«Rights here, right now.» C'est sur ce mot d'ordre ambitieux que s'était ouverte la 18ème conférence internationale sur le sida, le 18 juillet dernier, à Vienne. Cinq jours plus tard, Bruno Spire, président de l'association Aides, revient sur les enjeux de demain. En Europe de l'Est, l'épidémie explose Affectées par une augmentation rapide et récente du nombre de personnes touchées par le VIH, l'Europe de l'Est et l'Asie centrale constituent la seule région du monde où l'épidémie progresse. 110 000 personnes ont été infectées par le VIH en 2007 dans cette région, rapporte l'Onusida, portant à 1,5 million le nombre de personnes atteintes. 80% de ces nouveaux séropositifs ont moins de 30 ans, indique l'Unicef. Outre la prostitution, l'échange de seringues usagées chez les enfants des rues est la principale cause de cette progression. Une situation alarmante due à la politique répressive des Etats, blâment les associations. Bruno Spire : «La politique de santé pratiquée dans les pays de l'Est est catastrophique : les traitements de substitution sont interdits, la trithérapie n'est pas accessible, il n'y a pas de programmes d'échange de seringue [...] Pis, les drogués risquent la prison. Ils cachent donc leur séropositivité et l'épidémie se répand. Nous avions invité des décideurs politiques d'Europe de l'Est à la conférence, mais ils ne se sont pas présentés [...]» Le financement mondial menacé «Je suis extrêmement inquiet», avouait le directeur du Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme à l'ouverture de la conférence. La menace de la crise économique pèse sur le financement de la lutte contre le sida. Le fonds souhaite lever entre 13 et 20 milliards de dollars cette année pour la période de 2011-2013. Or, le financement par les Etats riches des programmes de lutte antisida dans les pays pauvres a reculé de 7,6 milliards de dollars en 2009, contre 7,7 milliards en 2008, d'après le rapport de l'Onusida. Le président de Aides dira : «Les acteurs de la lutte contre le sida sont plus inquiets que jamais quant à la pérennité du financement du fonds mondial. Pourtant, la situation est paradoxale. Pour la première fois, on aperçoit des solutions qui permettraient d'entrevoir la fin de l'épidémie. En effet, si on dépistait et traitait toutes les personnes atteintes, l'épidémie serait stoppée d'ici 30 ans. Mais, pour cela, il faudrait multiplier au moins par dix les financements [...] Nous comprenons que les Etats ne soient pas tous en mesure de donner plus. Mais la France, qui est le deuxième donateur du Fonds mondial, devrait avoir un rôle de leadership et plaider au niveau international pour que des mécanismes de financement innovants soient mis en place. La ‘‘taxe Robin'', notamment - un prélèvement de 0,005% sur tous les échanges spéculatifs- permettrait de récolter plusieurs dizaines de milliards de financement par an. Il est regrettable par exemple que Nicolas Sarkozy ne se soit pas déplacé à Vienne, même si nous n'avions pas d'illusion sur ce point.» Le gel microbicide, un espoir pour les femmes Un gel qui diminue jusqu'à 54% le risque de contamination par le VIH. Après vingt ans de vaines expérimentations, l'annonce de ces résultats obtenus lors d'une étude en Afrique du Sud a soulevé l'enthousiasme. Pour les femmes, qui sont plus vulnérables à l'épidémie -pour des raisons biologiques et sociales-, ce gel pourrait représenter un nouvel espoir de prévention. Bruno Spire : «Ce gel est une excellente nouvelle. Il faut continuer dans cette voie et pas seulement se focaliser sur le préservatif, car dans les pays d'Afrique, les femmes ne peuvent pas forcément en négocier le port. Le chemin sera toutefois long avant que l'on arrive à une prévention réellement efficace à l'aide de gels microbicides.» La pénalisation de l'homosexualité, un obstacle au traitement Près de 160 pays ont des lois qui criminalisent les travailleurs du sexe, les homosexuels et les drogués. «Trente ans après le début de l'épidémie, nous savons que parler d'éducation, de tests et de traitements est insuffisant si on ne s'attaque pas aux atteintes aux droits de l'Homme qui empêchent l'accès à ces services», dénonçait Human Rights Watch avant le début de la conférence. Bruno Spire : «Ce sont des obstacles considérables à la prévention et aux soins. On n'arrivera jamais à l'universalisation du traitement si les populations les plus touchées en sont tenues éloignées. Dans certains pays d'Afrique, on peut se faire dénoncer pour homosexualité par son médecin si on se présente à son cabinet avec une IST [ndlr : infection sexuellement transmissible]. Au risque de finir en prison.Avant la conférence de Mexico, les intervenants africains affirmaient que l'homosexualité n'existait pas chez eux, que c'était un phénomène réservé ‘‘au Nord''. Aujourd'hui, nous travaillons avec des associations pour donner une visibilité aux homosexuels d'Afrique et que cessent les lois discriminantes.» L. T. In l'Express Onusida : une nouvelle commission pour pousser à l'action publique Convaincre les politiques de tous les pays de participer à des stratégies de prévention contre la diffusion du VIH/sida. La nouvelle commission mise en œuvre par l'Onusida vise à susciter une véritable «révolution de la prévention». Devant les participants à la 18ème conférence internationale contre le sida à Vienne (Autriche), la présidente de son Conseil scientifique a clairement posé les enjeux. «Nous ne voulons pas d'une nouvelle commission qui accouchera d'un rapport encourageant au seul usage du préservatif !» a en effet affirmé Laurie Garret, lauréate du prix Pulitzer et peu coutumière de la langue de bois... La nouvelle structure a pour objectif de «traduire en actes les découvertes scientifiques qui ont permis d'améliorer les traitements et les outils de prévention», a précisé Françoise Barré-Sinoussi, prix Nobel de médecine en 2008. Pour que la série d'outils de prévention ou de prise en charge thérapeutique développés par la recherche tels que les gels vaginaux, les préservatifs et les traitements antirétroviraux se généralisent, la commission entend «engager les gouvernants dans la révolution». Pour y parvenir, elle souhaite les convaincre que «la prévention est un investissement intelligent», a rappelé Michel Sibidé, directeur exécutif de l'Onusida. De nombreuses personnalités se sont engagées dans cette commission, composée de 17 membres. On y retrouve par exemple deux anciens chefs d'Etat, la Chilienne Michelle Bachelet et le Français, Jacques Chirac. Composé de 8 membres, le Conseil scientifique sera présidé par le Pr Françoise Barré-Sinoussi et l'archevêque Desmond Tutu (prix Nobel de la paix 1984).