«Je dois dire que, pour ma part, je ne l'aurais pas lu, si je n'y avais été obligé par mon appartenance à l'Académie Goncourt [...].» Le jugement de Tahar Ben Jelloun sur La Carte et le Territoire, le nouveau roman de Michel Houellebecq, en librairie, le 8 septembre, a l'avantage de la clarté. Le juré a choisi le journal italien La Repubblica pour justifier, sur une page entière, son tir de barrage. Titre de l'article, paru jeudi 19 août sur une page agrémentée d'une photo de Houellebecq dans la position avantageuse du romantique en pleine sensucht, clope coincée entre l'index et l'annulaire : «Le cas Houellebecq.» Quitte à jouer malgré lui, de l'autre côté des Alpes où elle a d'importantes fonctions (vice-présidente de Rizzoli), le jeu de l'éditrice des éditions Flammarion, Teresa Cremisi, qui publie Houellebecq et a, selon lui, «le sens du marketing», Ben Jelloun prend son temps pour flinguer La Carte et le Territoire. Affirmant avoir lu «crayon à la main» les 427 pages du livre, il a «noté quelques délires qui l'ont perturbé et insatisfait». En vrac : la propre mise en scène de Houellebecq, grand écrivain devant l'éternel, surtout au moment de ses funérailles, dans le roman ; le mélange d'individus de chair - Frédéric Beigbeder, Teresa Cremisi, décidément omniprésente, Jean-Pierre Pernaut... et de personnages de fiction ; sa vision du monde - dont lui, Ben Jelloun, n'a rien à faire ; sa lecture sociologique de la police ; ses jugements successifs sur les modèles Mercedes et Audi... Au cas où le lecteur n'aurait pas goûté à sa juste mesure le réquisitoire, le juré enfonce le clou : «Alors, qu'est-ce que ce roman offre de nouveau ?» Réponse : «Des bavardages sur la condition humaine, une écriture affectée qui prétend à l'épure [...].» Bref, rien ne trouve grâce aux yeux de Tahar Ben Jelloun, dont on devine déjà qu'il ne soutiendra pas La Carte et le Territoire, s'il vient à être éligible sur la liste des Goncourt. E. H. In l'Express du 20/08/210