou plusieurs tempêtes d'envergure. Le golfe du Mexique est une véritable autoroute pour les ouragans, qui se forment au-dessus des eaux chaudes avant de se diriger vers le nord ou l'est, gagnant parfois les côtes avec des conséquences plus ou moins désastreuses. Car le geyser de pétrole jaillissant dans l'ancien emplacement de la plate-forme Deepwater Horizon communique avec un réservoir de millions de litres de pétrole situé sous le plancher océanique et se trouve en plein sur le chemin déjà emprunté par plusieurs des pires tempêtes jamais enregistrées aux États-Unis, comme l'ouragan Camille qui frappa le Mississippi en 1969 ou, plus récemment, l'ouragan Katrina qui endeuilla La Nouvelle-Orléans en 2005. La saison des ouragans commence le 1er juin, et les météorologues craignent qu'un ouragan transforme les millions de litres de pétrole mélangés à l'eau de mer en une désastreuse «tempête noire». Des vents violents et de larges vagues porteraient alors les nappes de pétrole plus profondément à l'intérieur des terres, dans les estuaires et les zones humides, tout en recouvrant des dizaines de kilomètres carrés de débris en tous genres, recouverts d'une couche gluante de pétrole brut. Et le scénario catastrophe ne s'arrête pas là. Les pires effets d'une telle tempête pourraient ne pas se faire sentir tout de suite. Si le pétrole est poussé vers les marécages, des villes comme La Nouvelle-Orléans pourraient à l'avenir se retrouver beaucoup plus exposées aux tornades. Car les étendues marécageuses de la région ne joueront plus leur rôle de ralentisseur naturel. Or, personne ne peut actuellement prédire quelle quantité de pétrole gagnera ces terres, et surtout si la végétation supportera la présence de cette matière toxique. Le météorologue Joe Bastardi met toutefois un bémol. «Un ouragan pourrait faire du bon boulot, en diluant le pétrole et en le dispersant, réduisant sa présence à des concentrations beaucoup moins dommageables que celles rencontrées actuellement», dira-t-il. Mais l'assertion ne convainc pas. L'incertitude sur les capacités de la flore des marais de Louisiane à se reconstituer après cette catastrophe est toujours là. «Je ne pense pas que quiconque soit capable de prédire exactement ce qui va se passer. Cela dépend de la quantité de pétrole», explique David White, professeur de biologie à l'université Loyola de La Nouvelle-Orléans. Les experts prévoient en tout cas une saison 2010 très active du point de vue des ouragans, avec 8 à 14 cyclones majeurs selon les autorités américaines. Un ouragan de la même ampleur que Katrina aurait des conséquences désastreuses «étouffant la végétation, engluant oiseaux et autres animaux, avec des dépôts de pétrole quasi impossibles à nettoyer», s'inquiète Doug Inkley, un scientifique travaillant au sein de la National Wildlife Federation. Mais quel que soit le scénario, personne ne peut jurer de rien pour l'instant. Car, les tempêtes comme toutes les manifestations météorologiques demeurent imprévisibles et Dame Nature a tellement de cordes à son arc. Il faut espérer qu'elle en fera bon usage.