Hayet Laouni est sénatrice tunisienne et propriétaire de sa propre entreprise maritime. Elle attribue son succès à la conception libérale des droits de la femme qu'a adoptée le gouvernement depuis l'indépendance, ainsi qu'aux investissements effectués dans l'éducation. «Je suis très reconnaissante envers mon pays, déclare-t-elle. Je suis née et j'ai grandi dans une région du monde où la vie est censée être difficile pour la plupart des gens, et encore plus pour les femmes.» Sa situation n'a rien d'unique. Bien que beaucoup de gens étrangers à la région considèrent l'Afrique du Nord musulmane comme rigidement hostile aux droits de la femme, ces pays ont, en fait, connu une décennie de réformes substantielles et certaines améliorations du statut des femmes. Réformes des codes de la famille Les réformes ont surtout porté sur les codes de la famille qui régissent le mariage, le divorce et les droits de garde des enfants. Ces lois sont «absolument essentielles et fondamentales dans la société musulmane», explique Mounira Charrad, professeur d'université née en Tunisie qui étudie la situation des femmes en Tunisie, en Algérie et au Maroc. Ces lois «traitent de questions qui sont au cœur de la vie sociale». Leur libéralisation permet donc d'améliorer les droits de la femme… Lorsque le gouvernement tunisien actuellement au pouvoir a accordé aux femmes le droit de transmettre leur nationalité à leurs enfants, cela a créé un séisme culturel dans la société… «En permettant de transmettre la citoyenneté également par la mère, cette loi a remis en question le concept même de patrilinéarité de la famille», juge-t-elle. Ces progrès sont en grande partie dus au dynamisme des mouvements de femmes qui sont apparus en Afrique du Nord au cours des années 1980 et 1990, explique Mme Moghadam, responsable de la section Égalité des sexes et développement de l'Unesco. Entre loi et pratique Mais les progrès sont irréguliers et inégaux. En 2005, l'Égypte a accordé davantage de droits aux femmes en matière de divorce. Mais le gouvernement a renoncé à permettre aux femmes de voyager sans la permission de leur mari ou de leur père, craignant que cette volonté de réforme soit trop radicale pour aboutir. Mme Moghadam indique que, dans les pays d'Afrique du Nord, certaines pratiques sociales sont non seulement discriminatoires contre les femmes et incompatibles avec les traités internationaux, mais également contraires à leurs propres lois. «La Constitution égyptienne garantit l'égalité de tous les citoyens, observe-t-elle. Mais le droit de la famille égyptien ne respecte pas cette égalité.» Elle ajoute qu'un grand nombre de lois d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient, censées être l'émanation directe de principes islamiques, puisent en fait leur origine dans des pratiques tribales ou préislamiques. Mme Rhiwi, aujourd'hui coordinatrice des droits des femmes au Maroc, en Algérie et en Tunisie pour le Fonds de développement des Nations unies pour la femme (Unifem), a constaté différents degrés de progrès au Maroc par rapport à l'Algérie, et dans les pays du Maghreb par rapport à l'Égypte. Mme Charrad est du même avis. «L'évolution des lois a conduit à des changements dans des pays comme la Tunisie, où les réformes ont eu lieu dans les années 1950 […] Les femmes peuvent demander le divorce plus facilement et obtenir plus aisément la garde des enfants, mais, explique-t-elle à Afrique Renouveau, sur le plan social, le divorce reste très difficile. Elles [les divorcées] souffrent sur le plan économique et sont souvent mises au ban de la société.» «Nous ne pouvons plus dire qu'il est difficile de faire évoluer les droits de la femme dans le monde arabe, commente-t-elle. Les femmes ont obtenu des droits très importants en Tunisie et au Maroc. Il faut dépasser les généralisations portant sur cette partie du monde et adopter une vision plus nuancée.» Enraciner les nouveaux droits Dans l'ensemble, les femmes d'Afrique du Nord ont réalisé d'importants progrès en ce qui concerne les droits reproductifs -bien plus qu'en Afrique subsaharienne et au Moyen-Orient. Le droit tunisien confère aux femmes la possibilité de pratiquer le contrôle des naissances et de recourir à l'avortement. D'après les estimations de l'OMS, le taux d'utilisation de la contraception en Tunisie est passé de 24% en 1980 à 63% en 2007. Presque toutes les Tunisiennes ont accès à un centre de planification familiale à moins de cinq kilomètres. Elles attendent en moyenne l'âge de 27 ans pour se marier, contre environ 16 ans en Afrique subsaharienne et au Moyen-Orient. En Égypte, 96% des femmes vivent près d'un centre de planification familiale et environ 60% ont recours à ces services. En Algérie, le gouvernement a mis en place une politique novatrice de planification familiale, qui rembourse l'achat de contraceptifs. A la suite des pressions des associations de femmes, certains gouvernements ont modifié leurs institutions pour garantir un meilleur accès des femmes à la justice. L'Égypte a mis en place un nouveau système de pensions alimentaires et a regroupé les affaires de divorce et d'héritage sous l'autorité d'un seul organe judiciaire. Enraciner ces droits exige une plus forte participation des femmes à la vie politique, mais les progrès ont été lents dans ce domaine. Au Maroc, ce n'est qu'en 2002 que les partis politiques ont convenu de réserver aux femmes 30 des 325 sièges du Parlement. En 2004, les Algériennes représentaient près de 20% des membres de la chambre haute du Parlement de ce pays, tandis qu'en Égypte la proportion de femmes n'était que de 8% dans les deux organes législatifs et était très faible au sein du gouvernement. Cette faible représentation reste un obstacle majeur, reconnaît Mme Rhiwi. «Nous espérons pérenniser cette situation par le biais des lois. Nous devons également veiller à ce que ces changements soient réels et institutionnalisés.» M. K. *In Afrique Renouveau, magazine de l'Organisation des Nations unies