Entretien réalisé par Amel Bouakba La Tribune : Le cancer du poumon a pris de l'ampleur ces dernières années dans notre pays, pourquoi, selon vous ? Le professeur Ameur Soltane : Il faut savoir que l'incidence des cancers du poumon, c'est-à-dire le nombre de nouveaux cas diagnostiqués chaque année est directement liée à la consommation du tabac dans un pays (études de l'Organisation mondiale de la santé). Or, en Algérie, les rares études scientifiques qui ont le mérite d'exister montrent clairement que nos enfants sont de plus en plus nombreux à fumer, et qu'ils le font de plus en plus jeunes. Le fait que les cancers du poumon surviennent deux à trois décennies après la première cigarette explique la tendance actuelle qui se manifeste par une augmentation du nombre de cancers diagnostiqués chaque année. La lutte contre le tabagisme étant actuellement marginale dans notre pays bien que l'Algérie ait ratifié la Convention-cadre de lutte contre le tabac de l'OMS fait que cette tendance va se maintenir durant les décennies à venir. Cependant, le tabac n'est pas seul en cause dans la genèse de ces cancers, puisque l'amiante (qui reste un problème très préoccupant dans notre pays, la nouvelle législation ne pouvant effacer miraculeusement tous les méfaits liés à son utilisation pendant des décennies que ce soit dans les secteurs du bâtiment, de l'industrie ou tout simplement de son stockage), et beaucoup d'autres produits sont actuellement considérés comme cancérigènes lorsqu'un individu y est exposé pendant une certaine durée. Ce court survol des causes actuellement prouvées des cancers du poumon montre que ce cancer n'est pas une fatalité car il est possible de lutter efficacement contre cette maladie, et ce, par la prévention. Ainsi, en agissant en amont de la maladie, on peut éviter la survenue d'un grand nombre de cancers du poumon chez nos concitoyens. Pouvez-vous nous donner des statistiques sur cette maladie, sachant que ce cancer est le plus fréquent chez l'homme et tue de plus en plus de personnes du fait que sa découverte se fait tardivement ? Les estimations globales faites par un certain nombre d'experts varient entre 3 000 et 5 000 nouveaux cas de cancers du poumon par an dans notre pays. Certains spécialistes ont même avancé des chiffres plus élevés. Ce qu'il faut retenir de cette bataille de chiffres qui ne repose en 2010 sur rien de vraiment tangible, c'est que les statistiques en question sont très probablement sous-évaluées du fait d'un manque de moyens diagnostiques au niveau national ou du moins dans de nombreuses régions du pays. Il faut savoir, en revanche, que, même si en termes d'incidence, le cancer du poumon peut être dépassé par d'autres localisations du fait que les Algériens vivent de plus en plus longtemps, il demeure de loin, le plus meurtrier, dans la mesure où même dans les pays développés, la survie à cinq ans est de l'ordre de 20% seulement. Comment peut-on lutter contre cette maladie et qu'en est-il de la prise en charge des malades ? Le cancer du poumon est un cancer paradoxal. On sait de manière certaine qu'environ 9 cancers du poumon sur 10 surviennent chez des sujets qui fument. Il devrait normalement suffire d'expliquer cette situation aux millions de fumeurs qui existent en Algérie pour éviter à une grande majorité d'entre eux les affres de cette maladie et les convaincre d'arrêter de fumer.Par ailleurs, il faut savoir que cette maladie lorsqu'elle est diagnostiquée tôt peut être guérissable par la seule chirurgie. Cette dernière étant à ce stade-là, le traitement le plus efficace et le plus efficient. En dehors de la chirurgie, il n'existe aucun traitement ni médicament miracle. D'où la tendance actuelle à élaborer des stratégies de prise en charge thérapeutique qui associent chirurgie, chimiothérapie et radiothérapie pour améliorer les résultats de la prise en charge. C'est d'autant plus nécessaire que la chirurgie ne donne de bons résultats que si le diagnostic est précoce, fait à un stade utile, ce qui n'est pas fréquent. D'autant que, pour le moment, les essais en matière de dépistage en sont à leurs balbutiements. Le cancer du poumon n'ayant pas de signes cliniques qui lui appartiennent en propre, son diagnostic est souvent tardif (et pas seulement en Algérie !). Ce qui explique qu'il est un des cancers les plus meurtriers qui soient, en particulier chez les hommes, car c'est parmi eux que se recrutent les fumeurs. Dans les pays où un grand nombre de femmes fument, cette différence entre les sexes est gommée. Le paradoxe consiste à savoir qu'en évitant les produits du tabac, on pourrait éviter à un grand nombre d'Algériens la douleur et les drames liés à leur consommation. Pour cela, le plus simple est de mettre en application la Convention cadre de lutte contre le tabac (CLATT) de l'OMS, que l'Algérie a ratifiée en 2006 et qui reste pour l'essentiel lettre morte sur le terrain en dehors de la célébration du 31 mai de chaque année comme Journée mondiale contre le tabac. Pour avoir une idée précise de la lutte antitabac, il suffit juste de faire le décompte du nombre de consultations d'aide au sevrage tabagique qui existent et fonctionnent, selon des normes requises au niveau du secteur public et sur le territoire national. A côté de la convention cadre, l'existence d'un plan cancer permettrait de prendre en charge de nombreux aspects de la lutte contre le tabac. Un plan opérationnel fondé sur la prévention, le dépistage (validé pour d'autres localisations cancéreuses), le diagnostic précoce, le développement d'un système de soins palliatif dans et en dehors des murs de l'hôpital (hospitalisation à domicile) et le transfert de connaissances vers des lieux où ils seront utiles aux patients et non un instrument de pouvoir entre les mains de certaines élites. Lors des premières journées de formation post-universitaire organisées dernièrement au CHU Mustapha, vous avez fait part de la réalisation prochaine de la première transplantation de poumons en Algérie, pouvez vous nous donner des détails sur ce sujet ? Y a-t-il des greffes qui se font à partir de donneurs vivants ? La transplantation pulmonaire est un sujet qui nous tient à cœur et que nous pensons totalement réalisable en Algérie dans un avenir proche, et ce, d'autant que les moyens matériels et humains nécessaires à ce challenge ne sont pas extraordinairement compliqués à réunir. Cela est d'autant plus vrai que de nombreux c toyens atteints d'emphysèmes pulmonaires, de fibroses pulmonaires, de mucoviscidoses vivent leur maladie sans le moindre espoir de guérison alors que, par Internet, ils suivent pas à pas ce qui se passe outre-Méditerranée. Ils savent qu'une partie d'entre eux pourrait survivre grâce à la transplantation. C'est toujours pour nous une dure épreuve de recevoir ces patients ou leurs parents pour leur expliquer que leur prise en charge thérapeutique n'est pas possible en Algérie, et qu'il leur sera difficile de l'être en Europe avec leurs seuls moyens, pour des raisons financières ou autres… Dire ou prétendre que l'Algérie n'est pas à même de fournir ce type de soins revient à sacrifier des patients qui auraient pu avoir une chance de s'en sortir s'ils étaient nés dans d'autres pays. C'est pourquoi, nous devons nous donner les moyens de cette ambition. Vous avez également évoqué la nécessité de régler d'abord le problème des personnes évacuées vers les urgences en état de mort cérébrale pour ensuite surmonter le problème de la greffe... Les urgences sont l'une des vitrines parmi les plus visibles de notre système de santé et que voit-on ? Depuis 1978, année où personnellement jeune résident, j'ai participé à une enquête nationale sur les urgences qui devait durablement révolutionner le système de santé, l'on ne peut pas dire que les résultats sont probants en matière de confiance du citoyen vis-à-vis du système de santé. Comment voulez-vous qu'un père, une mère, un fils, une épouse puissent accepter facilement le prélèvement d'un organe chez un proche s'ils ne sont pas convaincus que leur proche ait reçu tous les soins requis par son état de santé ? Nous pourrons légiférer autant qu'on voudra, tous ces textes resteront lettre morte si le citoyen n'a pas une confiance absolue dans son système national de santé et, en particulier, les services des urgences. D'autant que seuls les prélèvements en provenance de donneurs cadavériques peuvent permettre de solutionner le problème de la transplantation d'organes. Qu'en est-il du nouveau pavillon des urgences dont l'ouverture est prévue prochainement ? Je suis convaincu qu'il pourra jouer un grand rôle dans la mise en confiance de nos citoyens vis-à-vis de notre service de santé vu les moyens qui lui ont été dédiés et, par là même, favoriser les transplantations d'organes et que quelque part, il constitue une des clés pour le développement de la transplantation d'organes au CHU Mustapha Pacha et même peut-être plus…