Tunisiens et Egyptiens se sont soulevés alors que nul ne prédisait ce vent de révolte dans ces deux pays. Deux révoltes populaires inédites dans le monde arabe qui ne se sont pas contentées de l'éviction de deux dictateurs, mais la pression de la rue s'est poursuivie, réclamant aussi la chute des gouvernements que l'on voulait dissocier des présidents déchus. Ces deux peuples se sont montrés exigeants jusqu'à avoir raison des têtes des Premiers ministres qui ont eu à diriger leurs gouvernements de transition respectifs. En Egypte, les manifestants ont eu même droit à la visite du nouveau Premier ministre et à une déclaration les intronisant comme seule source de pouvoir.Mais combien de temps encore la rue restera-t-elle maîtresse de la situation ? En Tunisie, les premiers signes d'impatience de l'institution militaire se font déjà sentir. L'exigence populaire de liberté et de démocratie aura-t-elle suffisamment de souffle pour mettre les révoltes à l'abri de tout retournement de situation ? La réponse est capitale pour le devenir de ces peuples arabes qui ont eu un avant-goût de démocratie et pris conscience de leur puissance. La démocratie, apprennent-ils au prix de leur vie, est un processus endogène, le résultat d'une volonté populaire et non une coquetterie d'intellectuels ou d'Occidentaux. Ils apprennent aussi que la démocratie ne peut être imposée que par la volonté des peuples à vivre dans la liberté.Pourtant, cette soif de liberté se heurte à des résistances insoupçonnables. Les systèmes bien assis ne sont pas facilement éjectables. Un système construit au fil des décennies est dur à démonter. Si les révoltes se traduisent par un bousculement de l'ordre établi, les révolutions, quant à elles, font tomber les systèmes pour donner lieu à l'avènement d'un nouvel ordre. Les révoltes arabes se transcenderont-elles en des révolutions aux remparts indestructibles, prémunissant la démocratie contre les abus des hommes au pouvoir ? Nul n'ignore que l'exercice du pouvoir, notamment si ce dernier dure dans le temps, débouche sur des abus. Des abus qui font de ceux qui les exercent non pas des gouvernants de peuples souverains, mais les gouvernants d'oligarques et de clientèles gravitant tout autour.Il est aujourd'hui plus qu'évident qu'il ne suffit pas de tenir des élections pour faire une démocratie. Il ne suffit pas, non plus, de se révolter contre l'ordre établi, de temps à autre, pour se croire à l'abri d'autoritarismes. Les Algériens, habitués aux révoltes populaires, l'ont appris à leurs dépens. Malgré le nombre important de «martyrs de la liberté», celui impressionnant des gouvernements passés depuis 1988 ainsi que les décennies d'instabilité politique et sociale, le système n'a jamais changé. On pourrait dire qu'il s'est même plutôt bien raffermi. Les institutions militaires qui apportent un semblant de stabilité par temps d'incertitude dans le monde arabe, et qui font l'arbitrage entre gouvernants et gouvernés sont, elles aussi, assez souvent tentées par le jeu politique. Cette tentation est parfois si forte que ces institutions se transforment en véritable rempart des systèmes en place empêchant tout changement réel.Ce qui renforce une démocratie naissante, c'est avant tout l'émergence de véritables contre-pouvoirs, notamment une justice réellement indépendante, une presse totalement libre, susceptible de rendre publiques les forfaitures des gouvernants, un monde associatif et/ou politique qui interpelle ces mêmes gouvernants, pointe leurs erreurs, leurs abus, défend des idées différentes, assoit une pluralité réelle et exprime des exigences. Somme toute, protéger la démocratie contre les démons de l'absolutisme et de l'hégémonie. G. H.