Photo : S. Zoheïr De notre envoyé spécial à Tindouf et à Tifariti Ali Boukhlef «Nous, femmes sahraouies, tout comme l'ensemble de notre peuple, sommes prêtes à prendre les armes pour combattre l'occupant marocain et récupérer nos terres.» Assise sur une nappe, et tout en préparant le thé pour les invités suivant un rituel des gens du désert, Aminatou se livre à un discours politique des plus élaborés. C'est que, derrière sa gandoura, la tenue des Sahraouis, cette fonctionnaire du ministère des Affaires sociales de la République arabe sahraouie démocratique cache l'âme d'une militante dévouée à la cause de son peuple. Comme des milliers de Sahraouis, dont le nombre exact est difficile à fournir, Aminatou vit dans les camps des réfugiés près de la ville de Tindouf. C'est dans l'un de ces centres de regroupement, appelé 27 Février, en référence à la date de la proclamation de la RASD en 1976, que nous avons rendu visite à cette dame, dont le mari vit depuis des décennies en Espagne. Entourée de ses filles et de voisines, Aminatou semble être de ces femmes qui font autorité dans les camps des réfugiés. Parce qu'en plus de son travail comme fonctionnaire du gouvernement de Mohamed Abdelaziz, cette dame est aussi une militante engagée dans l'action humanitaire. Elle s'occupe des femmes du camp comme elle le fait pour ses propres filles, toutes aussi éveillées que leur mère. De la politique, elle en connaît. Elle ne mâche pas ses mots à la première question de la délégation de journalistes algériens qui lui ont rendu visite, en ce 18 mai, la veille de la célébration du 35e anniversaire du déclenchement de la lutte armée et de la création du Polisario (Front populaire pour la libération de la Sakia El Hamra et Rio de Oro). «Nous avons assez souffert du colonialisme. Il n'y a que les armes qui peuvent nous débarrasser des tyrans», tranche Aminatou qui, comme beaucoup de ses concitoyens rencontrés dans les camps des réfugiés, ne cache plus sa volonté de reprendre les armes. Elle explique que ce n'est pas tant la volonté de tuer qui l'anime, mais parce que le problème du Sahara occidental est dans l'impasse. Elle parle de la guerre comme elle parle d'un trésor retrouvé. Sûre d'elle, Aminatou affiche une conviction inébranlable. Elle estime que son peuple ne fait pas face simplement au Maroc, mais aussi à l'ONU qui, selon ses dires, a fait beaucoup de concessions au royaume de Mohamed VI. Et lorsqu'on aborde avec elle les rumeurs marocaines selon lesquelles il y aurait des dépassements dans les camps des réfugiés, elle affiche un sourire sarcastique. Moqueur. «Je ne sais pas qui viole les droits de l'homme. Que les Marocains aient le courage de laisser les gens s'exprimer comme vous êtes en train de le constater ici», répond Aminatou, qui vient de rentrer de Laayoun, dans les territoires occupés, où elle a rendu visite à son père qu'elle n'avait pas vu depuis 30 ans. «Les droits de l'Homme n'ont jamais été violés» Elles sont, en effet, très nombreuses les familles sahraouies qui ont été séparées par l'invasion de leur pays par les forces marocaines en 1975. Des familles entières ont laissé leurs proches pour fuir la guerre et la misère et traverser les frontières pour s'installer près de Tindouf. Pour rester attachés à leur pays, que beaucoup ne connaissent pas, les Sahraouis ont reconstitué les villes et les localités aujourd'hui occupées par le Maroc. On retrouve par exemple des camps qui s'appellent Dakhla, Laayoun et Smara. Mais à part le nom, ces bidonvilles, qui manquent pratiquement de tout, ne ressemblent pas aux villes situées derrière le mur installé par le Maroc pour séparer ce peuple en deux. Ici, les habitations donnent plutôt l'image des favelas brésiliennes ou des bidonvilles d'Alger ou de Casablanca. L'eau, les routes et les autres espaces sociaux au moins. Sauf que, dans le camp de 27-Février, les habitants ont de l'électricité. Il y a même des paraboles qui apparaissent ici et là. L'eau est acheminée par des camions citernes à partir de Tindouf et distribuée aux habitants qui la mettent dans des réservoirs métalliques exposés à la chaleur infernale qui règne tout au long de l'année. Aux alentours du village, des boutiques de fortune sont installées. Construites généralement avec des plaques de zinc usagée, ces débits proposent toutes sortes de produits. On retrouve même des taxiphones qui vendent les cartes de recharge du téléphone mobile. Mais, en réalité, ce ne sont pas ces «épiceries» qui font vivre les habitants. C'est plutôt l'aide humanitaire. Parce qu'en plus de l'absence de statut, la majorité des familles n'ont aucune ressource. Et ceux qui travaillent ne touchent que des salaires symboliques qui ne leur permettent même pas de se nourrir pendant un mois. La preuve en est qu'en 2005, une famine avait menacé la majorité des habitants des camps des réfugiés sahraouis à cause de la rupture des stocks alimentaires. Une rupture provoquée par la diminution de l'aide internationale. La catastrophe n'a été évitée que grâce à l'intervention salutaire de l'Algérie, grâce notamment à une campagne nationale de collecte de produits alimentaires. Une école, un centre socioculturel et une aire de jeu sont aussi improvisés par les autorités sahraouies pour offrir des espaces de distraction et d'enseignement aux jeunes. Même si la majorité de la classe juvénile, tout comme une bonne partie des hommes, sont souvent absents. Ils se sont engagés dans l'Armée de libération du Sahara, qui comptent quelque 20 000 soldats. Un peuple pauvre, mais digne Cette armée, très mal équipée, semble cependant très motivée. Loin d'être une armée classique, l'ALS compte des éléments de tous les âges. Des plus jeunes, dont certains sont engagés à partir de 14 ans, aux plus vieux –l'ALS compte de simples soldats parfois septuagénaires- et même des femmes, tous sont engagés pour un seul combat : libérer leur pays. A défaut d'installer des populations, en dehors des nomades, les autorités sahraouies ont créé, dans les territoires libérés, soit un tiers de la superficie totale du Sahara occidental, sept zones militaires. Celle de Tifariti en est la deuxième. Tifariti est une localité symbole. Située au cœur du désert, à 330 km de Tindouf, cette bourgade est l'emblème de la libération pour les Sahraouis. C'est elle qui abrite les festivités de la RASD et autres congrès du Polisario. Même si elle n'est peuplée que de militaires et de quelques nomades qui gravitent autour, Tifariti abrite quand même quelques institutions. On retrouve un bâtiment du ministère des Affaires sociales, un hôpital construit par des ONG espagnoles et un bloc qui contient, en plus de certains bureaux, une cantine et une salle de conférences. Et pour faire les choses en grand, la RASD compte y construire un siège du Parlement et, grâce à un don sud-africain, un complexe sportif qui compte un stade de football répondant aux normes internationales. Pour accueillir les invités des festivités officielles, comme c'était le cas le 20 mai dernier à l'occasion de la célébration du 35e anniversaire de la création du Polisario et du déclenchement de la lutte armée, les autorités sahraouies font acheminer, dans des camions, des populations qui y installent des tentes à l'occasion. Cet engagement des populations, d'une humilité et d'une dignité incroyables, est la preuve que, malgré la répression et le dénuement, les Sahraouis restent attachés à leur cause. L'engagement du peuple sahraoui ne fléchit pas. Bien au contraire. Et malgré les difficultés, ces révoltés tiennent bon. Et la communauté internationale reste les bras croisés devant les drames de cette dernière colonie d'Afrique qui n'arrive toujours pas à recouvrer son indépendance, cinquante ans après les mouvements de libération.