«Le vent du changement souffle sur tout le continent. Que cela nous plaise ou non, cette prise de conscience nationale est un fait politique.» En février 1960, lorsque le Premier ministre britannique Harold Macmillan s'exprime devant le Parlement sud-africain, alors exclusivement composé d'élus blancs, il ignore que son discours passera à l'histoire. Au cours de l'année 1960, dix-sept pays africains vont accéder à l'indépendance, bientôt suivis de nombreux autres.Les événements de 1960 vont rassembler les nouveaux États indépendants autour de l'objectif d'autodétermination et fournir à leur politique extérieure une dimension morale et une orientation politique. Lorsque prend fin la longue campagne contre l'apartheid et le colonialisme en 1994. Ghana, première «zone libérée» Pour les pionniers du nationalisme africain, le soutien à la décolonisation totale du continent est à la fois un impératif moral et une nécessité pratique. C'est le Ghana, indépendant en 1957 sous la direction du panafricaniste Kwame Nkrumah, qui marque le début de la campagne de décolonisation. Le jour même de l'indépendance de son pays, Nkrumah s'engage à soutenir les autres mouvements anticoloniaux en des termes clairs : «Notre indépendance n'a pas de sens si elle n'est pas liée à la libération totale du continent africain.» En 1958, le Ghana accueille une réunion des pays africains indépendants parmi lesquels on compte l'Éthiopie, le Maroc, l'Égypte et le Soudan, puis une conférence des mouvements anticoloniaux. Ce qui permet de poser les fondations de l'Organisation de l'unité africaine (OUA) et de son comité de libération, créés cinq ans plus tard. Quand naît l'OUA, le 25 mai 1963, trente-deux pays africains sont indépendants et le principe de l'auto-détermination ainsi que du gouvernement de la majorité sont inscrits dans la charte de l'organisation. Mais le soutien aux luttes armées commence bien avant la création de l'OUA. Amilcar Cabral, le chef du mouvement de libération du Cap-Vert et de Guinée-Bissau, lance sa déclaration de guerre contre le Portugal en 1961 depuis Conakry, en Guinée. Basé à Dar es Salaam en Tanzanie, le comité de libération de l'OUA devient le principal relais pour l'aide aux mouvements anticoloniaux. La Tanzanie et la Zambie, qui ouvrent en 1964 des camps d'entraînement et des bases pour le Front de libération du Mozambique (Frelimo), s'attirent des représailles des forces portugaises. Les combattants de l'African National Congress (ANC) de Nelson Mandela ont, eux aussi, des bases dans ces deux pays. Ce qui les expose également à des attaques sud-africaines. En 1969, c'est à Dar es Salaam que le dirigeant du Frelimo, Eduardo Mondlane, est tué par un colis piégé expédié par les services portugais. Sur la ligne de front Évoquant cette époque, le journaliste tanzanien Godfrey Mwakikagile décrit le Dar es Salaam des années 1960 et 1970 comme «l'épicentre d'une activité sismique dans le paysage politique africain et au-delà… Un refuge et un incubateur pour les militants et les révolutionnaires du monde entier.»En 1974, un coup d'État militaire contre le régime portugais amène une fin aussi rapide qu'inattendue au colonialisme portugais en Afrique et fait basculer l'équilibre stratégique dans la région. Pour le régime rhodésien, la situation devient intenable. Les rebelles opèrent désormais autour de la longue frontière avec le Mozambique indépendant. L'Afrique du Sud, son allié principal, subit des pressions internationales de plus en plus fortes en raison de sa politique d'apartheid, ce qui ne lui laisse d'autre choix que de négocier les termes de l'indépendance de son protégé. Les négociations pour la passation de pouvoir se tiennent à Lancaster House en Grande-Bretagne, en la présence d'un groupe de pays africains composé de l'Angola, du Botswana, du Mozambique, de la Tanzanie et de la Zambie désignés sous le nom d'États de la ligne de front. Formé en 1976, le groupe des États de la ligne de front maintient la pression militaire et diplomatique sur les régimes des minorités blanches pour les obliger à accepter le principe du pouvoir de la majorité. Les dirigeants de ces pays exigent également avec succès que le mouvement anticolonial divisé de la Rhodésie (qui deviendra le Zimbabwe) forme un front uni et accepte certains compromis, afin d'aboutir à un accord. Leur action mène à l'indépendance du Zimbabwe le 18 avril 1980. Il est alors le 51e État indépendant d'Afrique et le sixième parmi ceux de la ligne de front.Suite à la perte de ses alliés portugais et rhodésiens, l'Afrique du Sud intensifie la répression intérieure et adopte une «stratégie totale» de déstabilisation militaire et économique contre ses voisins indépendants. Les États de la ligne de front ripostent à la nouvelle stratégie sud-africaine en mettant sur pied la Conférence pour la coordination du développement de l'Afrique australe, une fédération économique régionale destinée à atténuer leur dépendance économique par rapport à l'Afrique du Sud. Cette organisation pose les bases de la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC), lancée douze ans plus tard, après la fin de l'apartheid. L'échec de la stratégie régionale de l'Afrique du Sud et l'escalade constante des manifestations de masse dans le pays aboutissent, en 1989, au départ du président Pieter W. Botha, un partisan de la ligne dure, et à son remplacement par F. W. de Klerk, qui prend, l'année suivante, la décision de libérer Nelson Mandela et de lever l'interdiction imposée aux organisations anti-apartheid alors en exil. Les négociations entre les deux hommes mènent à la fin de l'apartheid, le 10 mai 1994, date à laquelle M. Mandela devient le premier président sud-africain élu démocratiquement, lors de ce qu'il qualifie alors de «victoire commune pour la justice, pour la paix, pour la dignité humaine».Cinquante ans plus tard, le «vent du changement» souffle sur un continent transformé. Une nouvelle génération fait face à divers défis : l'unité du continent, la démocratie et le développement. Le combat continue. M. F. In Afrique Renouveau, magazine de l'ONU