Les dernières estimations des richesses potentielles du sous-sol afghan, déjà partiellement connues, mais aujourd'hui confirmées par des études aériennes conduites en 2006 et 2007, ont de quoi couper le souffle. Elles sont d'ailleurs d'ores et déjà montrées du doigt comme un possible démultiplicateur des misères déjà existantes dans le pays. Ces vastes gisements de fer, de cuivre, de cobalt et de lithium (composant essentiel des batteries d'ordinateurs) pourraient renforcer la détermination des talibans et de leurs alliés à reprendre le contrôle du pays pour profiter de cette manne. Ils pourraient de surcroît redonner de l'espoir aux autres ennemis du pays : les seigneurs de guerre, les oligarques parasites et ceux de ses voisins qui se montreraient peu regardants sur la nature du gouvernement au pouvoir. Il y a peu, le ministre afghan des mines a été limogé sous la pression des Etats-Unis, après avoir, dit-on, accepté un pot-de-vin de 30 millions de dollars pour accorder le bénéfice de l'exploitation d'un énorme gisement de cuivre à la Chine, pays dont les visées impérialistes dans le domaine des matières premières ont déjà fait parler d'elle, de la Corée du Nord au Darfour. Des pays appauvris par la richesse de leur sous-sol est une histoire ancienne : le Congo est un des exemples les plus scandaleux, et ce, dès l'époque où ce pays était la propriété privée de la famille royale belge au XIXe siècle. À cette liste des nations ayant été réduites à la misère par le pillage de leurs ressources naturelles, on peut ajouter Haïti, l'Angola, l'Inde et (pour être tout à fait honnête) la Chine. L'Afghanistan ne possède pas d'infrastructures, ni de services publics dignes de ce nom, aucune tradition dans le domaine de l'industrie d'extraction et aucun mécanisme de redistribution des richesses entre ses provinces et régions très disparates. Un nouveau Klondike derrière la passe de Khyber est sans doute la dernière chose dont l'Afghanistan a besoin. Oui, mais... Nous parlons ici d'un trésor représentant près d'un milliard de dollars pour un pays dont le PIB est aux abonnés absents. Les pays de l'OTAN disposant d'une grande expérience dans le domaine de l'extraction de minerai - de l'Allemagne au Canada et de la Grande-Bretagne aux Etats-Unis- n'ont, jusqu'à aujourd'hui, presque rien fait sur le plan économique, à part distribuer des aides, souvent cause de ressentiments, et passer leur temps à tenter de «supprimer» l'autre grande ressource de l'Afghanistan : l'opium. Ne serait-il pas envisageable que cette alliance de pays disposant d'une telle tradition, puisse effectuer un travail véritablement constructif dans un pays pour lequel elle dispose déjà d'un mandat de l'ONU, afin de le reconstruire et le remettre d'aplomb ? Il est vrai que le Parlement et le gouvernement de l'Afghanistan n'ont, pour l'instant, que rarement fait preuve de leur prise en main de la destinée du pays et n'ont aucunement montré qu'ils avaient la situation en main, mais les parlements, la presse et les ONG des pays de l'alliance peuvent faire pression afin que ces découvertes ne débouchent pas sur des spoliations au profit de la Chine (un fait dont elle est coutumière) et que le peuple afghan en soit le principal bénéficiaire. Cette opportunité est de celle que l'on ne doit pas laisser passer. Une opportunité trop belle, également, pour être abandonnée aux talibans. Il serait important de savoir, comme dans le cas des nouvelles découvertes de pétrole dans le sous-sol irakien, comment ces gisements sont, géographiquement et ethniquement, répartis. Il existe des groupes ethniques afghans aussi puissants que bien organisés - comme les Tadjiks ou les Hazara- qui haïssent les talibans et sauteront sur l'occasion de développer et enrichir les régions qu'ils contrôlent, renforçant ainsi la puissance de leur ethnie. De même, de nombreux Pachtouns considèrent les talibans comme les agents d'une colonisation pakistanaise - ce qu'ils sont. L'idée d'un Afghanistan relevant la tête et économiquement puissant est également pleine de promesses pour un grand nombre de travailleurs afghans, qualifiés mais souvent sans emploi, qui sont pour certains rentrés chez eux après des décennies de guerre et de barbarie. Il a été également très encourageant de constater que, quelques jours après l'annonce des résultats des dernières analyses, le nouveau ministre des mines de l'Afghanistan, Wahidullah Shahrani, a personnellement invité son homologue indien B. K. Handique à Kaboul. L'Inde forme déjà des géologues afghans à Hyderabad, soutient et finance de nombreux projets d'infrastructures en Afghanistan ; un lien plus étroit des équipes de recherche géologique des deux pays ne pourrait avoir que des conséquences bénéfiques. Comme je n'ai de cesse de le répéter, l'Inde combattait les talibans et el Qaïda bien avant les Etats-Unis et poursuivra sa lutte quand bien même nous prendrions la lâche décision de nous retirer. L'Inde est également une démocratie immense, prospère, laïque et multiethnique avec des forces armées sophistiquées ; elle est l'allié naturel des Etats-Unis dans la région - à l'inverse du Pakistan, aux fidélités changeantes- et le contrepoids naturel des ambitions de la Chine. Elle dispose par ailleurs d'un secteur minier florissant. L'exploitation planifiée des ressources minérales de l'Afghanistan est une occasion idéale de renforcer et d'approfondir cette alliance. Il faudra naturellement attendre longtemps avant que les bénéfices de cette découverte aient des effets tangibles. Mais en attendant, elle nous offre une rare raison d'espérer et peut donner une nouvelle direction à un engagement qui semble si souvent voué à l'enlisement. Quel Afghan, quelle que puisse être sa méfiance à l'égard de l'Occident, peut sérieusement espérer voir le patrimoine de son pays tomber aux mains d'un gang de parasites moyenâgeux et oppresseurs de femmes ? Quel Afghan peut sérieusement ne pas vouloir voir son pays émancipé, non seulement des théocrates locaux et des djihadistes importés, mais des siècles de pauvreté et de stagnation qui l'affligent et signent son sous-développement ? Le président Barack Obama pourrait délivrer à ce sujet un excellent discours géopolitique, faisant ainsi appel au Congrès et aux Nations unies. Je me demande s'il le fera. Mais en attendant, les «peaceniks» (pacifistes à tout crin) ont un nouveau slogan à exploiter : «pas de sang pour le lithium». C. H. *Christopher Hitchens est chroniqueur à Vanity Fair et journaliste associé à la Hoover institution de Stanford, Californie.