Masimba Kuchera est aveugle de naissance mais, à force de détermination et d'efforts, il a pu poursuivre ses études jusqu'à l'université et devenir un spécialiste de l'information. Il travaille désormais pour le Students' Solidarity Trust, une ONG qui milite en faveur de la protection des droits des étudiants. Bien qu'il éprouve le sentiment d'avoir réussi, M. Kuchera déplore le sort de nombreux handicapés qui ne pourront jamais réaliser leurs rêves ni même simplement aller à l'école. «Il y a très peu d'écoles publiques qui accueillent les enfants handicapés. Je me demande combien de handicapés sont scolarisés actuellement», s'interroge M. Kuchera. Dans les rues d'Harare, des centaines de personnes handicapées mendient, la plupart vêtues de haillons, assises dans des fauteuils roulants improvisés ou se déplaçant avec des béquilles, les moins chanceux se traînant à terre sur les mains et les genoux. La plupart d'entre eux étaient auparavant accueillis dans des institutions spécialisées, dont le Jairos Jiri Centre, Copota School, Danhiko et le foyer pour enfants de Chinyaradzo, alors financées par l'État et le secteur privé. Mais la récession économique qui a commencé en 2000 au Zimbabwe a rendu la vie dans ces foyers difficile, et la plupart de leurs résidents n'ont pas eu d'autre choix que d'aller vivre dans la rue. «Le gouvernement a oublié les handicapés, déplore M. Kuchera, rien ne leur est réservé dans le budget du pays pour 2010. Il n'y a pas le moindre projet ni programme en leur faveur.» «Inutiles handicapés» Selon les experts, une partie du problème réside dans l'attitude de la société à leur égard. Le sentiment général est que leur place est dans la rue ou devant une église à mendier. La situation est pire dans les régions rurales où les enfants handicapés sont généralement confinés à la maison en raison de croyances anciennes qui les considèrent comme une malédiction divine. «La société considère les personnes handicapées comme des poids morts encombrants qui n'ont aucun rôle à jouer», explique Gladys Charowa, une mère célibataire qui est confinée dans un fauteuil roulant depuis un accident de voiture en 2001. Elle a contribué à fonder la Disabled Women Support Organization, organisme dont elle est la secrétaire générale et qui se consacre à l'aide aux femmes et aux filles handicapées. A cause des attitudes qui prévalent dans la société envers les personnes handicapées, celles-ci sont souvent victimes de discriminations particulièrement sévères, explique Mme Charowa. Un rapport publié en 2004 par la section norvégienne de Save the Children conclut qu'au Zimbabwe 9 filles handicapées sur 10 ont été victimes de violences sexuelles. La moitié de ces filles souffraient de handicap mental et la même proportion était séropositive. Négligence officielle En Afrique australe, un certain nombre d'organisations œuvrent en faveur des personnes handicapées, en se spécialisant pour certaines sur le sort de certaines catégories en particulier, telles que les aveugles, les sourds ou les handicapés mentaux. Joshua Malinga, confiné dans un fauteuil roulant, est un des fondateurs de l'Organisation mondiale pour les personnes handicapées (OMPH). Il est aussi membre du bureau politique du parti au pouvoir au Zimbabwe, la ZANU, parti du président Robert Mugabe. M. Malinga jouit d'une certaine influence, mais ce n'est pas le cas de la plupart des personnes handicapées. «En Afrique, la qualité de vie des handicapés est lamentable parce que l'invalidité n'est pas socialement intégrée, explique-t-il à Afrique Renouveau. Les personnes handicapées ne sont pas représentées dans les parlements ni les instances de décision, même pour les questions qui les concernent. Les gouvernements ne tiennent pas compte des handicapés quand ils définissent leurs projets.» L'Union africaine (UA) veut changer cet état de chose. L'organisation a lancé un Plan d'action en faveur des personnes handicapées qui reconnaît, entre autres, la nécessité d'intégrer les personnes handicapées dans la société, de les autonomiser et de les faire participer à la formulation et à l'application des politiques de développement économique et social. Le plan demande aux États membres d'allouer des crédits suffisants aux ministères et aux administrations qui s'occupent des personnes handicapées, de mettre sur pied des comités nationaux afin de coordonner l'action sur ces questions et d'inclure les personnes handicapées dans leurs programmes nationaux. Quelques évolutions positives Certains progrès sont à noter au plan national. Au Ghana, ces efforts s'illustrent de manière notable. On estime qu'environ 5% de la population est handicapée, à cause de problèmes de cécité, de surdité ou d'audition. En 2006, le Parlement du Ghana a voté la loi sur l'invalidité qui garantit aux personnes handicapées les mêmes droits qu'aux autres, dans tous les domaines. Plus récemment, le ministre des Finances et de la Planification économique, Kwabena Duffour, a annoncé que le gouvernement offrirait une éducation gratuite à tous les enfants handicapés. Le gouvernement avait auparavant créé des écoles spéciales pour les handicapés dans toutes les régions du pays. Des efforts similaires sont menés en Namibie et en Afrique du Sud. Reste que la volonté politique fait cruellement défaut dans la plupart des pays africains. «Le handicap est un état permanent qui nécessite des solutions permanentes», juge M. Malinga. Ces solutions, conclut-il, «seuls les gouvernements les détiennent». S. K. * In Afrique Renouveau, un magazine de l'ONU