«Les armes doivent s'incliner devant les toges.» Proverbe romain Stanley McChrystal, l'architecte de la guerre Otan - taliban, qui a été remercié après avoir donné une interview très critique à l'égard de l'administration Obama, a été, à la tête des forces alliées en Afghanistan remplacé par le général David Petraeus, homme clé de la guerre en Irak. La sanction n'a pas tardé. Vingt-quatre pour le général Stanley McChrystal. heures après la publication très critique sur la stratégie de l'administration Obama, le chef des forces américaines et alliées en Afghanistan a été révoqué mercredi. Le président américain a choisi de le remplacer par le général David Petraeus. «C'est un changement d'homme, pas de stratégie», a insisté le président démocrate. Il a d'ailleurs, réclamé de son équipe, minée par des conflits internes, un effort d'unité sur le dossier afghan. Rendant hommage à la carrière de Stanley McChrystal, Barack Obama a affirmé le voir partir «avec un regret considérable», mais «il s'agit d'une bonne décision pour la sécurité nationale et nos soldats», a-t-il insisté. «Le limogeage par Barack Obama du général McChrystal, écrit Mathilde Gerard, devrait permettre de poser la question «de l'incohérence de la stratégie d'Obama en Afghanistan», juge quant à lui le Huffington Post, qui souligne qu'à de nombreuses reprises, McChrystal a critiqué publiquement ses supérieurs civils et dénoncé leur «vision à court terme», notamment leur volonté d'établir une stratégie de «contre-terrorisme» qui, selon McChrystal, ne pouvait conduire qu'à un «chaos-istan». Pour Politico, le choix de David Petraeus comme remplaçant de McChrystal est celui d'un «acteur politique à poigne, que les avocats de la poursuite de l'action militaire en Afghanistan espéraient voir en place avant l'échéance de 2011». Le général Petraeus est, en effet, réputé être proche des républicains et partisan d'une action militaire continue».(1) Les raisons sont ailleurs Les taliban ont, de leur côté, annoncé jeudi qu'ils étaient indifférents au limogeage du chef des forces internationales en Afghanistan. «On se moque de savoir qui commande, McChrystal ou Petraeus. Notre position est claire. Nous combattrons les envahisseurs jusqu'à leur départ», a ainsi déclaré un porte-parole du commandement. Pour rappel, les tensions entre l'officier et l'Exécutif américain sont apparues au grand jour au moment où les forces internationales sont engagées dans deux offensives cruciales face aux taliban dans le sud de l'Afghanistan, et subissent de lourdes pertes avec 70 soldats tués depuis le début juin. Au total, 290 militaires étrangers sont morts dans le cadre des opérations militaires en Afghanistan depuis le début de l'année. Un chiffre: en mars 2008, après plus de six ans de combat, selon les données de l'Afghanistan Conflict Monitor se référant au total de ceux qui ont péri dans cette guerre, il dépasse les 8000 personnes en 2007. Nous aurions un total estimé entre 20.000 et 25.000 morts entre octobre 2001 et juin 2008. Est-ce que l'on peut comprendre qu'un général soit remercié pour des propos aussi malveillants quand on sait toute l'importance de la guerre en Afghanistan? Est-ce pour les propos que ce général a tenus à propos de l'intransigeance qui minerait tout effort des solutions au Moyen- Orient et partant, sur le conflit afghan? Pour Agatha Kovacs, la raison est à chercher dans la débâcle malgré les milliards de dollars gaspillés et dont les Afghans ne voient pas la couleur. Ecoutons-la: «En réalité, écrit Agatha Kovacs, l'éviction du chef militaire en Afghanistan serait due à son incapacité à reconquérir le district Marjah, lors de «l'opération moshtarak» il y a quelques semaines, et plus encore, suite à l'annulation de l'offensive dans la province de Kandahar, fief de la résistance afghane.» Il faudrait néanmoins, être naïf pour voir là la vraie raison de l'éviction du chef militaire de l'Otan en Afghanistan. D'ailleurs, selon le Canard Enchainé, à la direction du renseignement militaire, on affirme d'ailleurs, que l'état-major a reçu l'ordre de Sarkozy de ne pas revendiquer un quelconque partage des responsabilités. (...) Le patron du Pentagone, Roberts Gates, admet implicitement l'existence d'un tel «merdier». Dimanche 20 avril, interrogé par la chaîne Fox N, il a déclaré: «Il est beaucoup trop tôt pour évaluer si la mission en Afghanistan est en train de réussir ou non.» Puis il a laissé entendre que l'objectif fixé par Obama - un retrait partiel de l'Afghanistan en juillet 2011 - ne pourra être obtenu. Confirmation quelques heures après l'émission de Fox News: 10 soldats (américains, britanniques et australiens) trouvaient la mort sous les coups de la résistance afghane.(...) L'opération de la reconquête du district de Marjah, menée récemment au sud de l'Afghanistan a été, de l'aveu même du général MacChrystal, un échec. La résistance afghane a regagné la région et n'a pas hésité a exécuter les traitres qui avaient collaboré avec l'ennemi américain. (...) Ce constat a conduit McChrytal à annuler l'offensive qu'il envisageait de mener dans la province de Kandahar, ce qui a contrarié les plans de l'administration américaine, et a finalement décidé, aujourd'hui, le président Obama à limoger McChrystal au bénéfice du général Petraeus. Comme le relève un article de l'hebdomadaire américain Times du 14 juin dernier, les Etats-Unis ont déjà dépensé 26 milliards de dollars uniquement pour former l'armée afghane du traitre Karazaï. Une «farce» aux frais des contribuables américains. La nomination de Petraeus ne changera rien à la donne, pour les Etats-Unis et l'Otan, cette guerre est définitivement perdue.» (2) Naturellement, les morts afghans sont le plus souvent victimes de drones. Ecoutons Sarah Daniel nous décrire la nouvelle guerre à distance expérimentée en Afghanistan. «Des avions sans pilote sillonnent le ciel de l'Irak, de l'Afghanistan et surtout du Pakistan. Commandés à des milliers de kilomètres de distance, ce sont les yeux et les oreilles de l'armée et des services de renseignement américains. Ce sont surtout de nouvelles machines à tuer qui bouleversent l'histoire militaire. Le 5 août 2009, dans la soirée, Baitullah Mehsud, chef des taliban pakistanais et assassin présumé de Benazir Bhutto, prend le frais avec son épouse sur la terrasse de sa maison, dans un village du Sud-Waziristan. L'image capturée par la caméra infrarouge d'un avion sans pilote Predator qui survole la région à plus de 3000 mètres d'altitude montre distinctement le taliban sous perfusion pour soigner son diabète. Quelques secondes plus tard, il ne reste plus de Mehsud que des fragments de torse. Deux missiles Hell Fire tirés par un drone téléguidé des Etats-Unis ont eu raison du chef des taliban ainsi que de sa femme, de ses beaux-parents et de sept de ses gardes du corps. Après avoir accompli cette mission au Waziristan, les agents quittent le quartier général de la CIA, à Langley, dans la banlieue de Washington, pour rentrer chez eux. Le seul risque qu'ils ont pris ce jour-là? Rehman Malik, le ministre de l'Intérieur du Pakistan, décrit le bombardement filmé par le drone à une journaliste de l'hebdomadaire américain The New Yorker. «On pensait que les films de James Bond étaient des contes de fées, mais c'est la réalité!», a-t-il expliqué, impressionné par les images de l'attaque.» (3) «Aujourd'hui, il existe plus de 300 types de drones. Du micro-drone, le Nano Flyer, qui ne pèse que quelques grammes, au Global Hawk, de la taille d'un Airbus, l'imagination des fondus de technologie militaire n'a plus de limites. Dans les airs, mais aussi au sol et sous l'eau, ils mettent sans cesse au point de nouveaux outils, qui vont des robots démineurs aux robots brancardiers ou aux transporteurs de bardas, par exemple. Les services secrets américains ne jurent plus que par ces machines bourrées d'électronique, qui peuvent tester les défenses adverses, surveiller les frontières et, le cas échéant, éliminer des ennemis sans mettre en danger la vie des soldats américains. De plus, dans le cas des drones, elles coûtent moins cher que l'aviation classique. Les Etats-Unis disposent d'environ 7000 drones. Et, selon le général Norton A. Schwartz, chef d'état-major de l'armée de l'air, pour la première fois de son histoire, en 2010, l'US Air Force va former plus d'opérateurs de drones que de pilotes de chasse. (...) Pour désigner les gens qui se dispersent en courant lorsqu'ils entendent ce bruit lointain de tondeuse à gazon, certains opérateurs de drones les comparent à des «insectes». Un vocable qui illustre assez bien la distance qui s'opère lorsque l'on tue par écran interposé. Dans un rapport d'un cercle de réflexion spécialisé dans le contre-terrorisme, New America Foundation, Peter Bergen et Katherine Tiedemann estiment que les drones frappent un tiers d'innocents, que l'armée américaine appelle des «dommages collatéraux». (...) Un homme a raconté au Guardian de Londres qu'il avait rapporté chez lui un morceau de chair qui était tout ce qui lui restait de son fils.» (3) Voilà ce à quoi s'exposent au quotidien les taliban victimes pudiquement de «dommages collatéraux». Les Afghans forment une vieille civilisation. Ils sont harassés et fatigués de mourir tous les jours pour un pouvoir aussi pourri que les précédents. Malgré tout, l'armée américaine est enlisée dans le bourbier. Pourquoi les Etats-Unis s'entêtent-ils à exporter une démocratie aéroportée; est- ce la condition de la femme afghane qui les émeut? L'Afghanistan occupe la 174e place sur 178 sur une liste de l'ONU classant les pays selon leur richesse. Est-ce la réalité? Quel serait en définitive la raison de cette guerre? Pour Michel Chossudovsky, «La guerre contre l'Afghanistan est une «guerre de ressources» à but lucratif. Au vu des vastes réserves afghanes de gaz naturel et de pétrole, «la guerre en vaut la peine». Le bombardement et l'invasion de l'Afghanistan en 2001 ont été présentés à l'opinion publique mondiale comme une «guerre juste», une guerre contre les taliban et Al Qaîda, une guerre pour éliminer le «terrorisme islamique» et établir une démocratie à l'occidentale. Les dimensions économiques de la «guerre mondiale au terrorisme» (Gmat) sont rarement mentionnées et la «campagne de contre-terrorisme» post-11 septembre a servi à occulter les objectifs réels de la guerre des Etats-Unis et de l'Otan. Selon un rapport conjoint du Pentagone, de l'US Geological Survey (Usgs) et de l'Usaid, on dit maintenant de l'Afghanistan qu'il possède des réserves minières inexploitées et «jusqu'alors méconnues», estimées péremptoirement à un billion de dollars. (New York Times, U.S. Identifies Vast Mineral Riches in Afghanistan - NYTimes.com, 14 juin 2010). Un mémo interne du Pentagone mentionne par exemple, que l'Afghanistan pourrait devenir «l'Arabie Saoudite du lithium», une matière première-clé dans la fabrication de piles pour les ordinateurs portables et les BlackBerrys. «Il existe ici un potentiel sensationnel», a affirmé le général David H. Petraeus, commandant de l'United States Central Command [...] «Il y a beaucoup de «si», bien sûr, mais je crois que cela est potentiellement très important». Est-ce que les découvertes sont récentes? Non, répond l'auteur: «(...) Que l'administration états-unienne reconnaisse qu'elle a seulement pris connaissance des vastes richesses minières du pays après la publication du rapport de 2007 de l'Usgs, constitue une esquive flagrante. Les richesses minières et les ressources énergétiques de l'Afghanistan (incluant le gaz naturel) étaient connues à la fois des élites des milieux d'affaires et du gouvernement états-uniens avant la guerre soviéto-afghane (1979-1988). Des études géologiques menées par l'Union soviétique dans les années 1970 et au début des années 1980 confirment l'existence de vastes réserves de cuivre (parmi les plus grandes de l'Eurasie), de fer, de minerai à haute teneur en chrome, d'uranium, de béryl, de baryte, de plomb, de zinc, de fluorine, de bauxite, de lithium, de tantale, d'émeraude, d'or et d'argent (Afghanistan, Mining Annual Review, The Mining Journal, juin, 1984). «Ce n'est pas un secret que l'Afghanistan possède de riches réserves, particulièrement du cuivre au gisement d'Aynak, du minerai de fer à Khojagek, de l'uranium, du minerai polymétallique, du pétrole et du gaz» (RIA Novosti, 6 janvier 2002): (...) On dit de l'Afghanistan qu'il est un pays de transit pour le pétrole et le gaz. Toutefois, peu de gens savent que les spécialistes soviétiques y ont découvert d'énormes réserves de gaz dans les années 1960 et ont construit le premier gazoduc du pays pour approvisionner l'Ouzbékistan. Alors qu'on a nourri l'opinion publique d'images d'un pays en développement déchiré par la guerre et sans ressources, la réalité est tout autre: l'Afghanistan est un pays riche tel que le confirment les études géologiques de l'ère soviétique.» (4) Partir ou rester? On comprend mieux la stratégie américaine: terminer la guerre tout en y restant pour exploiter les richesses, quitte à s'entendre avec les taliban, comme l'écrit Ahmed Rashid. Ecoutons-le: «A dix-huit mois du retrait américain, Washington, Islamabad et Kaboul cherchent à entamer des discussions avec les islamistes. Reste à créer les conditions favorables au dialogue. (...) Dernièrement, de hauts responsables de l'armée et des services de renseignements pakistanais ont proposé de servir d'intermédiaires dans les discussions entre les dirigeants taliban, les Américains et Karzaï. «Nous souhaitons que des pourparlers s'engagent dès maintenant - et pas dans dix-huit mois, quand les Américains partiront. Mais ces derniers doivent nous faire confiance et s'en remettre à nous», m'a déclaré un haut gradé pakistanais. (...) Mais parler avec les taliban ne peut pas se résumer à une simple coopération secrète entre services de renseignements ou au fait que la CIA verse des pots-de-vin aux commandants taliban pour qu'ils mettent bas les armes.» (5) «Cet arrangement a alimenté un vaste racket de protection géré par un réseau opaque de chefs de guerre, de chefs de bande, de responsables afghans corrompus, et peut-être d'autres personnes», déclare le représentant démocrate John Tierney, président de la sous-commission. En sous-traitant à des entreprises privées la protection des convois américains d'armes et de ravitaillement en Afghanistan, le Pentagone finance indirectement les chefs de guerre et peut-être même les taliban, indique une enquête effectuée par une commission du Congrès et présentée par le New York Times(6) La guerre en Afghanistan n'est pas une guerre juste. C'est, à n'en point douter, une guerre pour accaparer des matières premières. Ainsi va le monde.. 1. Mathilde Gérard: Obama réaffirme son autorité mais ne clarifie pas sa position sur l'Afghanistan. Le Monde.fr 24.06.10 2. Agata Kovacs. Les véritables raisons de l'éviction du général McChrystal par le président Obama 23 juin 2010, Mecanopolis 3. Sarah Daniel: La guerre des drones. Nouvel Obs 27. 05. 2010-06-24 4. Michel.Chossudovsky www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=19884 24 06 10 5. Ahmed Rashid: L'heure est à la négociation avec les taliban. Courrier internat. 26.01.2010 6. Le Pentagone accusé de financer les chefs de guerre afghans. Le Monde.fr 22.06.10