Le rendez-vous a été incontestablement historique pour les Egyptiens. C'est la première fois depuis 60 ans que le peuple sent que sa voix compte véritablement. La révolution qui a vu la chute de l'inamovible Moubarak est encore dans les têtes. Les Egyptiens tiennent là l'occasion historique de construire de nouveau un pays basé sur l'Etat de droit. Le chemin sera incontestablement long et inévitablement cahoteux. Mais les Egyptiens sentent qu'ils sont dans la bonne voie depuis que le verrou de la peur a sauté. La participation au référendum a dépassé toutes les prévisions. Les principales modifications concernent la durée de présidence, qui pourrait être limitée à deux mandats maximum de quatre ans chacun - contre des mandats de six ans illimités dans l'ancien texte - et l'assouplissement des conditions de candidature. Selon l'armée, qui détient toujours le pouvoir depuis la chute extravagante de Moubarak, ces changements constitutionnels devraient assurer une transition vers la démocratie et permettre le retour à un pouvoir civil élu. Les élections législatives et présidentielles prévues dans quelques mois seront décisives. L'Egypte aura le défi de construire les institutions nouvelles sur la voie de la démocratie.Le référendum de samedi aura constitué en revanche un revers pour une partie du mouvement de jeunes issus de la révolte contre Moubarak et des personnalités comme le chef de la Ligue arabe Amr Moussa et l'opposant Mohamed El Baradai, ancien chef de l'Agence internationale de l'énergie atomique. Les adversaires de cette révision ont fait preuve d'une grande méfiance. Ils réclamaient la rédaction d'une Constitution entièrement nouvelle et des changements plus profonds en attendant les rendez-vous électoraux futurs. La presse égyptienne a unanimement salué la mobilisation qualifiée de «record» des électeurs pour le référendum. Les Egyptiens se sont prononcés quasi unanimement en faveur de la modification de neuf articles de la Constitution. Conformément aux exigences de la révolution populaire, les amendements, rédigés par une commission de juristes nommés par l'armée, limitent la durée d'exercice du pouvoir présidentiel à deux mandats de quatre ans. Les amendements ouvrent également le jeu politique en facilitant les modalités de candidature pour les membres de l'opposition ou les indépendants. Ils garantissent des élections libres, sous la supervision de la justice. La loi d'urgence, qui confère aux forces de sécurité des pouvoirs renforcés, est limitée dans le temps. Son maintien pendant plus de six mois devra être soumis à référendum. Sur le papier, les modifications sont considérables. Une véritable révolution dans un pays n'ayant connu que les régimes autocratiques. Tous les partis d'opposition traditionnels, du néolibéral Wafd aux Nassériens, en passant par le socialiste Tagamou, se sont prononcés contre. Pour les réfractaires, la révision ne limite en rien les pouvoirs jugés exorbitants du président de la République. Les mouvements prodémocratiques, qui ont mené la révolution sur la place Tahrir, pourfendent également le texte. La cadence réformatrice ne va pas à un rythme digne de la révolution qui a ébranlé le pays du Nil. Dans les milieux des jeunes, une nouvelle mouture du texte fondateur est inévitable pour repartir sur de nouvelles bases. C'est l'avis aussi des deux figures de l'opposition égyptienne les plus connues. Mohamed El-Baradai exige l'annulation du référendum, tandis que Amr Moussa, secrétaire général de la Ligue arabe, rejette des amendements susceptibles de ramener sur la scène politique des partisans de l'ancien régime. De l'autre côté, ce qu'il reste du Parti national démocrate (PND), la formation de Moubarak, ont opté pour le oui, ainsi que les Frères musulmans. Ce dernier parti non encore légal mais toléré sous l'ancien système a eu pour la première fois depuis de nombreuses années la latitude de mener durant toute une semaine une campagne au grand jour, sans crainte d'être arrêté. Pour la confrérie, à qui on prête une popularité exagérée en Egypte, ces amendements sont le meilleur moyen d'instaurer au plus vite une démocratie et un Etat de droit. Des élections présidentielles et législatives devraient avoir lieu dans les six mois. Et tous les scenarios sont ouverts. Pour certains observateurs, la situation arrange particulièrement les Frères musulmans comme les survivants du PND. Ce sont les deux forces politiques les mieux organisées aujourd'hui dans une Egypte qui se cherche encore depuis la révolution. Le mouvement des Frères musulmans se dit prêt à contribuer à la «transition démocratique» tout en déclarant ne pas vouloir aspirer à participer au pouvoir, ne voulant que les droits démocratiques. Les prochaines législatives seront particulièrement disputées. Le Parlement aura pour mission d'élaborer une nouvelle Constitution. La peur d'un contrôle du pays par les Frères musulmans ou par ce qui reste du PND est de nouveau évoquée dans certains milieux politiques. Le Conseil suprême des forces armées, qui dirige désormais le pays, pourrait rester aux commandes six mois supplémentaires. La phase cruciale du transfert du pouvoir à un gouvernement civil élu constituera un tournant dans l'histoire du pays. M. B.