De notre correspondante à Tlemcen Amira Bensaber Plus d'une centaine d'entreprises de plusieurs régions du pays sont sur le terrain à travers le territoire de la wilaya de Tlemcen pour prendre en charge les travaux sur différents sites et monuments ayant bénéficié d'opérations de restauration inscrites dans le cadre de la manifestation «Tlemcen, capitale de la culture islamique 2011». Selon différents archéologues et architectes que nous avons contactés hier, plus de 70% des travaux exécutés sont non conformes aux règles de la restauration des monuments historiques. De plus, l'absence des chefs d'entreprises pour le suivi des travaux sur les sites est largement constatée. Le patrimoine de Tlemcen est en train de subir un véritable massacre, notamment le côté sud de Mansourah, précisent ces spécialistes. Durant notre enquête, nous avons noté que même les bureaux d'études ont failli à leur mission. Et la question qui demeure posée est : Quel avenir réserve-t-on au patrimoine à Tlemcen, où l'histoire des Zianides a laissé des traces, non seulement dans le domaine culturel, mais aussi dans le domaine du patrimoine bâti ? Les monuments encore debout témoignent d'un riche passé et constituent une part d'héritage authentique pour l'ensemble du pays. Aussi doivent-ils être préservés et rien, pas même une manifestation culturelle majeure, ne peut justifier leur massacre.Des abris préhistoriques à la cité d'Agadir, en passant par Pomaria édifiée par les Romains au Ier siècle, jusqu'à celle de Tagrart fondée par les Almoravides au IXe siècle puis conquise par les Almohades, les Zianides, les Turcs et les Français, chaque population venue s'installer à Tlemcen a laissé des constructions qui font toujours partie intégrante de la ville et de ses paysages. Cette continuité historique, particulièrement prospère, justifie le choix qui a été fait d'élire Tlemcen comme capitale de la culture islamique pour l'année 2011. Et quel que soit le prestige qu'on pourrait tirer en «mettant en vitrine» l'admirable Grande mosquée almoravide, la fameuse citadelle du Méchouar, l'élégant minaret de Mansourah, il reste que ces monuments sont la propriété de tous les Algériens, une partie de la mémoire vive, qu'aucun responsable n'a le droit de sacrifier. Pourtant, ces monuments (et les autres) subissent des agressions multiples tant par la nature que par l'homme.Les détériorations ainsi provoquées nuisent considérablement non seulement à la beauté mais aussi à la stabilité de cette architecture millénaire et faiseuse de notre authenticité. Cela fait d'autant plus mal que le préjudice est souvent le résultat d'opérations de restauration mal exécutées par des entreprises qui n'ont aucune qualification.Le non-respect par les opérateurs des exigences techniques des principes de la restauration (si ce n'est leur singulière ignorance) s'est soldé en effet par de sérieuses atteintes aux édifices et a révélé les déficiences de leur formation en matière de prise en charge du patrimoine architectural.Tout comme les façades, la brique des somptueux minarets zianides souffre de l'agressivité peu commune de leurs interventions. Ce niveau est d'ailleurs largement dépassé par les altérations micro-structurelles du matériau, qui, agressé par des liants inadaptés, s'épand en vacuités profondes et voyantes, ce qui ne manque pas de fragiliser les structures. La couleur, quant à elle, s'en ressent fortement et se perd dans des tonalités absolument étrangères aux styles de l'édifice. Aussi, en dressant l'hallucinant bilan de nos monuments mutilés par l'ignorance - et par devant l'opulence des crédits alloués par l'Etat algérien à ces apprêts patrimoniaux - l'esprit est tenté d'invoquer, à titre d'explication ou d'excuse, la fatalité de l'insuffisance des délais ou encore celle des offices non spécialistes de la conservation.A ce fatum impénétrable s'oppose celui de l'abjuration de certains appentis détournés de leur destination, remodelés sans intelligence ni respect, pour des motifs d'artifice ou même - comble de l'ironie - sous prétexte d'embellissements. Il en est un exemple bouleversant : celui du Palais royal zianide que d'aucuns s'évertuent à reconstituer dans l'enceinte du Méchouar, en l'absence attestée de tout indice descriptif ou de schéma évocateur, n'était quelques citations allusives redisant son existence dans les récits des chroniqueurs. Ce serait du reste un lieu commun de citer les monuments ayant subi des mutilations audacieuses, accomplies de sang-froid, tels que la mosquée de Sidi-Brahim, le mausolée du même nom, les remparts idrisides et le bain almoravide d'Agadir, la porte des Tuiliers, les remparts de Mansourah et l'enceinte de sa mosquée, la madrasa d'El-Eubbâd, le petit palais mérinide de Sidi Boumediene et bien d'autres encore. Certes, dans leurs travaux de «restauration», les opérateurs se sont laissés aller à de regrettables entraînements, trop nombreux pour qu'il soit nécessaire d'en reprendre l'énumération. L'exagération, la systématisation jusqu'à l'absurde de leurs méthodes allogènes sont bien davantage le fait d'une incapacité technicienne caractérisée que des enseignements des écoles occidentales de restauration dont ils se réclament. Le prestige et l'autorité de ces dernières, si elles avaient réussi à dénouer les problèmes de la conservation des monuments dans leurs propres pays, ne pouvaient s'appliquer pleinement aux constructions en pisé et en briques de l'Occident musulman. A ces nébuleuses théories d'un monde à la culture différente, il s'imposait de revoir et de reprendre des raisonnements propres, ajustés aux références locales, plutôt que de céder démesurément à cette fureur restauratrice irresponsable. Dénoncer ce crime a l'encontre de notre patrimoine n'est pas un délit, mais une façon d'interpeller les concernés pour se dépêcher de remédier à la situation avant que Tlemcen ne soit défigurée surtout si l'on sait que des millions de dinars ont été injectés dans ces différentes opérations.