De notre envoyé spécial à Tamanrasset Samir Azzoug «De véritables camions-laboratoires [étrangers] sillonnent le territoire [national] pour prendre le patrimoine génétique en toute impunité. Il n'y pas de lois pour protéger ce patrimoine, donc ils ne sont pas considérés comme des voleurs», fulminait, hier, Abdelguerfi Aïssa de l'INRAA dans une conférence intitulée «la gestion des ressources génétiques en relation avec le savoir-faire ancestral» organisée dans le cadre du Festival international des arts de l'Ahaggar qu'abrite Tamanrasset.Dénonçant l'absence d'un cadre législatif national pour la protection du patrimoine génétique, en orateur passionnée, il tentera durant son intervention de mettre en valeur l'importance stratégique d'une telle entreprise. «La découverte de la biotechnologie et l'avènement du réchauffement climatique, ont provoqué une course effrénée des chercheurs vers la découverte des gènes résistants», argue-t-il en affirmant qu'après le constat du réchauffement climatique fait durant les années 1960, des agents américains étaient venus dans la région de l'Ahaggar à la recherche des génomes capables de résister à l'évolution des conditions atmosphériques.M. Abdelguerfi situera ensuite les enjeux économiques et scientifiques de la biogénétique : la convoitise et la mainmise des firmes internationales sur la nouvelle source de richesse. «Au certificat d'obtention des droits d'exploitation établi durant les années 1960, succéda le brevet dès 1984 qui fit le bonheur de ces firmes», explique-t-il. Il informera, entre autres, qu'en 1990, 70% des brevets du continent asiatique, 85% de ceux d'Amérique latine et 95% de ceux d'Afrique étaient détenus par les pays industrialisés. Un pillage en règle dû essentiellement au sous-développement des régions concernées. Il y aura plus tard des conventions internationales pour limiter l'appétit vorace - mais toutefois légitime en l'absence d'exploitation locale - des firmes, comme celle de 1992 sur la diversité biologique consacrant la souveraineté nationale sur le patrimoine pourvu que le pays concerné «daigne» établir une législation nationale allant dans ce sens. «L'Algérie a ratifié la convention sur la préservation du patrimoine en 1995, pourquoi n'y a-t-il toujours pas de loi pour le protéger ?» insiste le conférencier. L'Ahaggar est l'un des milieux les plus importants du monde en termes de préservation de ce patrimoine par l'endémisme des espèces qui le caractérisent. Par leurs capacités d'adaptation aux conditions extrêmes, des espèces ont développé des gènes de résistance à la sécheresse, à la chaleur et à la salinité. «Ces gènes se retrouvent aussi bien sur les végétaux, les animaux et même les humains qui peuplent la région», explique M. Abdelguerfi. Il insistera avec une égale fougue sur l'importance de protéger également le patrimoine culturel qui se manifeste par le savoir et le savoir-faire ancestraux qui sont une autre richesse des habitants du Sahara. Au sujet du dilemme préservation et conservation des arts ancestraux pour les locaux et leur droit à la modernité, il insistera sur l'importance que devra jouer l'autochtone dans la manière de gérer la préservation en adéquation avec son bagage culturel et ses besoins. «Il ne s'agit pas d'obliger les populations à se sédentariser. Il faut plutôt réfléchir comment leur garantir l'accès à la modernité selon leur manière de vivre. Il s'agira de mettre des panneaux solaires dépliables sur le dromadaire pour que le méhariste puisse regarder la télé le soir, naviguer sur Internet, etc.», prône-t-il.Le conférencier revendiquera par ailleurs un réseau de conservation de la biodiversité, son soutien et des banques de semences en visant l'appui de la science et de la recherche (dans le domaine) sur les valeurs et connaissances ancestrales locales et éviter le suivisme aveugle et inadapté. «C'est cela le sous-développement. C'est mimer l'autre et c'est le brevet. Il s'agit de s'enraciner dans son terroir», tranche-t-il.Cette affirmation est largement confirmée par d'autres conférenciers venus exposer leur expérience en matière de gestion de parcs, de réserves ou de ranchs classés patrimoine universel. Le professeur André Bourgeot abondera dans ce sens dans son exposé sur «l'approche méthodologique de la réserve de l'Aïr-Ténéré (nord du Niger)». Dénonçant une approche «néocoloniale», comme il la désigne, de la gestion de la réserve par la WWF, il préconise plutôt une conception plus anthropologique et humaine basée sur l'ethnoscience avec ses volets psychologie humaine et grammaire culturel. Des conditions sine qua non pour l'adhésion de la population locale, facteur décisif dans la gestion de ces espaces. Il imputera l'échec des tentatives antérieures dans la gestion de la sauvegarde des patrimoines au recours des institutions internationales à des consultants qu'il qualifie d'«hommes d'hôtel» qui apportent des rapports très bien élaborés mais inadaptés. Il se désolera de la marginalisation des chercheurs - «hommes de terrain» - qui sont de fait «subversifs» et trouble- fêtes. D'autres intervenants présenteront également leur expérience, comme M. Ludovic O. Kibora sur «le rôle de la réserve de Nazinga dans le développement local (Burkina Faso» et M. Jérôme Magail sur «le calendrier des activités profanes et sacrées, rythme des transmissions générationnelles».