L'Etat consacre une enveloppe de 3 milliards de dinars, soit 30 millions d'euros, pour la sempiternelle opération «solidarité Ramadhan». Quarante milliardaires américains, répondant à l'appel lancé par les deux plus riches d'entre eux, Bill Gates et Warren Buffet, se sont engagés à verser la moitié de leur fortune à des organisations caritatives. Les deux actions pourraient être réunies sous le romantique sceau de la bienfaisance. Mais, en fait, elles sont aux antipodes l'une de l'autre. Aussi éloignées que peuvent l'être les notions de solidarité et de philanthropie. La première telle que définie par certains dictionnaires de la langue française est la nature de ce qui est solidaire, lié par des intérêts communs ou dépendant de quelque chose ou de quelqu'un. Soit une mécanique d'interdépendance, quelque part intéressée. Dans la première information, c'est l'administration sur instruction de l'Etat qui décide et organise l'action. Charité ? Non, plutôt une manière de gérer la cité (c'est une définition de la politique). Soit une décision politique pour une opération conjoncturelle et périodique. Le mois de Ramadhan. Celui du jeûne, pendant lequel on est censé manger moins que les autres mois. Le ministère de la Solidarité distribue des chèques pour les nécessiteux. Les indigents d'un mois. 30 millions d'euros pour 1,2 million de familles. La pitance pour le Ramadhan. Ces familles auront moins faim ce mois-ci, une bénédiction, et après… seront-elles rassasiées pour plus tard ? Le besoin de nourriture est quotidien, l'opération solidarité Ramadhan annuelle. Alors, comment gérer la cité ? S'inspirer parfois de l'ouvrage de philosophie politique Du Contrat social de Jean-Jacques Rousseau. En résumé, l'opération solidarité Ramadhan est une action menée durant un mois lunaire par l'Etat - souverain -, pour alléger la faim des familles - ses sujets - dans le besoin. Il y a comme une connotation d'obligation, puisque l'un est responsable de l'autre. Notons que la responsabilité est totale et étendue dans le temps et non seulement conjoncturelle. La deuxième information présente un tout autre visage. C'est de la philanthropie (même dans un monde où la communication et les opérations de marketing requièrent une importance stratégique). Elle désigne celui ou ceux qui s'occupent d'améliorer le sort de leurs semblables. Dans cette opération où une quarantaine de milliardaires (en dollars) américains ont promis de verser la moitié de leur fortune à des œuvres caritatives - Warren Buffert qui dispose d'une fortune estimée à 47 milliards de dollars, a promis de se défaire, de son vivant ou à sa mort, de 99% de son capital -, les constats à faire sont très différents de «la solidarité Ramadhan». Premièrement, rien n'oblige les belligérants à entreprendre ce genre de démarches. Alors même que les effets de la crise économique de 2009 sont encore perceptibles et dans un monde gangrené par les rentiers et autres spéculateurs voraces, offrir de telles fortunes pourrait même être qualifié d'insensé. Or, ils l'ont promis. L'autre remarque à faire concerne les destinataires des dons. Des associations caritatives. Des structures organisées, généralement indépendantes des Etats, qui ont un but non lucratif, celui de porter secours et assistance aux plus démunis. Certes, la finalité de la première et de la seconde opérations est la même : porter secours aux plus faibles. Mais, les intentions, les mécanismes et les desseins diffèrent. Une telle approche peut-elle être entreprise en Algérie ? Il y a bien des particuliers qui ouvrent, le temps d'un Ramadhan, un restaurant de «la rahma», certains labels improvisent des actions de solidarité, mais une entreprise de la taille de celle menée par Bill Gates n'est, pour l'heure, pas possible. D'abord, à qui le Bill Gates algérien enverra-t-il ses demandes de participation ? Qui sont les milliardaires algériens ? Dans ce pays, parler de fortune est tabou, malsain. Car, dans beaucoup de cas, légalement et moralement, ces fortunés ne devraient pas l'être. Alors, on ne s'affiche pas. Il n'y a pas de liste. L'autre facteur décisif est l'absence de ces associations caritatives méritantes. A peine une poignée est réellement active, crédible et digne de confiance. Alors, pour l'heure, en Algérie, les démunis peuvent compter sur la solidarité, mais pas encore sur la philanthropie. S. A.