De notre correspondante à Tlemcen Amira Bensabeur Le droit à l'éducation est un droit consacré comme l'atteste son inscription dans les textes fondamentaux nationaux et internationaux, comme il est également inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l'Homme du 10 décembre 1948. C'est ainsi que, dans les écoles aussi bien que dans les familles, ce droit de l'enfant doit être accompagné, voire précédé, du respect et de la garantie d'autres droits tout aussi fondamentaux sinon primordiaux : le droit à l'intégrité physique et le respect de l'intégrité morale.Or, ce n'est pas le cas dans certains établissements scolaires, qu'ils soient écoles, collèges ou lycées, dans la wilaya de Tlemcen, à l'instar d'autres villes algériennes. Plusieurs enfants sont malheureusement victimes de cette violence qui parfois dépasse le seuil de l'acceptable, si tant est qu'on puisse accepter de voir frapper son enfant. D'ailleurs, bon nombre de parents ont assigné en justice des enseignants qui ont dépassé la mesure de la punition et ont blessé leurs enfants. Mais c'est une minorité. En effet, de nombreux pères estiment que le châtiment est un moyen de se faire respecter par l'élève et d'imposer la discipline, ce qui amènera l'enfant à préparer ses leçons, faire tous ses devoirs et réviser, de peur d'être puni, donc à surmonter ses difficultés et avoir de bons résultats scolaires.Ainsi, ces pères s'accommodent de cette violence. Tapes sur les mains, cheveux et oreilles tirées sont bien tolérés, à condition d'être utilisés avec mesure. Certains parents et enseignants iront jusqu'à soutenir que l'école de jadis, avec ces méthodes, a produit des génies et déplorent qu'elle soit devenue aujourd'hui une garderie où l'on enferme ceux dont le tour n'est pas encore arrivé pour les livrer au chômage et à la rue. Ils deviendront des trabendistes, vendeurs à la sauvette ou simplement des «hittistes», attendant l'occasion de devenir riche ou, mieux, de partir ailleurs.Si certains parents voient en ce genre de pratiques une méthode éducative très efficace, d'autres jugent ce comportement illégal. Il est d'ailleurs strictement interdit par l'Etat, et l'ensemble des établissements scolaires ont été destinataires de circulaires ministérielles instruisant les directeurs de veiller à l'application du règlement qui prohibe tout châtiment corporel d'un élève et sanctionne tout éducateur qui s'en rend coupable. Cependant, la question qui demeure posée par de nombreux observateurs et fait toujours débat est de savoir si le châtiment corporel mesuré peut vraiment contribuer à une bonne éducation. Sur un autre chapitre, on relève dans les établissements scolaires, du moins ceux de la région de Tlemcen, un autre type de violence qui est devenu depuis quelques années un sujet d'actualité : les enfants eux-mêmes, qui deviennent violents aussi bien dans leurs rapports avec les autres enfants qu'avec leurs enseignants. De plus en plus de collégiens et de lycéens ne respectent plus ni le règlement ni l'enseignant. Certains enseignants ont même été agressés par des élèves aussi bien dans l'enceinte de l'établissement qu'en dehors. L'école algérienne semble manquer à sa mission. Chaque année, ce sont des milliers de recalés et des centaines d'exclus. La famille ne joue plus son rôle de premier responsable, et l'enseignant qui était jadis un guide respectueux a fini par baisser les bras. Selon le chercheur et universitaire Ali Lecherbet, qui a longtemps travaillé sur le sujet en question, la première difficulté a trait à la définition de la violence scolaire ainsi qu'à sa «construction comme objet de recherche». «La violence scolaire nous renvoie à une réalité sociale faite d'une multitude de comportements et d'actes hétérogènes qu'il faudra traiter en vue de résoudre la problématique diversité qui les caractérise. En effet, les actes et comportements considérés par les différents acteurs du monde scolaire comme expressifs d'une violence se situent dans un large registre allant du simple chahut en classe jusqu'aux coups et blessures par armes blanches», dira le chercheur. M. Lecherbet n'a pas manqué dès lors de se poser la question de savoir concrètement «à quelle norme ce critère de définition devra se référer : est-ce à la norme administrative de l'institution scolaire représentée par les règlements et l'ordre en vigueur, au vécu des personnes ou plutôt à une valeur morale ? Appartient-il alors au chercheur de définir la violence selon sa représentation personnelle des choses ou bien devra-t-il recourir à la définition qu'en donnent les différents acteurs du monde scolaire et principalement les enseignants, les élèves et l'institution scolaire elle-même ?» «Pour des raisons d'efficacité et d'économie, a-t-il précisé, on a tenté de régler ce délicat problème en retenant comme cas de violence tous actes et comportements traités par les conseils de discipline et figurant dans les procès-verbaux au service de l'organisation pédagogique de la Direction de l'éducation de la wilaya de Tlemcen […]. En plus du fait de nous offrir une somme d'informations systématiques sur les actes de violence scolaire qui se sont déroulés à travers tout le territoire de la wilaya, les procès-verbaux en question nous ont permis de cerner l'importance du phénomène dans la vie des établissements scolaires, la variété des actes de violence ainsi que le traitement qui leur est réservé par ces conseils», indiquera-t-il. «Ce qui n'est pas un mince bénéfice par rapport au recours à l'enquête qui, pour être aussi avantageuse, devra employer beaucoup de moyens humains et matériels dont nous ne disposons pas. Nous avons conscience par ailleurs que le travail sur les archives nous empêche d'avoir accès aux interprétations des acteurs relatives à la violence et principalement celles des élèves qui, dans la quasi-totalité des cas de conseils de discipline, sont présentés comme ‘‘fauteurs'' et dont le point de vue n'est jamais pris en compte par l'institution scolaire. Les archives nous offrent cependant la possibilité de disposer de la version écrite des ‘‘victimes'' qui le plus souvent appartiennent à la catégorie des enseignants», ajoutera le chercheur.La seconde difficulté «a trait à la pertinence (ou pas) de la violence scolaire. Comment traiter cette question ? Faudra-t-il, pour être pertinent, se focaliser sur la proportion du nombre des ‘‘élèves violents'' par rapport à l'ensemble de la population scolaire ? Ou bien faudra-t-il considérer la violence scolaire comme une réalité psychosociale en prenant en considération comme indicateurs les impacts (comme le traumatisme psychologique et le ‘‘désordre'' pédagogique) qu'elle produit sur les personnes, la classe et l'institution scolaire ?»François Dubet résume bien la problématique de la violence en écrivant sans détour : «Autant il est nécessaire de condamner la violence et toutes violences, autant il ne faudrait pas que cette condamnation dispense de comprendre et laisse croire au monde de l'école qu'il n'est que la simple et innocente victime de violences venues d'ailleurs. Même si ceci est largement le cas, ça ne l'est pas toujours parce que l'école peut exercer une forme de violence, et ceci très au-delà des intentions des individus qui la font vivre.»