Alors que leurs relations semblaient avoir entamé une réelle traversée du désert, la Russie décide de tenir sa promesse, en mettant en route, le 21 août, la première centrale nucléaire d'Iran. La décision russe, bien qu'entrant dans le cadre d'un ancien accord, est loin de faire plaisir à Washington. La nouvelle a suscité également l'appréhension de certaines capitales arabes du Golfe, dont la chaîne de télévision Alarabya fait figure de baromètre. Les Emirats arabes unis, qui se trouvent de l'autre côté de la fameuse centrale nucléaire, expriment des craintes. Une agression israélienne ou américaine pourrait provoquer des fuites d'irradiations nucléaires qui pourraient mener à une grave pollution du Golfe. Pour les pourfendeurs du nucléaire iranien, Moscou «déçoit». Quand le Premier ministre Vladimir Poutine avait indiqué, en mars, que Bouchehr fonctionnerait dès cet été, la secrétaire d'État américaine, Hillary Clinton, avait jugé la date «prématurée». La centrale en question est destinée à produire de l'électricité avec du combustible fourni par la Russie. Mais les Occidentaux s'obstinent à maintenir la pression sur Téhéran. Les États-Unis souhaitent ne rien céder à l'Iran avant qu'il ne soit soumis à de lourdes sanctions par le Conseil de sécurité de l'ONU et ne mette fin aux activités nucléaires. Les Iraniens semblent condamnés à poursuivre leurs activités nucléaires dans des conditions délicates. La décision russe, en plus de diviser le «groupe de Vienne» formé de la Russie, des États-Unis et de la France, redistribue les cartes dans l'échiquier moyen-oriental. Ainsi, après «l'incartade» des Brésiliens et des Turcs, les Russes, jugés «aseptisés», jettent un nouveau pavé dans la mare. Pourtant, la réaction russe ne sort pas du cadre légal. La Russie a toujours soutenu que la centrale de Bouchehr n'avait rien à voir avec un éventuel projet militaire. Le projet est antérieur à la crise du nucléaire au centre de laquelle se trouve l'Iran. Par la volonté d'Israël et des Etats-Unis. Commencé avant la révolution islamique de 1979 par le groupe allemand Siemens, puis abandonné, le chantier avait été repris en 1994 par la Russie. Et pour faire bonne figure, les responsables russes assurent que le développement de Bouchehr se faisait sous le contrôle de la Russie et de l'AIEA. L'Iran a d'ailleurs invité les inspecteurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) à assister au lancement de l'opération. Selon les modalités de l'accord, l'Iran aura l'obligation de remettre à Moscou les barres de combustible usagées. Pour amoindrir les inquiétudes, l'agence russe du nucléaire rappelle que la mise en route prendrait énormément de temps : «Après trois à quatre mois, le bloc énergétique sera à sa puissance minimale de 1%», et il faudra «six à sept mois pour atteindre la puissance maximale de la centrale». Cependant, l'annonce par la Russie de charger le réacteur de Bouchehr après une «hésitation» de 40 ans pourrait avoir son poids dans la crise. La Russie est passée outre la pression des Etats-Unis en défiant un embargo international imposé à l'Iran pour son programme nucléaire. Les activités de la centrale de Bouchehr sont de nature pacifique. L'Iran aura dans le futur un besoin pressant en énergie électrique. Le nucléaire demeure la solution idoine. La Russie, pour ne pas déplaire à Washington qui pourrait réactiver le dossier du bouclier antimissile en Europe de l'Est, dit que l'accord avec Téhéran ne contredit en rien les règles préventives de l'AIEA. L'Iran se trouve dans l'obligation de reprendre le combustible nucléaire irradié à sa source d'origine, c'est-à-dire à Moscou. L'Iran ne pourrait plus à terme enrichir l'uranium sur son propre sol. Ainsi, Moscou continue à souffler le chaud et le froid ; elle a d'ailleurs voté en faveur de sanctions économiques contre l'Iran au Conseil de sécurité des Nations unies. La décision de la réactivation du réacteur nucléaire de Bouchehr semble confirmer que les Russes sont toujours désireux de garder des relations solides avec l'Iran et de ne pas perdre un allié stratégique, voire un partenaire commercial de choix dans la région. A l'instar des Emirats, les pays arabes du Golfe voient d'un mauvais œil l'évolution d'un Iran nucléaire. Il est notoire que la plupart des pays du Golfe sont directement tributaires d'usines de dessalement pour leurs besoins en eau douce. La contamination des eaux du Golfe par les radiations nucléaires pourrait conduire à une catastrophe humanitaire et écologique d'envergure. Ce risque pousse ces pays à demander des assurances aux Etats-Unis. Pour le général Mike Mullen, les États-Unis ont bel et bien préparé des plans militaires pour agresser l'Iran. L'Iran a le droit absolu d'utiliser l'énergie nucléaire pour la production d'électricité. Il a également droit de produire des armes nucléaires aussi longtemps que la «communauté internationale» ferme les yeux sur les armes nucléaires plutôt avérées d'Israël. D'autant plus que l'Etat hébreu occupe des terres illégalement et se permet d'agresser ses voisins (Liban 2006). Le réacteur de Bouchehr pourrait bien constituer une police d'assurance pour prévenir toute agression américaine ou israélienne en raison des dommages qui peuvent résulter de l'attaque. Mais cela ne pourrait empêcher le bombardement des installations nucléaires de Natanz ou de Qom. Le scénario du pire est de l'ordre du réalisable et les signes avant-coureurs sont multiples. Selon le quotidien économique Financial Times, le président américain Barack Obama a averti le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, que les positions d'Ankara vis-à-vis de l'Iran pourraient diminuer ses chances d'obtenir des armes américaines. La Turquie envisage d'acheter des drones américains pour lutter contre la rébellion kurde du Parti kurde des travailleurs (PKK), qui a des bases à la frontière turque dans le nord de l'Irak. Les Etats-Unis avaient exprimé leur déception après le vote négatif d'Ankara à l'ONU pour de nouvelles sanctions contre Téhéran, adoptées par le Conseil de sécurité en juin. Mais les observateurs estiment que Washington entend punir Ankara pour ses positions envers l'Etat hébreu. Les relations entre la Turquie et Israël se sont sévèrement détériorées après l'agression israélienne contre la flottille d'aide humanitaire se dirigeant vers Ghaza, le 31 mai, au cours de laquelle neuf Turcs ont été tués. L'agression, qui s'est déroulée en pleine mer internationale, reste impunie jusqu'ici par le «droit international» obnubilé qu'il est par l'Iran et le droit au nucléaire. M. B.