De notre correspondant au Canada Youcef Bendada Le gouvernement du Québec vient de survivre à une motion de censure présentée par l'opposition (Parti québécois) et ne devrait pas tirer gloire et fierté de cette «victoire» arrachée avec les dents, grâce, tout simplement, à la solidarité partisane (obligée) de ses députés. Une motion de censure de l'opposition mise en échec Ils ont voté contre cette motion qui préconisait l'institution d'une commission d'enquête publique pour faire toute la lumière sur ce qui s'appelle ici l'industrie de la construction. Ce sursis obtenu par le gouvernement est, en fait, une victoire à la Pyrrhus qui a un goût amer, puisque la population du Québec désavoue massivement le gouvernement fédéral de Jean Charest. En effet, c'est plus de 80% de Québécois qui ne font plus confiance à ce gouvernement, selon un sondage publié le lendemain de ce vote sans éclat. Pauline Marois, chef de l'opposition à l'Assemblée nationale, estime alors que le Québec fait face «au pire Premier ministre du Québec depuis 30 ans» et précise que «les Québécois sont dégoûtés, ils sont écœurés par tant de magouilles et de cachotteries». L'industrie de la construction : une avalanche de révélations choquantes Ce secteur de l'activité économique, qui brasse des milliards de dollars, s'est révélé être un terreau fertile à la corruption de certains hommes politiques. Certaines entreprises s'ingèrent même dans la vie politique (on l'a vu dans certaines municipalités) en faisant et défaisant des élections tandis que d'autres utilisent des prête-noms pour effectuer des dons en espèces aux caisses partisanes. Cette situation, qui n'était pas un secret, faisait réagir occasionnellement le directeur général des élections qui procédait alors à quelques, enquêtes lesquelles se terminaient par des amendes ridicules adressées aux récalcitrants sans aller au fond du problème et démonter la mécanique mise en place par les entreprises pour s'infiltrer dans le processus électoral et peser, à force d'argent injecté, sur le résultat d'élections tant au niveau municipal que provincial. Le mal est profond et le Québec n'a pas bonne presse aux yeux du reste du Canada, car sa réputation a déjà été entachée par le passé, lorsqu'une revue anglophone, Mc Cleans, dans un reportage documenté avait qualifié le Québec de province la plus corrompue du Canada. Ce reportage donnait déjà des exemples de corruption, tels que les prix plus élevés de la construction pratiqués au Québec, et qui prenait également pour exemple, le scandale des commandites qui avait éclaboussé le parti libéral du Canada dans cette seule province. A l'époque, cette attaque avait suscité une réaction unanime de la classe politique qui a crié au complot contre le Québec. A cette occasion, libéraux et péquistes ont parlé d'une même et seule voix pour dénoncer et rejeter les accusations de ce magazine anglophone. Aujourd'hui, cette unanimité de façade a éclaté et nous assistons à un déballage effrayant qui surprend de jour en jour, tant les révélations sont choquantes. Nul ne sait comment cette saga va finir car il ne passe pas un jour sans que la radio et la presse écrite viennent surprendre avec des révélations fracassantes et alimenter ainsi ce dossier qui pourrit la scène politique et qui rappelle à la population qu'il y a quelque chose de pourri dans cette «belle province». La valse des enveloppes ou le Québec au bord de la crise de nerfs L'histoire des enveloppes est simple : on y met des billets de banque et on les offre à un élu municipal ou à un candidat député. Il peut arriver que ces enveloppes, en général brunes, atterrissent chez de simples fonctionnaires. De préférence, des fonctionnaires qui ont un petit pouvoir au sein de l'administration et donc ont la possibilité d'intercéder pour favoriser le donneur du «pot-de-vin» car c'est bien de corruption qu'il s'agit là ! Ce phénomène touche à la fois l'administration municipale, provinciale et également fédérale. Il suffit d'énumérer les faits intervenus ces dix derniers jours pour se convaincre que la corruption et la collusion entre les grandes et petites entreprises ne sont pas une vue de l'esprit. Ainsi, le maire d'une ville au nord de Montréal, dont la gestion avait déjà attiré l'attention des Vérificateurs (institution équivalant à l'Inspection générale des finances en Algérie, ndlr) se trouve mêlé à un gros scandale et aurait accordé sans appel d'offres des contrats, a profité sur la vente de terrains et fait rénover sa villa pour des centaines de milliers de dollars par des entreprises ayant obtenu des contrats de sa ville. Ce maire n'est pas n'importe qui : il est également le président de l'importante Union des municipalités du Québec. Les frasques de cet élu ne sont rien comparativement à ce qui est reproché au maire de la troisième et très riche ville du Québec, Laval. Ce maire, dont la popularité, mesurée au nombre d'élections gagnées à la tête de Laval, est sans conteste (six fois élu en tant que maire), vient de voir le ciel lui tomber sur la tête. Deux hommes politiques, l'un député jouissant d'une réputation exemplaire (il a été ministre) et d'homme propre et un candidat député, qui ont tous deux révélé la semaine dernière avoir été approchés par ce maire qui leur a proposé des enveloppes blanches, précision de taille, contenant 10 000 dollars canadiens. Ce maire, que certains surnomment le roi de Laval, crie à la diffamation et demande la rétractation des accusateurs. Mais ces derniers tiennent bon et ne reculent pas devant les menaces de poursuites et de réparations que le maire se propose d'intenter contre eux. Sur ces entrefaites, le gouvernement qui n'entend toujours pas instituer une commission d'enquête sur la construction constituant le point d'orgue de la corruption, demande au maire de Laval de se retirer, non pas de son poste de maire puisque il c'est un élu, mais juste d'abandonner le poste d'administrateur, qu'il occupe au sein de la société d'Etat Hydro Québec afin de ne pas entacher la crédibilité de cette société qui fait affaire à l'international ! Comme quoi, il faut sauver les apparences.Cela ne représente en fait qu'un petit manque à gagner de 30 000 dollars canadiens par an pour ce maire qui aurait fait de très bonnes affaires avec la ville qu'il administre dans la vente de terrains appartenant à sa famille. Il lui est reproché également d'avoir contrevenu à la réglementation concernant les marchés publics en fractionnant de nombreux contrats pour éviter les appels d'offres et confier ainsi des marchés de gré à gré aux entreprises habituelles. Ce maire, craint et respecté, même en dehors de son «royaume», a abandonné momentanément son poste d'administrateur délaissant ainsi ce qui constitue une pacotille pour ce puissant «roi» qui règne depuis 1989 sur Laval. A quelques kilomètres de là, un autre maire de la ville de Mascouche est embourbé dans une situation similaire. Les révélations de Radio-Canada font état de transactions immobilières avec un promoteur qui lui auraient rapporté des dizaines de milliers de dollars.En fait, les exemples sont légion et il ne s'agit pas d'en faire une liste détaillée, mais l'image que nous renvoie cette situation est qu'il ne faut plus hésiter à donner un coup de pied dans la fourmilière pour moraliser la vie politique, ce que n'entend point le gouvernement de M. Charest qui fait la sourde oreille en campant sur ses positions : il y a, selon lui, des enquêtes policières et cela ne tardera pas à se concrétiser sur le terrain par des accusations. C'est cette attitude suicidaire qui a provoqué la défiance de l'opposition et la motion présentée à l'Assemblée. On connaît le résultat. Même rejetée, cette motion fait de l'effet et place M. Charest dans une position bien inconfortable : il a tout le monde contre lui, puisque les organisations qui l'appuyaient ont définitivement tourné casaque, à l'image de la puissante Fédération des travailleurs du Québec (FTQ) qui est impliquée jusqu'au cou dans des manipulations, que l'on peut qualifier à tout le moins de pas très catholiques ! Alors, se demande-t-on aujourd'hui, pourquoi cet entêtement à refuser ce que l'opinion publique et l'opposition demandent avec insistance ? C'est à croire que M. Charest tire un certain plaisir à faire rager les Québécois, les poussant à la crise de nerfs ! Casser le système dont M. Charest est le parrain ! Ce système que la morale réprouve doit être cassé. C'est le vœu de tout le monde. Mais comment démonter un système qui est ancré dans la société et qui fait que des entreprises de construction érigent des barrières de protection autour de ce qu'elles considèrent comme chasse gardée ne devant, en aucun cas, voir intervenir d'autres entreprises que les leurs ? On parle aujourd'hui d'un regroupement de quatorze entreprises qui se sont constituées en organisation informelle, mais illégale, et qui décideraient des soumissions se répartissant les marchés de Montréal et des environs, «souverainement». Les intrus sont priés d'aller voir ailleurs. Et si le message envoyé n'est pas compris, alors on passe tout simplement à la destruction des équipements et bien souvent aux châtiments corporels, pour ne pas dire aux passages à tabac des récalcitrants. Les révélations d'entrepreneurs courageux qui ont fait face à de réelles menaces et dénoncé la mainmise de certains autres sur les marchés de la construction ont témoigné, à visage couvert, à la télévision et les preuves révélées ne laissent aucun doute sur la collusion des entreprises ayant pignon sur rue à Montréal et qui profiteraient de cette situation de monopole pour surfacturer les coûts de 30% par rapport à la moyenne canadienne. Cette situation a pour conséquence immédiate d'appauvrir les contribuables québécois puisqu'ils financent, par les impôts payés, le budget que l'Etat utilise pour ses dépenses publiques.Dans cette spirale et devant l'autisme de M. Charest, l'opposition ne recule devant rien pour dénoncer son entêtement. M. Delteil, chef du parti Action démocratique du Québec (ADQ), est même allé jusqu'à qualifier le chef du gouvernement de «parrain», allusion au chef de la mafia. Cette sortie du chef du deuxième parti de l'opposition est restée en travers de la gorge de M. Charest qui a demandé des excuses, lesquelles, au moment où nous mettons sous presse, ne sont toujours pas venues. Mme Maurois, chef du Parti québécois et qui est à l'origine de la motion de censure, estime, quant à elle, que «des millions de Québécois en colère contre Jean Charest, contre son gouvernement fédéraliste et contre le Parti libéral du Québec, réclament une enquête publique sur l'industrie de la construction. Depuis des mois, la gronde s'amplifie même au point de réclamer sa démission».En guise de démission, c'est par un haussement d'épaule que M. Charest répond à l'issue du rejet de la motion de censure et face à une pétition lui demandant de partir. La pétition hébergée sur le site même de l'Assemblée nationale du Québec, qualifiée déjà d'historique, est parrainée par Amir Khadir, l'unique député du parti Québec solidaire (QS) qui, en l'espace d'une semaine, a réuni près de 300 000 signatures. Même là, les libéraux ont montré un agacement à l'encontre d'Amir Khadir auquel un député libéral a «promis» de fouiller dans son passé en vue de déterrer de «vilaines choses» sur son compte. Mal lui en prit. Ce Québécois de longue date et qui a grandi à Montréal était tout simplement un animateur de l'opposition au régime islamiste d'Iran, son pays d'origine. Entre-temps, la pétition suit son peiti bonhomme de chemin et caracole en tête des pétitions que l'on peut consulter sur le site officiel de l'Assemblée nationale du Québec. La date de clôture prévue pour février 2011 laisse augurer un nombre fracassant de signatures défavorables à M. Charest.Enfin, ce ras-le-bol de la population que révèlent les sondages intervient après les multiples révélations et ne se limite pas aux événements récents mais est la résultante des scandales ayant entaché la gestion de nombreux contrats dans plusieurs municipalités ainsi que des contrats gouvernementaux. Pour mémoire, rappelons simplement l'histoire des compteurs d'eau (rapportée par la Tribune en son temps) et qui fait éclater le scandale relatif à la surfacturation et surtout à l'implication des proches collaborateurs du maire de Montréal. Cette affaire s'est soldée par l'annulation dudit contrat et le départ des proches collaborateurs du maire de Montréal. Le trench-coat du ministre Il n'y a pas que le Québec qui baigne dans les scandales. A Ottawa, la capitale fédérale, les révélations d'un entrepreneur à une commission parlementaire qui entend faire la lumière sur des contrats obtenus par des entreprises, laissent pantois. Il parle du secteur de la construction comme étant «un monde truffé de trafic d'influence, corruption, pot-de-vin et infiltré par la mafia». Il affirme également avoir été menacé, de même que ses enfants et sa famille, et que son équipement avait été incendié. Ce qui est cocasse, c'est que le témoignage de cet entrepreneur, qui bénéficie de l'immunité, se fait au sujet d'un contrat de rénovation …du bâtiment abritant le Parlement même ! Dans son témoignage, il s'incrimine même d'avoir versé 140 000 dollars canadiens à un lobbyiste proche des conservateurs, parti au pouvoir à Ottawa. L'incriminé ne reconnaît avoir reçu que 118 000 dollars canadiens ! Encore plus cocasse, voilà que cet entrepreneur, qui avait organisé une activité de financement au profit du parti conservateur, s'est vu, le lendemain de cette soirée, réclamer par des proches du ministre des Travaux publics, ce donneur d'ordre du gouvernement, le paiement de 5 400 dollars canadiens pour le rachat d'un manteau en cachemire que le ministre s'était fait voler au cours de cette soirée ! L'opposition a saisi au vol les allégations de l'entrepreneur pour demander la démission du ministre qui, bien sûr, rejette la demande. Ainsi, comme on le voit, si le Canada que Transparency international classe cette année à la 6ème place en matière de corruption est le théâtre de telles pratiques, que dire des pays classés en queue de peloton ! A la différence des pays les plus corrompus, au Canada, la presse joue un rôle formidable en débusquant les trafics et les magouilleurs, pour les dénoncer et informer véritablement les citoyens. En fait, la presse ne fait que jouer son rôle, ni plus ni moins. Elle exerce son pouvoir en l'utilisant pour informer les citoyens.