Samedi dernier, le Café littéraire de Béjaïa avait convié les citoyens à une rencontre-débat avec le sociologue Mohamed Brahim Salhi pour parler d'identité et de citoyenneté en Algérie. Un thème d'actualité qui, a priori, avait accroché les nombreux habitués de ce forum de la libre-pensée. Le rendez-vous fixé au TRB a été finalement annulé en raison «d'une décision prise par le ministère de la Culture interdisant toute activité dans les établissements culturels pour une date indéterminée», lit-on dans le communiqué de l'association organisatrice. Cette fermeture sans délai précis est officiellement motivée par le climat de tension et de violence juvénile qui a touché, ces derniers jours, plusieurs régions du pays. Le paradoxe, c'est que «le verrouillage des espaces de communication sociale aggrave plus qu'il n'abaisse les tensions», soulignent, à juste titre, les rédacteurs du communiqué. Evidemment, ce sont les restrictions des libertés publiques et le bâillonnement de la pensée critique qui sont souvent à l'origine des explosions sociales. C'est dans les moments troubles et les situations incertaines qu'on a le plus besoin de débattre et de discuter afin de désamorcer les conflits et de lever les équivoques. Quand tout va bien, on pourrait bien s'occuper d'autre chose, même si l'on doit laisser les canaux de dialogue et de contact constamment ouverts. Chez nous, c'est paradoxalement le contraire qui se produit à chaque fois. Au lendemain de l'indépendance, au lieu de réinstaurer le pluralisme de la fin des années 1940, on a opté avec beaucoup d'autoritarisme pour le parti unique et la pensée unique. La crise dite de 1963, étouffée dans l'œuf par la force du camp majoritaire, a nourri ensuite toutes les animosités et toutes les oppositions qui ont débouché sur les événements sanglants qui ont jalonné les années 1980. A posteriori, beaucoup de responsables algériens, encore vivants ou disparus, ont avoué que nombre de choix de l'époque n'étaient pas finalement les meilleurs pour la bonne marche du pays vers le progrès. Le retour à la démocratie au début des années 1990, vécu avec beaucoup d'euphorie et de dynamisme social, a été sciemment sabordé par la montée au créneau de l'extrémisme religieux. Là aussi, au lieu d'élargir le champ de l'expression libre pour disqualifier le terrorisme obscurantiste et ses promoteurs, aussi bien locaux qu'étrangers, on est tombé dans le même travers en verrouillant hermétiquement tous les espaces de débat et de création. Une telle option n'est évidemment pas de nature à encourager la société dans ses efforts de persévérance et d'émancipation. La levée de toutes ces contraintes permettrait aussi beaucoup de transparence dans la gestion des deniers publics et donnerait plus d'efficacité à la lutte contre la corruption et le trafic d'influence. Beaucoup d'acteurs politiques et sociaux militent aujourd'hui pour la levée de l'état d'urgence, l'ouverture du champ audiovisuel, la liberté d'organisation de manifestation. Il est vrai qu'une telle entreprise comporte des risques d'abus et de dérapage, mais c'est un apprentissage qu'on doit absolument faire, tôt ou tard. Cela ne concerne pas uniquement les autorités centrales du pays, cette culture du dialogue et du débat contradictoire doit s'instaurer à tous les niveaux. La wilaya, la commune, l'école, l'usine ou même dans la famille, on est appelés à s'écouter, à s'entendre et à se comprendre pour définir ensemble les solutions les plus adaptées à nos problèmes communs. Sinon, les uns s'immoleront avec le feu et d'autres se jetteront à la mer en attendant la prochaine révolte pour tout brûler et recommencer à zéro. Il faut impérativement briser ce cercle vicieux. K. A.