Douleurs abdominales, ballonnements, problèmes respiratoires… et des complications pour des malades diabétiques et des insuffisants rénaux -pour ne citer que ceux-là- en ce mois de jeûne, censé pourtant être la période propice au repos du corps. Les services des urgences médicales ne désemplissent pas à Alger. Et cela commence au moment même de la rupture du jeûne. Mauvaises habitudes alimentaires Et pour cause ! «Les Algériens ne savent pas manger. Ils mangent trop et trop vite, inondant leur estomac de ce qui n'est pas nécessairement important pour leur organisme. Ils se retrouvent complètement étourdis, avec un ventre ballonné et un besoin incessant de s'allonger, sinon d'aller rapidement voir un médecin, bien évidemment à l'hôpital», explique un médecin urgentiste dans une polyclinique de la commune de Sidi M'hamed. «Pourquoi observer le jeûne si c'est pour le faire mal et se retrouver sur un lit d'hôpital ?» interroge l'un de ses collègues, non sans dire sa colère devant les mauvais comportements alimentaires des jeûneurs qui «se gavent de sucreries et de boissons gazeuses, brutalisant leur corps et provoquant des dysfonctionnements dans différentes parties de l'organisme». Force est de reconnaître, de l'avis même des jeûneurs, que de mauvaises habitudes alimentaires s'installent durant tout le mois de Ramadhan, y compris chez les personnes malades, à commencer par les diabétiques qui accourent vers les sucreries en tous genres, histoire de se donner un peu de force, alors qu'elles leur sont pratiquement interdites. Des produits light (allégés en sucre et en gras) sont disponibles sur le marché -à des prix abordables- mais très peu de diabétiques s'en servent. Conséquence : «Il faut voir comment ils viennent nous voir après le Ramadhan. Parfois même avant que le mois ne soit terminé. C'est comme s'ils n'avaient jamais vu un médecin ou suivi un traitement… C'est une grande frustration pour nous (médecins, diététiciens et tous ceux qui prennent en charge ces malades diabétiques) qui ne cessons de leur donner des conseils, chacun selon son cas. Nos conseils ne sont pas suivis d'effet», affirme, complètement découragé, un diététicien de la Maison des diabétiques d'El Hamma-les Anassers. Certains diabétiques observent le jeûne alors qu'ils ne sont pas en état de le faire. «C'est un risque qu'ils prennent sans même consulter leur médecin traitant», racontent des proches du domaine. Le même problème se pose avec les insuffisants rénaux, les personnes âgées, les femmes enceintes et d'autres personnes auxquelles il est strictement interdit de jeûner pour des raisons de santé. «Il faut absolument voir son médecin avant de se décider à faire le jeûne ou non. Si le médecin déconseille à son malade de jeûner, il ne doit pas le faire. C'est le seul moyen d'éviter les complications», soutient le Dr Hadj Lakehal Belkacem, nutritionniste à l'Institut national de la santé publique (INSP).
L'organisme brutalisé Le nutritionniste qui insiste sur la bonne reconstitution des trois prises alimentaires d'avant le Ramadhan (petit déjeuner, déjeuner et dîner) estime que «lorsque le jeûne est bien fait, cela ne pourrait avoir que de bons résultats sur le corps et l'âme». Les sensations de fatigue, d'irritation et tous les autres problèmes qui apparaissent après le repas de la rupture du jeûne ne devraient pas avoir lieu. En effet, quoique compréhensif en ce qui concerne les perturbations engendrées par le manque de cigarette et les deux autres stimulants qui sont le café et le thé, le Dr Hadj Lakehal juge que s'il y a fatigue et somnolence, pendant ce mois du jeûne, cela est dû beaucoup plus au manque de sommeil : «Les gens ne se sentent pas très en forme parce qu'ils ne prennent pas de café, de thé et cela est compréhensible. Ce sont des produits stimulants. La cigarette aussi. Je ne pense pas, toutefois, que c'est cela qui cause la fatigue plus que le manque de sommeil. Durant ce mois, les gens ont tendance à veiller tard dans la nuit, entre copains ou en famille.» Pour ce qui est des problèmes d'estomac, les ballonnements, les étourdissements, le nutritionniste met en cause les mauvaises habitudes alimentaires du jeûneur. «Il ne faut pas oublier qu'au moment de la rupture du jeûne, on part avec un estomac et un appareil digestif pratiquement vides. Si on le remplit de façon rapide et massive, on risque de le brutaliser. Cela, l'organisme ne peut le supporter. Cet organisme qu'on peut comparer à un fleuve se retrouve inondé de matériaux, de nutriments qu'il ne peut utiliser ni pour sa maintenance habituelle ni pour ses dépenses énergétiques. Il va alors les mettre en réserve et les stocker. Ce qui veut dire avoir des kilos en plus (risque de surpoids). Une des raisons pour laquelle nous demandons aux jeûneurs d'éviter les gros repas.» L'autre conséquence négative de la mauvaise nutrition pendant ce mois de jeûne et qui pourrait même être plus grave, est l'élévation des taux d'acides aminés dans le sang : «Le reste des matériaux qu'il ne peut stocker, à l'exemple des acides aminés qui proviennent des protéines, devait être traité au niveau des reins, du foie… C'est là qu'il y a risque de les voir en taux élevés dans le sang (taux élevé d'ammoniaque, d'urée…). Si les taux dépassent un certain niveau, cela risque d'avoir des répercussions qui peuvent aller jusqu'au coma.»
Se nourrir correctement «Ce sont des cas qui ne devraient pas avoir lieu si les jeûneurs avaient bien pris la peine de connaître les règles d'un bon jeûne. Quand le jeûne est bien fait, il ne peut avoir des conséquences négatives sur le corps… Mais tout cela, c'est toute une culture, toute une éducation», lancent, avec dépit, des médecins de différentes structures hospitalières à Alger. Ces spécialistes de la santé publique semblent d'autant plus intrigués que, parmi les personnes qui affluent vers les services d'urgence, le plus grand nombre se compte parmi les malades chroniques : «Ces personnes malades ne consultent même pas leur médecin traitant pour voir si elles pouvaient observer le jeûne ou non. C'est pourtant indispensable.» Et cela, sans compter les autres qui arrivent dans les urgences pour cause d'accidents de la circulation ou d'altercations entre jeûneurs : «Les gens pendant le Ramadhan sont très nerveux. Ils s'agitent pour un oui pour un non. D'une simple altercation verbale, ils en arrivent aux mains. Parfois, ils recourent aux armes blanches.» Les accidents de la circulation surviennent suite à un excès de vitesse et à un dépassement dangereux : «C'est tout le monde qui est pressé de rentrer chez soi. C'est tout le monde qui est tendu au volant. Et voilà les conséquences !» La fatigue due au manque de sommeil durant ce mois de veillées entre copains ou en famille, soutiennent les mêmes médecins, n'est pas moins responsable de l'augmentation du nombre des accident routiers : «La fatigue entraîne la somnolence et le manque de vigilance.» Ce sont de mauvais comportements qu'il faudrait absolument abandonner, s'accordent-ils à dire. Et ces mêmes médecins de rappeler les bienfaits du jeûne quand il est bien suivi : «C'est la période propice pour faire reposer son corps et permettre de renouveler ses cellules.» Il faudrait, toutefois, choisir «de bons aliments, en bonne quantité et au bon moment». Les médecins appellent le jeûneur à boire beaucoup d'eau pour que les reins fonctionnent normalement : «Il faut s'hydrater dès la rupture du jeûne et avant sa reprise au matin.» Selon ces mêmes spécialistes, le repas de la rupture du jeûne doit être sucré pour redonner un peu de force au jeûneur, le deuxième aux environs de 21h30 et 22 h, doit être léger (il ne faut pas charger l'estomac avant de dormir) et le troisième, avant la reprise du jeûne (le s'hour), doit être solide. C'est ce troisième que l'on peut considérer comme très important puisque c'est lui qui devrait fournir à l'organisme l'énergie nécessaire pour son maintien durant toute la journée. Très peu de jeûneurs accordent de l'importance à ce repas du s'hour. K. M.