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Les Sahraouis se nourrissent d'espoir sur les terres arides de Mijek
Face à l'occupant marocain et aux dures conditions de la vie dans la hamada
Publié dans La Tribune le 21 - 10 - 2010


Photo : S. Zoheïr
De notre envoyé spécial au Sahara occidental
Lyes Menacer
Au bout de cinq jours de route, à bord d'un camion surchargé, sous un soleil de plomb, les jambes de Aziza peuvent enfin fouler le sable doré de Mijek, une zone militaire située dans les territoires libérés par le Front Polisario, dans le Sud-Est du Sahara occidental, frontalier avec la Mauritanie. Aussitôt arrivée, en compagnie de sa famille en provenance du camp de réfugiés de S'mara, cette jeune fille au sourire inimitable se met avec les autres membres de sa famille à installer sa tente, à proximité de celles déjà en place appartenant à d'autres familles sahraouies, venues d'autres camps à Tindouf. Guebla (un dérivé du mot arabe guabel signifiant en français «accueillir» pour le peuple sahraoui), la sœur cadette de Aziza s'est déjà mise à préparer un thé que se partageront les
soldats qui les ont aidés à monter leur campement pour la semaine que vont durer les festivités du 35e anniversaire de la proclamation de l'unité nationale des Sahraouis, un rendez-vous qui coïncide avec le 12 octobre de chaque année. Le gouvernement de la République arabe sahraouie et démocratique (RASD) a décidé de célébrer cet évènement historique, pour l'année 2010, dans la localité de Mijek qui se trouve à moins de 90 km de la ville mauritanienne Zouérate, mais à près de mille kilomètres des camps de réfugiés de Tindouf. Des Sahraouis habitant le nord et le nord-ouest du pays voisin, la Mauritanie, ont d'ailleurs fait le déplacement pour assister à cette fête grandiose qui a permis au peuple sahraoui de réaffirmer son unité et sa détermination à arracher sa liberté face à l'occupant marocain. «Nous avons mis trois jours pour arriver à Mijek et notre camion est tombé en panne deux fois de suite. Nous sommes un peu fatigués par le voyage, mais nous sommes contents d'assister à la fête et de servir notre thé aux invités», déclare la mère de Aziza qui, contrairement à sa sœur cadette, affirme, avec le même sourire à l'accent de ses ancêtres hassaniyines, n'avoir pas encore appris à préparer le thé pour lequel sont connus les gens du désert. Aziza se dit toutefois douée pour la couture et la cuisine, même si la vie dans les camps de réfugiés ne permet pas au peuple sahraoui de manger à sa faim. Car, sans l'aide humanitaire internationale, la situation aurait été plus dramatique.
Mijek, un désert où pousse l'espoir
Mijek ou l'aigle en berbère, tire son nom des montagnes qui l'entourent. Elle n'est qu'une vaste hamada (désert rocheux et aride) où le soleil brûle la peau même en hiver. L'atil, une plante qui défie sans relâche l'aridité du sol, a remplacé à Mijek la pâte dentifrice qui est aussi rare que l'eau potable. «C'est notre brosse à dents», dira fièrement Minetto, 23 ans, le sourire en coin. Le difficile, voire l'impossible accès aux moyens d'une vie moderne n'a rien entamé du courage et de la ténacité des Sahraouis à supporter une nature hostile à toute présence humaine ou animale. Ce peuple digne et solidaire a plutôt su s'y adapter au point d'en faire le quartier général de sa troisième région militaire. La Minurso dispose d'une antenne dans cette zone où il arrive parfois aux soldats sahraouis de croiser quelques familles nomades près de leurs casernes et des points de contrôle implantés à travers tous les endroits susceptibles de servir de lieu de passage des terroristes et des contrebandiers. Ce sont eux, ces jeunes militaires, qui sillonnent des centaines de dizaines de kilomètres carrés avec leurs camions-citernes pour alimenter les populations nomades en eau potable. «L'eau qui est ici est trop salée. Nous l'utilisons juste pour nous laver», déclare M'barka qui explique pourquoi il n'existe aucun espace cultivé pour l'agriculture à Mijek. Les soldats de la RASD, dont la première mission est de lutter contre l'occupation marocaine du Sahara occidental, fournissent aussi de la nourriture, des vêtements et des couvertures aux nomades pour se protéger du froid hivernal. Ils sont souvent accompagnés par des médecins armés non pas de fusils, mais de médicaments pour prodiguer les soins nécessaires aux enfants ou aux femmes éreintés par les dures conditions de vie dans cette partie libérée du Sahara occidental. «Les Marocains ont pris les terres fertiles et riches en minéraux et ils nous ont fourgué cet immense désert de pierres et de sable», fait remarquer Mouloud, un jeune soldat âgé à peine de vingt-deux ans. Pour lui, les négociations menées depuis 1991, sous l'égide des Nations unies, font gagner du temps aux Marocains, alors que la population sahraouie semble de plus en plus convaincue de la nécessité d'une reprise des armes pour reprendre le contrôle de la terre qui lui appartient. Mais les autorités de la RASD veulent donner une autre chance au nouveau médiateur de l'ONU, l'ancien diplomate américain Christopher Ross, pour obliger le royaume chérifien à respecter le principe de l'autodétermination des Sahraouis.
Le 13e congrès du Front Polisario, qui devait se tenir fin 2009 avant son report jusqu'en 2011, devrait trancher cette lancinante question. En attendant, l'option de la lutte armée fait tranquillement rallier, de jour en jour, de nouveaux partisans, y compris chez les membres du parti les plus influents.
La femme pour écrire l'histoire de la RASD
Dans son livre témoignage sur la guerre d'invasion russe de l'Afghanistan, publié en 1990 et intitulé Les Cercueils de zinc, la journaliste soviétique Sveltana Alexievitch notait d'emblée que «les animaux, les poissons, les oiseaux ont aussi, comme tout ce qui vit, leur histoire, et il se trouvera bien quelqu'un pour l'écrire». La présence des femmes aux festivités du 35e anniversaire de la proclamation de l'unité nationale sahraouie répond, en fait, à cet autre impératif qu'est l'écriture de l'histoire de la résistance de tout un peuple contre un occupant qui bénéficie de la complicité tacite de l'ancien colonisateur, l'Espagne, et du soutien de la France dont les valeurs «liberté, égalité et fraternité», qui faisaient sa fierté, ont été quasiment englouties par les gisements de phosphate, de fer et d'uranium qu'exploitent les entreprises de Rabat dans les territoires sahraouis occupés. Le visage caché par un fin morceau de tissu de couleur bleu azur, Saadia, la mère de Guebla et de Aziza, déclame quelques poèmes faisant l'éloge des combattants sahraouis. Elle le fait dans le dialecte hassani qu'elle maîtrise aussi parfaitement que l'espagnol, la première langue étrangère du peuple sahraoui après l'arabe mélangé au berbère. Le visage creusé par les rides, elle garde toutefois ce sourire empreint de dignité couplé d'espoir, et qui semble être inné chez ce peuple du désert. Pendant que les hommes apprennent à manier les armes, les femmes sahraouies les observent en tissant des odes patriotiques semblables à la Chanson de Roland, le célèbre poème épique relatant l'exploit de ce soldat parti à la reconquête de l'Andalousie, sous le règne de Charlemagne à la fin du XIe siècle de notre ère. Présent à Mijek pour la soirée de clôture des festivités du 35e anniversaire de la proclamation de l'unité nationale, le président de la RASD, Mohamed Abdelaziz a suivi attentivement certains poèmes que des voix sublimes avaient magistralement interprétés en dépit de la mauvaise qualité de la sonorisation. Du haut de la scène qui a vu défiler plusieurs groupes de chanteurs professionnels et amateurs, le président de la RASD a vainement tenté de calmer les ardeurs des Sahraouis présents à la fête en leur demandant de patienter quelques mois avant de décider de l'avenir du cessez-le-feu signé en 1991 avec l'occupant marocain. Car la réponse de ces centaines de personnes, qui ont marché pendant près d'une semaine pour atteindre Mijek, était négative. Pour eux, seule la lutte armée, en rangs serrés, peut leur octroyer l'indépendance et la liberté qu'ils cherchent depuis 1975. Ils le crient en souriant. Ils savent que le Maroc s'est réarmé ces dernières années et que la guerre ne sera pas une partie de plaisir. Mais ils croient en leur foi et en la justesse de leur combat. C'est cela qui explique peut-être l'éternel sourire de Aziza qui espère séjourner avec son futur mari, pour son voyage de noces, dans l'une des villes occupées par l'armée royale. En attendant, elle doit aider sa mère, sa sœur cadette Guebla et son frère Mustapha à démonter leur grande tente et faire le voyage du retour à bord du même camion qui les a transportés de S'mara jusqu'à Mijek.
L. M.
Après 21 ans d'exil à Cuba, il revient au pays pour créer sa propre école de musique
Ibrahim a trente-cinq ans et il a déjà à son actif vingt et un ans d'exil à Cuba où il est parti en 1989 pour poursuivre des études en musique. Il est rentré au Sahara occidental depuis à peine six mois, dit-il. «Je veux participer à l'effort de guerre contre le Maroc autrement qu'avec les armes», explique-t-il, précisant qu'il est revenu pour créer sa propre école de musique pour prendre en charge les jeunes talents qui foisonnent dans les camps de réfugiés de S'marra, de Rabouni et du 27-Février où il existe déjà de nombreux groupes musicaux professionnels et amateurs. Ibrahim ne s'est pas lancé seul dans cette aventure. Des jeunes comme El Ouali, âgé de 21 ans seulement, ou son aînée de deux ans Hassina participent activement à la concrétisation de ce projet. Mais Ibrahim ne dispose pas encore d'un siège pour abriter son école de musique. Il se contente d'une petite salle que les autorités sahraouies lui ont dénichée au camp du 27-Février, le seul à être alimenté en électricité. «Nous avons entamé les démarches pour la construction de notre propre siège mais les financements manquent terriblement. Nous avons fait plusieurs demandes de dons pour réaliser notre projet et acheter le matériel musical nécessaire pour former les jeunes musiciens.». Cet appel d'Ibrahim sera-t-il entendu ?
L. M.
Des poètes arabes publient un recueil pour exprimer leur soutien au peuple sahraoui
Errih la takfi el-wahid (Le vent ne suffit pas au solitaire) est un recueil de dix poèmes, œuvre de sept poètes originaires de plusieurs pays arabes. Réunis autour de Amir Echouaâra (Le prince des poètes), Sidi Mohamed Ould Bimba de Dubaï, ces artistes ont pris position en faveur de la cause sahraouie. «Des entrailles du silence arabe envers la question sahraouie, des lamentations des veuves sahraouies et de l'effusion du sang de la plaie sahraouie, est né ce Diwan (recueil de poèmes)», note Mohamed Val Ould Sidi Mileh dans la présentation du livre. Pour cet auteur mauritanien, «Errih la takfi el-wahid» est une guerre contre le silence arabe. Saluant le courage de ces poètes qui ont vu de leurs propres yeux les désastreuses conséquences de l'occupation marocaine sur le peuple sahraoui, l'écrivain mauritanien se dit consterné de voir «des organisations humanitaires sud-africaines et latino-américaines distribuer vivres et vêtements pendant que les pays arabes assistent indifférents au drame du peuple sahraoui». C'est une «honte», ajoute-t-il pour résumer sa colère et celle des sept poètes qui ont brisé le silence et porté en dehors des camps de réfugiés la voix de ces femmes et enfants qui se nourrissent de patience et d'espoir. Le coauteur de ce Diwan, Sidi Mohamed Ould Bimba, n'a pas manqué de marquer de sa présence la cérémonie d'ouverture et de clôture des festivités du 35e anniversaire de la proclamation de l'unité sahraouie qui ont été organisées cette année à Mijek où la poésie est devenue le langage des populations sahraouies nomades pour lutter contre l'âpreté de la vie dans le désert d'une part et garder un œil éveillé sur l'occupant marocain d'autre part.
L. M.
Les enfants abandonnent leurs études pour subvenir aux besoins de leur famille
Au drame d'une guerre imposée par un royaume vulgairement expansionniste s'est ajoutée la difficile survie des réfugiés sahraouis dans les camps de Tindouf. Des enfants qui avaient une chance inouïe de réussir leur parcours scolaire ont décidé, malgré eux, de ne plus se rendre à l'école. Ils sont orphelins dans leur majorité ou de parents divorcés. Pour subvenir aux besoins de leur famille, ils décident donc de déserter les bancs de l'école pour aller chercher de quoi se nourrir. El Ouali est l'un d'eux. Doué en musique, il anime des fêtes et des soirées musicales avec son synthétiseur pour protéger sa mère et ses sœurs de la faim et du vagabondage. «J'ai délaissé mes études moyennes parce que nous n'avons pas de quoi manger à la maison», explique El Ouali qui n'a pas souhaité aller plus loin dans son récit. Hassina, 23 ans, poursuivait tranquillement son cursus scolaire dans un collège de Mascara, en Algérie, avant de rentrer chez elle dans le camp de réfugiés du 27-Février à Tindouf, pour rester auprès de sa mère malade. «Ma mère est toujours malade et il n'y a personne à la maison pour s'occuper d'elle et de mes petits frères», raconte-t-elle en nettoyant consciencieusement la viande de dromadaire qui sera découpée plus tard en petits morceaux et asséchée. El Ouali et Hassina ne sont qu'un exemple de ces enfants sahraouis qui abandonnent les bancs de l'école pour gagner de quoi subsister. S'il n'existe aucune statistique pour mesurer l'importance de la déperdition scolaire, il est certain que beaucoup d'enfants sahraouis cessent de se rendre à l'école avant d'atteindre le secondaire.


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