Au grand bonheur des peuples arabes, Zine El Abidine Ben Ali et Hosni Moubarak sont tombés, emportés par des lames de fond populaires. Pour autant, les régimes qu'ils incarnaient et personnifiaient n'ont pas été détruits. La chute du satrape de Carthage et du tyranneau du Nil a révélé que les révolutions, même quand elles ont la couleur et le parfum du jasmin, ne créent pas automatiquement des cercles démocratiques vertueux. Elles montrent aussi que la théorie des dominos n'est pas applicable par effet induit. Certes, les ferments de la révolte sont généralement les mêmes dans l'ensemble du monde arabe. Certes, leurs régimes autoritaires sont plus ou moins durs, plus ou moins émollients. Mais les contextes politiques, économiques et sociaux sont différenciables. Les manifestants, qui ont pu répondre à l'appel de la Coordination pour le changement démocratique en Algérie, l'auront peut-être appris à leurs dépens. Le quadrillage policier de la capitale, à la mesure de la paranoïa sécuritaire du régime et de sa crainte démesurée, excessive et incompréhensible d'une «contagion égyptienne», leur a enseigné aussi que le changement démocratique en Algérie n'est pas un Nil tranquille. Que les chemins qui mènent vers la construction d'une alternative démocratique en Algérie ne sont pas rectilignes comme une autoroute. Alger, et c'est même une plate évidence, n'est pas Tunis. Non plus, Le Caire. Le propos n'est pas de suggérer que nos compatriotes sont congénitalement inéligibles à la démocratie. Ou bien que leurs révoltes, si nombreuses depuis dix ans, s'apparentent toujours à des jacqueries nihilistes. A l'image de nos oueds, souvent à sec, mais qui ne charrient pas toujours des limons fertiles lorsqu'ils sont en crue. Pour construire, il faut déconstruire. C'est une lapalissade. Alors, pour que le blé démocratique lève un jour, autre évidence, il faut semer, biner, sarcler, irriguer. Même dans le désert, comme c'est la conviction de Moncef Merzougui, militant inlassable des droits de l'Homme tunisien et philosophe de la patience démocratique. La chute quasi simultanée des deux dictateurs tunisien et égyptien n'est pas le résultat d'un mouvement et d'une génération spontanés. Même si les éléments de déclenchement de la révolte populaire avaient la spontanéité de la jeunesse et la modernité fulgurante de Facebook. Dans un cas comme dans l'autre, leur déboulonnage est le résultat d'une accumulation de luttes politiques, sociales et syndicales. La récolte d'un blé qui a levé dans un terreau fertilisé par des semeurs dans le désert. Irrigué par des éveilleurs de consciences dont l'audace intellectuelle et le courage physique ont préparé le terrain aux cyber-commandos de la démocratie et, dans leur sillage, aux manifestants de l'avenue Habib-Bourguiba et de la place Ettahrir. Le blé démocratique algérien donnera de beaux grains lorsque nous aurons nos Radhia Nasraoui, nos Sihem Bensédrine, nos Taoufiq Benbrik et nos Wael Ghoneïm, symboles forts parmi d'autres. Lorsque les muezzins du changement démocratique d'aujourd'hui n'auront pas les costumes gris et les qamiss élimés du passé. Comme certaines figures entrevues sur la place du 1er-Mai, un 12 février 2011 à Alger. N. K.