L'évocation de l'histoire de la révolution algérienne ne saurait prendre toute sa dimension sans l'évocation de l'incontournable Abane Ramdane. Homme politique algérien chevronné et incontestablement le dirigeant «le plus politique» du Front de libération nationale, Abane remplit bien son costume d'«architecte de la révolution». Principal organisateur avec Larbi Ben M'hidi du Congrès de la Soummam, il trace les grandes lignes du mouvement révolutionnaire tâtonnant, jusque-là. Il dressera les grandes lignes pour la création d'un État dans lequel l'élément politique l'emporte sur l'élément militaire Formation française, prise de conscience et engagement politique Né le 10 juin 1920 à Azouza dans la commune de Larba Nath Irathen, appelée alors Fort National, vers Tizi Ouzou, dans une famille modeste. Il obtient le baccalauréat mathématiques avec mention «Bien», en 1941, au lycée Duveyrier de Blida. Au contact d'autres jeunes Algériens, il se forge alors et se cimente une conscience politique et nationale des plus lucides, dans une société villageoise rongée par la pauvreté et la misère. Abane est, ensuite, mobilisé et affecté pendant la Seconde Guerre mondiale, avec le grade de sous-officier, dans un régiment de tirailleurs algériens stationné à Blida, en attendant le départ pour l'Italie. Démobilisé, il rentre au pays et intègre le Parti du peuple algérien (PPA) et milite activement tout en travaillant comme secrétaire de la commune mixte de Chelghoum Laïd appelée alors Châteaudun-du-Rhummel. Nationaliste comme il était, Abane ne pouvait qu'être fortement touché par les massacres du 8 mai 1945. Il abandonne ses fonctions, rompt définitivement avec l'administration coloniale et entre dans la clandestinité pour se consacrer à «la cause nationale» au sein du PPA-MTLD. Il est désigné, en 1948, comme chef de wilaya, d'abord dans la région de Sétif, puis dans l'Oranie. Durant cette période, il est également membre de l'Organisation spéciale (OS), bras armé du parti, chargé de préparer la révolution. La culture politique dans les prisons françaises Recherché par la police française dans l'affaire dite du «complot de l'OS», en 1950, il est arrêté quelques mois plus tard dans l'ouest du pays. Il est jugé, en 1951, après avoir subi plusieurs semaines d'interrogatoire et de torture, et condamné à 5 ans de prison, 10 ans d'interdiction de séjour, 10 ans de privation des droits civiques et 500 000 francs d'amende pour «atteinte à la sûreté intérieure de l'État». Commence alors pour Abane le long calvaire dans les prisons d'Algérie. De Béjaïa à El Harrach en passant par Serkadji, Abane a eu, une fois de plus, la conviction qu'il était sur la bonne voie. Après un court séjour aux Baumettes dans les Bouches-du-Rhône, au début de l'année 1952, il est transféré à Ensisheim dans le Haut-Rhin. Dans cette prison de l'Alsace de haute sécurité, Abane a été soumis à un régime de détention de droit commun, extrêmement sévère. Il entame alors, une grève de la faim. A l'article de la mort, il est soigné et sauvé in extremis, et obtient gain de cause. Bénéficiant du statut de prisonnier politique, il est transféré, en 1953, à la prison d'Albi dans le Tarn dans le sud-ouest de la France où le régime carcéral, plus souple, lui permet de s'adonner à son loisir favori, la lecture, qui lui permet de forger sa culture et sa formation politiques. Il y découvre, surtout, la condition injuste et dramatique faite à la nation irlandaise, à maints égards semblable à celle que subit le peuple algérien depuis plus d'un siècle, et le sort d'Éamon de Valera qui connut, comme lui, les geôles britanniques. Transféré à la prison d'El Harrach, au cours de l'été 1954, il est régulièrement tenu au courant des préparatifs de Novembre 1954. Il est même désigné d'office comme l'un des douze membres d'un comité chargé de prendre en mains les destinées de la résistance algérienne contre le régime français, pour l'indépendance de l'Algérie. Libération, retour à la clandestinité et organisation des réseaux FLN C'est à ce titre que les dirigeants de la zone III en Kabylie, future wilaya III, prennent contact avec lui quelques jours après sa sortie de prison, le 18 janvier 1955, alors qu'il est assigné à résidence à son village natal Azouza. Après quelques jours passés auprès de sa mère très malade, il quitte Azouza, entre dans la clandestinité et prend en charge la direction politique de la capitale. Son appel du 1er avril 1955 à l'union et à l'engagement du peuple algérien signe l'acte de naissance d'un véritable Front de libération et son émergence en tant que mouvement national. Il y affirme son credo unitaire, «la libération de l'Algérie sera l'œuvre de tous», qu'il ne se lassera pas de mettre en œuvre. Il obtient très vite une grande influence dans la direction intérieure installée à Alger. Chargé des questions d'animation de la «révolution» au niveau national en assurant la coordination interwilayas, il anime également la liaison avec la Délégation extérieure du FLN établie au Caire, les fédérations de France, de Tunisie et du Maroc. Il a, ainsi, la haute main sur toutes les grandes questions d'ordre national et international. Abane concentrera son énergie à organiser et à rationaliser la lutte, à rassembler toutes les forces politiques algériennes au sein du FLN pour donner à la «rébellion» du 1er novembre la dimension d'un grand mouvement de résistance nationale. Secondé par Benyoucef Benkhedda, il impulse la création du journal clandestin de la Révolution, El Moudjahid, de l'hymne national Kassaman contactant lui-même le grand poète Moufdi Zakaria, appuie la naissance des organisations syndicales ouvrière (UGTA), commerçante (UGCA) et estudiantine (UGEMA), qui deviendront, à leur tour, un terreau pour la révolution. La structuration politique du mouvement national et les luttes internes Abane Ramdane s'attellera, entre autres grands chantiers qu'il a mis en place, à superviser la rédaction d'une base doctrinale destinée à compléter et à affiner les objectifs contenus dans la proclamation du 1er Novembre 1954. Appuyé par Larbi Ben M'hidi, il fait adopter au Congrès de la Soummam du 20 août 1956 un statut pour l'Armée de libération nationale (ALN) devant se soumettre aux «lois de la guerre», et surtout, devenir une plate-forme politique dans laquelle est affirmée la «primauté du politique sur le militaire et de l'intérieur sur l'extérieur». Il est désigné comme l'un des 5 membres d'un directoire politique national, le Comité de coordination et d'exécution (CCE), chargés de coordonner la «révolution» et d'exécuter les directives de son Conseil national (CNRA) créé à cet effet. C'est Abane Radmane qui décide avec Larbi Ben M'Hidi de déclencher la bataille d'Alger, durant laquelle, en mars 1957, après l'arrestation et l'assassinat de Ben M'hidi, et la traque de Yacef Saadi, les réseaux FLN à Alger, poussés par la 10e division parachutiste du général Massu, s'effondrent. Abane avec les trois autres membres du CCE doivent alors quitter la ville. Il gagne Tunis via le Maroc, après une longue marche de plus d'un mois, et la traversée de tout l'Ouest algérien. Dans la capitale tunisienne, il se heurte aux colonels de l'ALN. A ces derniers qui investissent en force les organes dirigeants de la révolution (CCE et CNRA), il reproche une dérive autoritariste et l'abandon de la primauté du politique et de l'intérieur, adoptée à la Soummam, ce qui lui vaut les inimitiés qui conduiront à sa perte. Victime des luttes internes entres les colonels, partisans du pouvoir militaire, et les défenseurs du primat accordé au politique, il est assassiné au Maroc sur l'ordre des «colonels» du CCE (Comité de coordination et d'exécution), le 27 décembre 1957, dans une ferme proche de la ville marocaine de Tétouan. Son corps, disparu, est symboliquement rapatrié en Algérie, en 1984, pour être «inhumé» au carré des martyrs du cimetière d'El Alia, à Alger. G. H.