La tentative de suicide de Bouazizi, provoquée par l'humiliation policière et la confiscation de sa seule source de revenus, révèle le profond désespoir qui prévaut parmi la jeunesse tunisienne, particulièrement chez les jeunes diplômés universitaires.Les misérables conditions économiques à l'intérieur du pays, l'absence d'offres de travail et de libertés politiques ont projeté Bouazizi, comme des milliers d'autres jeunes hommes et jeunes femmes au Magrheb, en marge de la société. Le taux de chômage officiel en Tunisie, très largement sous-évalué, est de 14%. Cependant, le taux de chômage parmi la jeunesse (entre 15 et 24 ans) est de 31%. Les 10% les plus riches du pays accaparent 32% des revenus et les 20% les plus riches 47%, tandis que les 60% de la population plus pauvre se partage seulement 30% des revenus. L'émigration est passée de 18 000 en 1980 à 80 000 personnes en 2005. Malgré ce panorama, le FMI décrit la gestion économique du gouvernement et la répartition inégale des richesses parmi la population et entre les régions plus riches du nord et de la côte et celle de l'intérieur du pays comme une «prudente gestion macroéconomique».Le méprisable comportement de la police à l'égard de Bouazizi est chose courante en Tunisie, une police qui ignore les droits humains élémentaires, piétine la dignité de la population et ne tolère aucune sorte de dissidence. Quelques jours après la tentative de suicide de Bouazizi, la pauvreté, le chômage et l'oppression ont poussé un autre jeune homme au suicide. Le mercredi 22 décembre, Hussein Nagi Felhi, également chômeur, s'est électrocuté et tué en grimpant sur une tour de haute tension. Les témoins affirment qu'il criait «non à la misère, non au chômage» pendant qu'il escaladait la tour. Quelques jours après la tentative de suicide de Bouazizi et le décès de Felhi, les protestations se sont étendues dans tout le pays pour atteindre la capitale, Tunis, et elles se poursuivent malgré le black-out des médias nationaux et la brutalité de la répression policière qui a provoqué plusieurs victimes mortelles, dont un jeune de 18 ans. Ce n'est pas la première fois qu'en 24 ans de règne, le dictateur Zine El Abidine Ben Ali s'affronte à la rage du peuple causée par le manque de travail et la misère, mais il s'agit certainement aujourd'hui du plus grand défi lancé à la domination. Il y trois ans, en janvier 2008, son appareil de sécurité avait écrasé les protestations de Redhayef, une ville minière du sud du pays où les travailleurs et les jeunes s'étaient mobilisés pour les salaires et contre le chômage. A l'époque, plus de 300 personnes ont été détenues suite aux protestations. Mais, cette fois-ci, l'exaspération de la population a atteint son niveau maximal. Un allié de l'Occident : l'hypocrisie des politiques néolibérales et de la diplomatie occidentale Un institut d'évaluation place le pays parmi les nations les plus corrompues avec une note de 4,3 sur 10 (le chiffre 10 indiquant l'absence de corruption et le 1 le degré le plus élevé). Le Freedom House Index Túnez considère la Tunisie comme un pays «non libre», ce qui n'est pas surprenant dans un pays où le gouvernement contrôle presque tous les aspects de la vie de sa population. La jeunesse y est particulièrement étroitement contrôlée et observée. Le gouvernement, par le ministère de l'Education, décide y compris des champs d'études des étudiants.Pour les gouvernements occidentaux, Etats-Unis et Union européenne en tête, le dictateur tunisien et sa famille constituent un cas «exemplaire» de «stabilité» dans un pays musulman d'Afrique du Nord. Le FMI qualifie les politiques néolibérales qui y sont menées de «prudentes» et d'«intelligentes», alors qu'elles ne bénéficient qu'à une petite minorité qui s'est enrichie par la corruption sur le dos de la population. Un cas de corruption révélé par WikiLeaks est à cet égard emblématique : le beau-frère du Président a acheté 17% des actions d'une banque juste avant sa privatisation et les a ensuite revendues bien au-dessus de leur valeur.Le gouvernement tunisien est un fidèle allié des Etats-Unis dans ses guerres coloniales en Afghanistan, Irak et ailleurs. Un rapport de l'ONU sur les centres de détention secrets inclut la Tunisie dans la liste des pays qui abritent ces derniers où même la Croix-Rouge internationale ne peut avoir accès aux prisonniers. Les services de renseignement tunisiens coopèrent étroitement à la «guerre contre le terrorisme» menée par les Etats-Unis et ont participé aux interrogatoires de prisonniers dans la base aérienne de Bagram en Afghanistan, tout comme en Tunisie. Des câbles diplomatiques récents publiés par WikiLeaks révèlent que, depuis un certain temps, les Etats-Unis sont préoccupés par la rage croissante qui vit dans la population et à l'égard de la corruption des familles Ben Ali et Trabelsi (la famille de la femme du Président) pour lesquelles les richesses du pays sont des biens personnels.Les câbles de l'ambassade des Etats-Unis à Tunis publiés sur la page Web du journal britannique The Guardian indiquent que les Etats-Unis considèrent la Tunisie comme un Etat policier «avec peu de liberté d'expression ou d'association et de graves problèmes de droits humains» et qualifient y compris la famille Ben Ali de «quasi mafia». Mais qu'à cela ne tienne, le département d'Etat des Etats-Unis se flatte du soutien actif apporté par les forces de sécurité tunisiennes. Sur la page Web du département d'Etat, on peut lire que «les Etats-Unis et la Tunisie ont un agenda actif d'exercices militaires conjoints. Historiquement, l'aide étatsunienne en matière de sécurité a joué un rôle important dans la consolidation de ces relations. La commission militaire conjointe Etats-Unis-Tunisie se réunit annuellement afin de discuter de la collaboration militaire, du programme de modernisation des forces armées tunisiennes et d'autres questions de sécurité».L'issue du mouvement de révolte n'est pas encore très claire. Le gouvernement de Ben Ali tente désespérément de contrôler la situation en déployant toutes ses forces de sécurité dans les villes touchées par la protestation. Jusqu'à présent, les manifestants ont été relativement pacifiques (ce qui n'est certainement pas le cas des forces répressives qui ont tué, selon certaines sources, une vingtaine de personnes). Pendant que les manifestants brandissent du pain et des pancartes, le FMI continue à «pressionner» Tunis afin d'appliquer des politiques d'austérité et recommande au gouvernement d'en finir avec les subventions alimentaires et pour le combustible et de réformer le système de Sécurité sociale afin d'ouvrir la voie à sa privatisation. L'hypocrisie du FMI n'a pas de bornes puisque ces mesures, appliquées dans tous les pays sur les recommandations de cet organisme, sont présentées comme devant favoriser «l'emploi et la croissance». B. S. Texte original en anglais : Source: http://www.globalresearch.ca/index.php?context=va&aid=22587, publié le 31 décembre 2010. Traduction française pour le site www.lcr-lagauche.be