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Une guerre pour le pétrole
CONFLIT DU CAUCASE
Publié dans L'Expression le 18 - 08 - 2008

"Ce qui est à moi, est à moi, ce qui est à toi est négociable." Devise des grandes puissances actuelles.
Dans la nuit du 7 au 8 août, la Géorgie donnait l´assaut en Ossétie du Sud. En moins de vingt-quatre heures, les unités blindées de la 58e armée de la Fédération de Russie, stationnées en République autonome d´Ossétie du Nord, sont arrivées sur le terrain. Elle visaient "à contraindre la Géorgie à la paix", selon les propres mots du président russe Dmitri Medvedev. En outre, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, confirmait, mercredi, à Moscou que l´armée russe stationnait près de la ville géorgienne de Gori et faisait également des incursions à Zougdidi à la frontière abkhazo-géorgienne, et à Poti, un port de la mer Noire, stratégique pour la Géorgie, puisqu´à partir de Poti est réexportée la majeure partie des hydrocarbures transitant par le pays. Cette nouvelle a considérablement inquiété, y compris le président américain George W.Bush qui en a fait mention dans sa récente allocution. "Pouvant se permettre, écrit Florence Mardirossian, d´être plus offensifs, les candidats à la présidence américaine - le républicain John McCain et le démocrate Barack Obama, par la voix de son conseiller en politique étrangère Zbigniew Brzezinski, ont dénoncé l´objectif caché de la Russie dans ce conflit armé: rayer la Géorgie de la carte énergétique, et imposer ainsi la Fédération de Russie comme seul et unique territoire de transit des hydrocarbures en provenance des pays producteurs d´Asie centrale et du Caucase".(1).
"Depuis près de sept ans, est-il écrit dans le Nouvel Observateur, Washington équipe, entraîne, conseille - et souvent dirige en sous-main l´armée géorgienne. Au-delà d´un "conflit ethnique", réel mais largement manipulé d´un côté comme de l´autre, le Caucase est aujourd´hui le lieu où se joue le bras de fer mondial que se livrent les Etats-Unis et la Russie. Alliés contre le terrorisme après le 11 septembre 2001, Washington et Moscou s´opposent aujourd´hui sur la plupart des grands dossiers internationaux, du bouclier antimissile à l´Iran en passant par l´Irak. Les deux grandes puissances veulent contrôler le Caucase du Sud et la région de la mer Caspienne, zone militairement, mais aussi économiquement, géostratégique en raison de ses immenses ressources en pétrole et en gaz et des voies d´évacuation contournant la Russie, des hydrocarbures dont l´Asie centrale regorge. Les Etats-Unis et leurs alliés en Géorgie ont un plan simple, en théorie, pour faire sortir le pays et la région de l´orbite de Moscou: la mettre sous le parapluie de l´Otan. Pour rejoindre le camp occidental, la Géorgie n´avait pas d´autre choix que de tenter de mettre fin aux sécessions ossète et abkhaze. Quand les armes se seront tues, le temps des diplomates et des négociations viendra. En attendant le chemin de fer qui reliera demain l´Europe à l´Asie centrale via Tbilissi, la Géorgie est traversée sur 260 km par l´oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC), qui achemine le pétrole de la Caspienne vers le port pétrolier turc de Ceyhan en évitant le territoire russe - ce qui indispose Moscou. Elle sera aussi traversée demain par le gazoduc Nabucco, qui suivra le même trajet".(2)
Saura-t-on un jour, écrit Serge Enderlin, ce qui a poussé le président géorgien Mikhaïl Saakachvili à lancer ses troupes à l´assaut de la province sécessionniste d´Ossétie du Sud, qui échappe depuis plus de quinze ans au pouvoir de Tbilissi? Disons-le d´emblée, la maîtrise de ce territoire microscopique (3900 km2, un dixième de la Suisse) est un prétexte. Pour Tbilissi, la reconquête de ce territoire est un motif de fierté nationale. L´immense Russie a-t-elle vraiment besoin de contrôler un territoire montagneux et improductif comme l´Ossétie du Sud? D´un autre côté, osons cette hypothèse: contrairement aux Etats-Unis avec l´Irak, les Russes ne disposent pas d´un terrain de guerre où éprouver leurs armements de dernière génération. En ouvrant une offensive majeure dans le Caucase contre la Géorgie, ils effectuent un exercice grandeur nature air-sol-mer, utile revue d´effectifs et étalage de la puissance retrouvée d´un pays redressé par le pétro-poutinisme musclé.(3)
La politique géorgienne est en réalité guidée par l´angoisse permanente d´éclatement du pays. Cette angoisse n´a pu que s´accroître après la déclaration d´indépendance du Kosovo, le 17 février dernier. Le refus par la Russie de l´indépendance du Kosovo, en décembre 2007, s´appuyait "sur le droit international, mais aussi sur la menace de sécession de l´entité serbe de Bosnie-voire également de l´Abkhazie et l´Ossétie du Sud", rappelait Jean-Arnault Dérens dans un argument développé dans son article du Monde diplomatique de janvier 2008, "La boîte de Pandore des frontières balkaniques". Alors que la chancelière allemande Angela Merkel estimait, lors d´une conférence de presse conjointe avec le président Medvedev à Sotchi, que " l´intégrité territoriale de la Géorgie [devait] servir de point de départ "dans les négociations de paix, son homologue russe répondait qu´" il [était] peu probable que les Ossètes et les Abkhazes puissent vivre au sein d´un seul Etat avec les Géorgiens".
Pour compliquer le tout, en plus de l´accord sur le bouclier anti-missile entre la Pologne et les Etats-Unis signé par provocation en pleine crise le 14 août, le président ukrainien, Viktor Iouchtchenko, signait ainsi un décret soumettant à la décision de Kiev les manoeuvres navales et aériennes de la flotte russe de la mer Noire stationnée au port de Sébastopol. Le face-à-face prévisible entre la Russie et les Etats-Unis s´est finalement produit. La confrontation stratégique entre Moscou et Washington aux marches de l´Europe est entrée dans sa phase active. C´est le retour à un ordre passé, nous entraînant vers une nouvelle guerre froide(4).
L´idée d´employer l´arme économique pour sanctionner la Russie après ses opérations militaires en Géorgie se heurte à des limites pour les Etats-Unis, rendant la menace peu efficace.
«L´essentiel de l´économie russe, c´est le pétrole et l´Europe en est très dépendante.» Dans l´ensemble, la Russie n´a été que le 20e exportateur vers les Etats-Unis et le 30e importateur de biens américains en 2007. Elle représentait seulement 1,4% du commerce extérieur américain en juin 2008, contre 11,2% pour la Chine.
L´enjeu pétrolier
Derrière les affrontements, il y a le pétrole, le gaz, les pipelines...Caucase: le nouveau "Grand jeu". Sous les apparences d´une obscure, mais déjà tragique, guerre régionale ethnico-politique, un dangereux bras de fer oppose Washington et Moscou dans toute la région. Un siècle après la description par Kipling du Grand Jeu qui voyait s´affronter les grandes puissances du moment pour le contrôle d´une région stratégique qui s´étendait de l´Afghanistan aux rives de la mer Noire en passant par l´Asie centrale, une nouvelle manche de cet affrontement se déroule sous nos yeux. Mais aujourd´hui, cette incessante lutte d´influence, souvent sourde, parfois ouverte, ne met plus aux prises l´Empire britannique et celui des tsars. Elle voit désormais s´opposer l´"hyperpuissance" américaine et une Russie, de retour sur la scène mondiale.(2)
Le deuxième pipeline le plus large au monde, le Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC), qui relie les champs pétroliers de la Caspienne au port turc de Ceyhan, en Méditerranée, en passant par l´Azerbaïdjan et le sud de la Géorgie, a été fermé, début août, en raison d´une explosion sur la partie de l´oléoduc située en Turquie de l´est. L´attentat est attribué à la branche armée du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Bien que le BTC n´ait pas été endommagé par les récents affrontements, la réouverture du pipeline, initialement prévue en septembre, pourrait en être davantage retardée. La négociation de ce pipeline s´est faite dans les années 90 sous Clinton. Depuis son point de départ à Bakou, la capitale de l´Azerbaïdjan, jusqu´au terminal, dans le grand port du sud-est de la Turquie, Ceyhan, l´oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan parcourt 1 765 kilomètres: 445 kilomètres en Azerbaïdjan, 245 kilomètres en Géorgie et 1070 en Turquie. Opérationnel depuis 2006, il fournit un million de barils par jour, soit 50 millions de tonnes de pétrole par an aux marchés occidentaux. Une grande partie du pétrole de la mer Caspienne qui arrive dans le port turc de Ceyhan repart par tankers vers les Etats-Unis. BP détient 30% des parts du pipe qui a coûté 4 milliards de dollars. Si pour les Américains, mais aussi pour les Européens, l´objectif est de limiter le monopole de Moscou sur l´approvisionnement énergétique des pays occidentaux en ce qui concerne les ressources en pétrole de la Caspienne, pour Israël, l´intérêt ne réside pas seulement dans son approvisionnement mais dans un plan beaucoup plus vaste visant à devenir la plaque tournante de l´acheminement et de l´approvisionnement en pétrole mais aussi en gaz de la Caspienne vers l´Asie et l´Extrème Orient. "La réputation de la Géorgie comme route alternative sécurisée pour les pipelines acheminant le pétrole et le gaz d´Asie centrale à la Méditerranée a été compromise". Si vous supprimez l´option géorgienne de la table...ça fait le jeu de la Russie, car la plupart des autres options viables passent par le territoire russe. "Le conflit russo-géorgien augure dès à présent de belles perspectives d´avenir dans la région pour Gazprom.(1)
Derrière le soutien politique et militaire américain et israélien à la Géorgie, se cachent des intérêts énergétiques et économiques énormes. Les deux pays, USA et Israël, ont des intérêts majeurs dans le pipeline BTC comme voie d´acheminement alternative pour s´approvisionner en pétrole de la Caspienne pour contourner et contrer l´influence de la Russie en matière énergétique. Comme expliqué clairement dans un article du 11 août 2008 intitulé " Guerre dans le Caucase: vers un affrontement militaire plus large entre la Russie et les Etats Unis? " de Michel Chossudovsky, directeur du site canadien, Global Research: " Israël fait maintenant partie de l´axe militaire anglo-américain, qui sert les intérêts des géants pétroliers occidentaux au Moyen-Orient et en Asie Centrale. Israël est partenaire dans l´oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC) qui amène du pétrole et du gaz à l´Est de la Méditerranée. Plus de 20 pour cent du pétrole des Israéliens est importé de l´Azerbaïdjan, une grande partie transitant par le pipeline BTC. Le pipeline BTC a considérablement changé le statut des pays de la région et cimenté une nouvelle alliance pro-occidentale. Ayant influé pour la construction de l´oléoduc vers la Méditerranée, Washington a pratiquement mis en place un nouveau bloc avec l´Azerbaïdjan, la Géorgie, la Turquie et Israël." Ce qui est rarement reconnu, c´est qu´une partie du pétrole de la mer Caspienne serait directement convoyé vers Israël, en passant par la Géorgie. À cet égard, un projet de pipeline israélo-turc a aussi été envisagé, ce qui permettrait de relier Ceyhan au port israélien d´Ashkelon et de là, à travers le principal pipeline d´Israël, vers la mer Rouge. L´objectif d´Israël n´est pas seulement de prendre le pétrole de la mer Caspienne pour ses propres besoins de consommation, mais aussi de jouer un rôle-clef dans la réexportation de ce pétrole vers les marchés asiatiques depuis le port d´Eilat à travers la mer Rouge. Les implications stratégiques de ce réacheminement du pétrole de la mer Caspienne sont d´une grande portée"(5)
"Le 8/8/08, écrit Dyur, restera dans l´histoire du XXIe siècle comme le premier moment d´un parcours complexe de dominos dont le circuit fut bâti tout au long du XXe siècle, brique après brique! par deux superpuissances, Etats-Unis et Russie, qui disposent toutes deux d´un droit de véto à l´ONU. Cette simple présentation suffit à démontrer que la Géorgie n´est qu´une marionnette, un terrain d´entraînement, pour les diplomates des deux superpuissances. Elle constitue donc un point de tension particulièrement propice aux" tremblements de terres " géostratégiques! Par son intervention armée, la Géorgie pose donc davantage un problème aux nations occidentales qu´à la Russie. Car il ne fait aucun doute que l´intervention militaire géorgienne en Ossétie était le prélude à une épuration ethnique. La Russie a-t-elle besoin de demander l´aval du conseil de sécurité des Nations unies pour intervenir? Non. Les Etats-Unis et l´Otan s´en sont bien passés, lors de la guerre du Kosovo qui a duré des mois contre la Serbie. Il a suffi d´à peine 48 heures à la Russie pour libérer l´Ossétie du Sud. En bref, l´action du président Saakachvili semble parfaitement insensée sur le plan géostratégique, en plus du point de vue humanitaire!"(6)
La quête d'une nouvelle base
Les Etats-Unis sont en passe de devenir, s´ils n´y prennent garde, le premier facteur de déstabilisation de la paix dans le monde. Les Occidentaux sont encore dans cet esprit de guerre froide et s´imaginent qu´ils doivent encore sauver la planète! Mais il n´y a plus rien à sauver en dehors des victimes du terrorisme. Les Occidentaux ont surtout montré qu´ils refusent de partager leur pouvoir de gendarme avec les anciennes superpuissances déchues qui retrouvent une place internationale à laquelle ils ont pleinement droit. Si les peuples doivent à tout prix bénéficier du droit à disposer d´eux-mêmes, comme l´indépendance unilatérale du Kosovo le 17 février dernier, encouragée par les Occidentaux, l´a démontré, alors pourquoi n´en serait-il pas de même pour tous les Ossètes du monde entier? Tandis que l´Allemagne n´oublie jamais que 60% de son économie est cliente chez Gazprom. Plus encore que l´Ukraine, la Géorgie est l´ex-territoire soviétique dont la satellisation progressive autour de Washington est jugée totalement inacceptable par la Russie. Le soutien accordé par les Etats occidentaux à la Géorgie et la relance de l´idée de son adhésion à l´Otan montrent que les Etats-Unis et leurs alliés sont en quête d´une nouvelle base au Caucase pour contrer la Russie. De toute évidence, la détérioration des relations entre la Russie et l´Occident ne profite pas à l´Europe qui bouclier ou pas, sera le théâtre d´affrontements en cas de déclenchement du feu nucléaire.
(*) Ecole nationale polytechnique
1.Florence Mardirossian Géorgie-Russie, les enjeux de la crise: http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2008-08-15
2.Caucase: le nouveau "Grand jeu": Le Nouvel Observateur. N°2284, 14 août 2008.
3.S.Enderlin: Une guerre est-ouest en Europe: http://largeur.com/expArt.asp?artID=2664
4.Michel Korinman "Russie. La nouvelle guerre froide?", Outre-Terre, Revue française de géopolitique, n°19, Editions Erès, 2008.
6.Dyur. La Géorgie au royaume des poupées Russes. Agoravox 16 août 2008
5.Géorgie: Un Pipeline (BTC) Très Protégé par les USA Et Israël Site alterinfo 14 2008


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