La nation arabe a failli devant la question palestinienne. C'est le constat fait par Azmi Bishara, politique et philosophe arabe israélien, lors d'une conférence débat en marge du 15e Salon international du livre à Alger. Selon lui, le souci des régimes arabes à garder le pouvoir entre une poignée de personnes a conduit à la destruction de la nation arabe, ce qui a permis à l'occupant israélien d'affaiblir la partie palestinienne, divisée par les luttes internes entre le Hamas et le Fatah du président palestinien Mahmoud Abbas. Contrairement aux Israéliens, «il n'existe pas chez les Arabes le ‘‘nous'' capable de constituer notre dénominateur commun et qui peut nous permettre de dialoguer avec les autres», a-t-il expliqué. Pour cet intellectuel exilé à Dubaï qui a ouvertement critiqué l'attaque israélienne du sud du Liban en 2006, il existe une ressemblance dans la nature des régimes arabes dits démocratiques et les régimes monarchiques. «Le pouvoir doit se reposer sur un vécu social, politique et économique réel», a-t-il dit. Or, ce n'est pas le cas au sein de la nation arabe où les Etats ont été privatisés par les tenants du pouvoir. «Je suis scandalisé de voir l'ampleur qu'a prise la corruption depuis la fin des années 1950 d'une part et l'attitude des dirigeants arabes qui ont marginalisé les partis et les autres institutions politiques d'autre part», a-t-il dénoncé. «Les nouvelles classes régnantes, issues des mouvements d'indépendance, ont détruit l'économie productive publique. Les nouveaux investisseurs sont liés, directement ou indirectement, par les liens de mariage par exemple aux membres de la classe gouvernante. Cela empêche donc la naissance d'une véritable économie libérale dans nos pays où la croissance économique ne va pas de pair avec le développement culturel, politique et social de nos sociétés», a ajouté Azmi Bishara dans une salle archicomble, précisant que «le concept de la sécurité du peuple a été remplacé par celui de la sécurité des régimes politiques». Pour lui, les mêmes personnes ont décidé de la politique de leurs pays respectifs, des choix économiques. L'auteur du Checkpoint, un roman sur l'occupation israélienne de la Palestine, s'est consterné par la «légitimation de l'occupation étrangère» de l'Irak par les Irakiens eux-mêmes, pour ne citer que cet exemple. «La légitimation de l'occupation étrangère dans n'importe quel pays arabe, pour détrôner le régime en place, constitue la première erreur que nous avons faite», a-t-il estimé. Car, cela a contribué à la destruction de notre identité en tant que nation arabe. «Et l'appartenance à la nation arabe est avant tout une appartenance culturelle et civilisationnelle, et non pas idéologique ou ethnique», a-t-il expliqué, convaincu que les médias peuvent jouer un rôle déterminant dans la construction de ce qui est appelé sous le nom générique de «nation arabe». Azmi Bishara a expliqué, à travers son exposé, que la cause palestinienne n'est pas seulement celle des Palestiniens, mais celle de cette nation arabe qu'on doit construire ensemble. Toutefois, il n'est pas possible de concrétiser un tel vœu sans l'association de l'élite arabe, dont le silence a été ouvertement dénoncé par le conférencier, devenu depuis 2001 un habitué de la chaîne qatarie Al Jazeera pour ses positions courageuses concernant le droit du peuple palestinien à disposer de son propre Etat. M. Bishara a ajouté, par ailleurs, que l'attitude des pays arabes envers la Palestine a changé avec le changement de leurs propres intérêts, ce qu'il considère comme indigne de la part de ceux qui sont censés être les premiers à apporter leur soutien à la cause palestinienne. «Nous n'avons pas le droit d'abandonner le peuple palestinien et de dire par la suite que c'est lui qui n'arrive pas à faire face à l'occupant israélien», a-t-il expliqué, ajoutant que les Etats-Unis utilisent la question palestinienne et les négociations de paix israélo-palestiniennes pour leurs intérêts. Autrement dit, Azmi Bishara ne semble pas trop convaincu par la reprise des pourparlers de paix dans le Moyen-Orient. Seule l'union des pays arabes en un seul bloc, loin des idéologies locales, des considérations ethniques et religieuses, peut contribuer au renforcement de la lutte pour la libération de la Palestine et d'El Qods occupée des mains des dirigeants israéliens.