“Abane Ramdane avait le sens de l'urgence et de la décision. C'était un homme tranchant, carré et entier. C'était quelqu'un qui avait des convictions et qui parlait avec force. Mais il était très modeste et très correct dans ses relations avec les gens”. Ce portrait moral de l'architecte du mythique Congrès de la Soummam, qu'on a souvent surnommé “le Robespierre de la Révolution algérienne”, correspond à celui dressé par Rédha Malek lors d'une conférence animée, hier, au siège du quotidien El Moudjahid. Une rencontre organisée par ce journal, en collaboration avec la Fondation Macha'âl Echahid à l'occasion de la commémoration du 45e anniversaire de l'assassinat de l'enfant d'Azouza, par ses “frères” de combat, à Tétouan, un certain 23 décembre 1957. L'ex-Chef du gouvernement reconnaît à l'homme bien des qualités : le courage, la modestie, la force des convictions, la capacité de décision… Il a dit de lui que c'était le grand organisateur du Front de libération nationale (FLN). “C'était lui qui avait réorganisé les réseaux de militants disloqués et défaits en leur donnant une direction unitaire.Tout comme il avait su donner à ces mêmes militants une conscience claire et élever leur niveau politique”, a-t-il témoigné. Rédha Malek a également évoqué des moments de la vie militante de Abane Ramdane, en lui attribuant beaucoup d'actions : la création des organisations de masse, comme l'UGTA et l'UGCA, le rétablissement du contact entre les différentes régions du pays, mais aussi entre les dirigeants révolutionnaires, la rédaction du premier tract après celui du 1er Novembre 1954, la création du journal El Moudjahid et de l'hymne national, le ralliement au FLN des partis des différents courants nationalistes (UDMA, centralistes, les ulémas et les communistes)… Ce qui a valu à Abane le titre de “rassembleur” qui “a vite compris qu'il fallait faire un véritable front contre le colonialisme. Ce faisant, il a su aussi créer un contre-pouvoir, une nouvelle autorité. Ainsi, le peuple algérien a reconnu la force et la crédibilité de cette organisation. Une véritable organisation, puissante et combattante qu'on a tissée à l'échelle nationale. Le mérite de Abane Ramdane est aussi de s'être donné “une stratégie d'ouverture” en faisant tout pour rassurer la communauté juive quant à son avenir dans l'Algérie indépendante. La tenue du Congrès de la Soummam est son autre grand mérite. Mais avec le concours de cette autre grande figure de l'histoire nationale, Larbi Ben M'hidi avec lequel il avait constitué “un tandem” et dont le soutien lui avait conféré “force et influence”. Un congrès — Abane et Ben M'hidi en sont les grands artisans — qui avait doté la Révolution d'“une stratégie” et d'“un socle idéologique”. Dans la plate-forme qui avait sanctionné les travaux de cette rencontre historique, il était clairement stipulé que la Révolution algérienne “n'est pas une guerre civile, ni une jacquerie, mais une lutte nationale visant la liquidation d'un système colonial anarchique” pour instaurer à sa place une “République démocratique et sociale dans le cadre des principes de l'islam”, une République moderne “ouverte sur les réalités nationales et contemporaines”. Pour Rédha Malek, cette plate-forme “avait donné un visage au FLN” et conféré à la Révolution algérienne “un rayonnement mondial”. Bien plus, elle avait forcé le respect de l'ennemi. La doctrine de Abane était simple, indique Rédha Malek, c'est l'indépendance totale de l'Algérie en récusant toute idée de négociation avant la satisfaction du préalable de la reconnaissance de l'indépendance. Aussi, les accusations de trahison qu'on essaye de coller sur le tard à Abane le révulsent. “C'est très bas. Ce n'est rien d'autre que de la provocation, du bavardage”, s'est-il indigné. Comme pour illustrer les retournements de situation, Rédha Malek a confié : “Au sortir de la prison en 1956, Benkhedda avait voulu discuter avec un des dirigeants du FLN pour rejoindre la Révolution. Vu la difficulté des contacts en Algérie, il s'était envolé vers Rome pour rencontrer Ahmed Ben Bella. Ce dernier lui avait suggéré de s'adresser à… Abane Ramdane, le seul à même de prendre une décision”. “Les idées de Abane ne sont pas mortes. Elles sont toujours d'actualité. Son message reste encore à approfondir”, a-t-il encore soutenu. En prenant la parole, Abdelhamid Mehri dira de Abane : “Il était un nationaliste sincère et un militant très discipliné. Son apport à la Révolution algérienne était des plus grands. Mais il ne faut pas omettre que l'essentiel de ses idées, il les a puisées de l'école du Parti du peuple algérien (PPA)”. Selon lui, Abane considère que la révolution, à son déclenchement, accusait un vide organisationnel et qu'elle ne pouvait réussir qu'avec l'unification de toutes les forces nationalistes. “Il a ouvert les portes de la Révolution à tous les Algériens”, a-t-il reconnu. Ce qui est à déplorer, c'est que les circonstances de l'assassinat ont été tout bonnement éludées. Dommage ! A. C.