Photo : Riad De notre envoyé spécial à Guelma Ali Boukhlef Des enfants déchirent leurs cahiers pour fêter la fin de l'année. La scène ressemble à celle racontée par Mouloud Mammeri dans la Terre et le Sang, lorsque Arezki, d'un geste de grandeur, urine sur les livres qui symbolisent, plus que le savoir français et les lumières, la pensée coloniale. L'image ne se déroule pas dans les années 1950. Ce sont des enfants de la ville de Guelma qui décident de tout lâcher pour trois mois de vacances scolaires. La fumée qui monte de ces cahiers salit l'atmosphère de cette petite mais belle ville de l'Est algérien qui, soixante-trois ans plutôt, connut l'une des images les plus atroces du colonialisme. Des fours crématoires utilisés par l'armée coloniale en 1945, il ne reste pratiquement plus rien, sinon un souvenir dans la tête de ceux parmi les survivants qui se rappellent encore ces longues journées de l'horreur. Mais ce passé pas encore lointain a laissé la place à des images plus belles. Plus agréables et certainement plus humaines. Ces feuilles de cahiers brûlées par les écoliers n'ont pas empêché Guelma d'avoir l'une des plus belles universités d'Algérie. D'une architecture plus moderne, et très bien entretenue, l'institution constitue l'une des fiertés des Guelmis, jadis obligés d'aller étudier à Annaba, Constantine ou, parfois, Alger. Le centre-ville de Guelma, lui, ressemble à celui de la majorité des villes algériennes. Des maisons coloniales, pour la plupart vétustes, et des trottoirs plus ou moins exigus, ornés de beaux arbres centenaires, constituent l'essentiel du décor. Ce qui frappe, en revanche, dans cette ville, c'est son incroyable propreté. Guelma est, en effet, une ville propre. Sa vocation agricole, son caractère rural ne l'empêchent point d'afficher une propreté irréprochable. Une propreté que lui envierait même la capitale du pays qui croule sous les détritus de ses «citadins» Située dans les hautes plaines, la ville de Guelma est entourée de prairies verdoyantes qui s'étendent sur des milliers d'hectares. Toutes les cultures sont apparemment pratiquées. De la céréaliculture, de l'arboriculture, des plantations maraîchères et de l'élevage, on trouve de tout dans cette wilaya qui assure son autosuffisance en produits agricoles. Mis à part cela, il n'y a pas grand-chose. La wilaya compte effectivement une usine de production de motocycles, mais qui fonctionne au ralenti. Cette unité, qui fait l'autre marque de fabrique de la région, n'est pratiquement plus que l'expression d'un passé glorieux, puisque les fameuses motos Simca sont désormais remplacées par d'autres marques plus à la mode et plus concurrentielles. Contrastes «Quiconque verra la verdure et la beauté de l'endroit va croire que nous vivons au paradis», commence par confesser Mohamed, gérant d'un petit café maure à Hammam Meskhoutine. Notre interlocuteur, qui laissait parler ses sentiments, s'interroge, en effet, sur cette injuste contradiction. Un pays riche et des gens pauvres. «Les jeunes sont tous au chômage comme vous pouvez le constater partout», s'indigne-t-il tout en continuant à presser les bras de sa machine à café pour servir les rares clients qui osent se hasarder à fréquenter l'endroit. Selon notre cafetier, il est «anormal que des Algériens touchent 3 000 DA alors que d'autres voient leurs salaires augmenter de 30%». D'habitude, Hammam Meskhoutine, un nom qui dérange un peu les habitants de la région, ne désemplit pas tout au long de l'année. Des milliers de visiteurs viennent chercher un remède dans cet endroit gorgé de bains dont les vertus thérapeutiques sont devenues pratiquement légendaires. Mais ce jour-là, il n'y avait pas grande foule. On nous explique que la quasi-totalité des habitués des lieux y viennent le week-end. Ces visiteurs, essentiellement des familles, investissent les lieux les jeudis et vendredis. Ils y viennent non seulement de Guelma mais aussi de toutes les wilayas limitrophes. Plus qu'une vieille ville coloniale à vocation agricole, Guelma renferme un patrimoine archéologique des plus précieux et des plus lointains. L'antique Calama garde toujours des vestiges inestimables, à l'instar du théâtre romain, situé en plein centre-ville, qui continue à être exploité. D'une très belle architecture, l'édifice, à moitié fini à l'époque byzantine, a été parachevé à l'époque coloniale, puis maladroitement restauré ces dernières années. Au lieu de déposer les pièces et monuments découverts, notamment dans la localité de Badjerah, à une quinzaine de kilomètres du chef-lieu, dans un musée, les autorités locales n'ont pas trouvé mieux que de les mettre en plein air. Pis, croyant avoir trouvé une ingénieuse idée, les responsables ont même créé ce qu'ils appellent un «jardin archéologique». L'endroit, un jardin public auquel on a ajouté des bustes et autres monuments, est censé offrir aux Guelmis un espace de détente et de connaissances. Exposés ainsi aux aléas de la nature et aux périls de l'homme, les pièces risquent gros. N'empêche, le théâtre romain garde encore un peu de sa splendeur et même de sa vocation, puisque, après des années de disette, l'édifice renoue avec les activités artistiques depuis quelque temps, même épisodiquement. «Ici, vous êtes dans le calme total.» Cette confession d'un agent de sécurité résume, à elle seule, le quotidien dans cette wilaya. Guelma, au même titre que d'autres villes, vit au rythme de l'Algérie. Ni plus ni moins.