La rencontre entre les deux hommes a signifié la fin d'un flirt contrarié depuis une quinzaine d'années. Six jours après la visite de Vladimir Poutine en Algérie, la Russie, par le biais de sa presse spécialisée, a dressé un bilan de la rencontre équivalant à un état des lieux des relations diplomatiques et économiques entre les deux pays. Selon la partie russe, plusieurs documents ont été signés à l'issue des pourparlers, «notamment un accord sur les rapports commerciaux, économiques et financiers et sur l'annulation de la dette de l'Algérie vis-à-vis de la Russie, d'un montant de 4,737 milliards de dollars». Cet accord, selon la presse russe spécialisée, prévoit notamment l'achat par l'Algérie d'équipements russes pour une somme égale ou supérieure au montant de la dette annulée. Des accords sur la non-double imposition, sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements ainsi que sur la coopération entre les chambres de commerce et d'industrie des deux pays ont également été signés. Avec un ordre du jour qui s'était articulé autour de la dette, l'armement, l'accroissement des échanges économiques et la mise en pratique des accords gaziers contractés récemment, la rencontre Bouteflika-Poutine a fait se renforcer les positions russes dans le Maghreb, devenu tout à coup un enjeu sécuritaire majeur. Préparée avec rigueur et sérieux par l'ambassadeur de Russie en Algérie, Vladimir Titorenko, en fin 2005, puis par l'envoyé spécial de Poutine, Igor Ivanov, le 21 janvier, la visite de Vladimir Poutine a constitué pour les observateurs politiques une escale particulière, en ce sens qu'elle a été ressentie par Moscou comme une véritable «reconquista». Allié traditionnel et stratégique de l'Algérie, comme les Etats-Unis l'ont été pendant longtemps pour le Maroc, la Russie a perdu pied au Maghreb à partir de 1989, et c'est en conquérant d'une nation amie que Poutine avait posé pied en Algérie. Evaluée à près de 20% de la dette globale, la dette algérienne envers la Russie a constitué l'essentiel des négociations. Entre l'investissement indirect et la récupération de son argent, généré surtout par la vente des armes, Moscou a cherché le compromis, mais surtout la consolidation de son rang de premier fournisseur en matière d'armement et de partenariat politique majeur. Les questions liées à l'armement ont été aussi un axe majeur des pourparlers, puisque liées a la dette. Equipée à 80% par l'armement russe, l'armée algérienne avait encore besoin d'une coopération militaire, notamment en matière de maintenance des équipements et de formation d'officiers (pilotes de Mig, parachutistes, etc.). Cette exigence a été d'autant plus réelle que, en fait, l'armement russe, présenté par l'Occident comme vieilli et largement suranné, n'a jamais cessé d'être transformé par les experts et techniciens russes, de sorte qu'il représente, en réalité, un armement qui fait concurrence à ce qui existe de meilleur sur le marché de l'armement militaire. D'un autre côté, les élites formées dans les écoles militaires soviétiques occupent aujourd'hui de hautes fonctions dans la chaîne de commandement de l'ANP et entretiennent les meilleures relations qui soient avec leurs homologues russes. Le rapprochement s'est refait presque «naturellement», donc, sur la base d'une longue tradition d'amitié perturbée à partir de la Perestroïka russe et de l'entrée par l'Algérie dans une décennie de graves turbulences politiques (1989-1999). D'autant plus que Moscou a sincèrement voulu, cette fois-ci, non pas récupérer son argent, mais investir en Algérie et pénétrer en force le marché local. Allié traditionnel de l'Algérie depuis l'indépendance, Moscou a cherché aussi à s'insinuer dans le Maghreb, via l'Algérie. Les participations de l'Algérie aux exercices conjoints menés avec les Forces multinationales de l'Otan ont été mal perçues d'abord par la Russie qui a estimé que la désintégration du pacte de Varsovie devait nécessairement rendre l'Otan dépassé. Par la suite, les exigences économiques, qui sont devenues l'axe central de la politique russe, ont pris le pas sur les allergies stratégiques ou idéologiques, de telle sorte que le flux d'échanges commerciaux plus denses et plus importants, de coopération militaire renouvelée et d'un retour d'écoute établi ont été autant de motifs favorables pour s'inscrire dans le temps et permettre une revitalisation des relations. Rééquipement militaire complet Sur le plan militaire, le montant des contrats signés entre la Russie et l'Algérie se chiffre à 4,5 milliards de dollars. Plus de 90% des contrats portent sur l'exportation de nouveaux matériels et les autres, sur la modernisation et la réparation des armements existants. En tenant compte de cette transaction sans précédent avec l'Algérie, le volume total des exportations russes d'armement se monterait en 2006 à près de 6,126 milliards de dollars, chiffre record dans toute l'histoire post-soviétique. Les quantités d'armes vendues ces derniers mois signifient un rééquipement total de l'armée algérienne. L'Algérie et la Russie ont conclu des contrats pour un montant de près de 4 milliards de dollars dans le cadre du règlement de la dette algérienne envers l'ex-URSS, a indiqué le vice-premier ministre russe Alexandre Joukov lundi dernier, lors d'un forum à Zurich. Cette dernière, qui se chiffre à 4,7 milliards de dollars sera annulée après l'exécution par l'Algérie des contrats sur l'achat de produits industriels et de matériel militaire russes. Des accords sur le refus de la double imposition, l'encouragement et la protection réciproque des investissements, ainsi que sur la coopération entre les chambres de commerce et d'industrie des deux pays ont également été signés. Les deux pays sont prêts à élargir leur coopération dans le domaine des constructions mécaniques, le secteur énergétique, les transports et la réalisation de projets d'infrastructure. Les échanges commerciaux entre les deux pays connaissent une nette progression depuis deux ans. Ils s'élèvent à 364 millions de dollars pour l'année 2005 (dont 361,75 de produits importés par l'Algérie), soit une hausse de 9,5% par rapport à 2004. Mais c'est surtout au plan de l'armement que la coopération a été la plus évidente. Lors de sa dernière visite en Algérie, le 12 février 2006, le secrétaire à la défense US Donald Rumsfeld avait souligné que toute vente d'équipements militaires devait strictement s'inscrire dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Un tel discours visait à rassurer le Maroc, son plus fidèle allié en Afrique du Nord, ainsi que le Congrès américain, réticent à l'idée d'armer un pays qu'il considère comme peu respectueux des droits de l'homme, bien que le discours officiel use d'un langage très conciliant. L'Algérie a reçu des Etats-Unis la promesse d'une livraison d'équipements militaires exclusivement destinés à la surveillance (lunettes de vision nocturne et hélicoptères utilisés notamment pour patrouiller dans les régions désertiques). En réponse à l'annulation de la dette algérienne de 4,7 milliards de dollars, l'Algérie a confirmé les contrats portant sur la livraison d'armes russes pour 7,5 milliards de dollars et, compte tenu des options, pour plus de 10 milliards de dollars. Les quantités prévues par les contrats conclus ces derniers mois signifient le rééquipement total de l'armée algérienne. Selon la Russie, il s'agit de la livraison de 34 chasseurs MiG-29 SMT, de 28 chasseurs Su-30 MKI et de 14 avions d'entraînement et de combat Yak-130 (pour un total de 3,5 milliards de dollars). De plus, 36 MiG-29 de modèles antérieurs seront renvoyés en Russie et vendus à des pays tiers. Les accords intervenus prévoient également la livraison de 300 chars T-90S (pour un milliard de dollars), de 8 systèmes de missiles S-300 PMU-2 pour les divisions de DCA (un milliard de dollars), de 30 batteries sol-air Toungouska (d'une valeur de près de 0,5 milliard de dollars), la modernisation de 250 chars T-72 (pour plus de 200 millions de dollars) et la livraison de missiles antichars Metis et Kornet, ainsi que les réparations des navires des forces navales algériennes. Avec des réserves en gaz prouvées à hauteur de 4.550 milliards de mètres cubes, l'Algérie est une force gazière qui compte au niveau mondial, elle est en seconde position derrière le Nigéria au plan africain et occupe la 5ème place dans le classement des premiers fournisseurs gaziers pour l'Europe. Ses réserves, concentrées dans les régions centrale et orientale du pays, sont prouvées à 1,5 milliard de tonnes de brut. En matière de ressources énergétiques, la coopération algéro-russe risque de constituer une force de pression. A l'issue de la visite d'une délégation de Gazprom en Algérie, le géant gazier russe a annoncé son intention de développer une coopération «tous azimuts en matière de prospection, d'extraction, de transport, de traitement et de commercialisation du gaz naturel». Le Maghreb, nouvel enjeu stratégique La visite de Poutine a permis à la Russie de raffermir sa présence dans une région où elle disposait de certains acquis issus de la guerre froide. Le Président Russe s'est également assuré le soutien d'un pays qu'il juge très influent au Maghreb sur des questions sensibles telles que la visite de la délégation du Hamas à Moscou et la position de la Russie dans le dossier nucléaire iranien. «Les positions de la Russie et de l'Algérie envers les principaux problèmes internationaux et régionaux sont très proches, quand elles ne coïncident pas», a souligné le représentant du Kremlin. L'abstention au vote prévoyant le transfert du dossier nucléaire iranien au Conseil de sécurité de l'ONU a été la position officielle d'Alger sur la question. Les deux parties procèdent donc aujourd'hui « au renouvellement du cadre juridique qui régit les relations russo-algériennes dans différents domaines.» Le représentant du Kremlin a tenu à préciser que la nouvelle déclaration de partenariat stratégique entre l'Algérie et la Russie n'était dirigée «contre aucun Etat ou groupe d'Etats tiers», et qu'elle ne visait pas à «créer une alliance politico-militaire». Cependant la relance d'un partenariat entre les deux pays peut apparaître comme une diminution de l'influence américaine dans ce pays. L'intérêt avec lequel Washington suit l'évolution des relations algéro- russes en dit long sur les enjeux stratégiques qui sous-tendent la guerre d'influence russo-américaine dans la région maghrébine.