«Le départ du raïs n'est pas synonyme de chute d'un régime qui s'est employé depuis trente ans à empêcher toute alternative crédible d'émerger.» L'Egypte est unie, dans la rue de la révolte, contre le régime Moubarak. C'était la principale revendication des millions d'Egyptiens, qui avaient investi les rues de leur capitale et des grandes villes. Ils voulaient, coûte qui coûte, faire tomber le régime Moubarak, en place depuis trois décennies. Les Egyptiens ont-ils atteint leur objectif? En d'autres termes: le régime égyptien est-il tombé comme le réclamaient si fort les Enfants de la révolution du Nil? La démission de Moubarak signifie-t-elle la chute du régime impliquant le passage à un pouvoir civil, élu démocratiquement, ou s'agit-il d'un recommencement de l'échec? En effet, il y a autant de questions qui demeurent sans réponses et entourées de zones d'ombres pour ce qui est des résultats de la révolution des Egyptiens contre leur régime. Et pour paraphraser l'écrivain, égyptien, Alaa el-Aswany: «Si la révolution n'appartient à personne, les opposants doivent déjà préparer une éventuelle transition. D'autant que le départ du raïs n'est, au moins dans un premier temps, pas synonyme de chute d'un régime qui s'est employé depuis trente ans à empêcher toute alternative crédible d'émerger». Aujourd'hui, des intellectuels égyptiens s'interrogent sur les capacités de l'opposition à transformer cette vague populaire en force de changement. C'est le casse-tête, soutiennent-ils, auquel l'opposition égyptienne est désormais confrontée. Cette opposition composée de principaux partis légaux: les libéraux du Néo-Wafd, les nassériens ou les marxistes du Tagammou, se sont, pour rappel, décrédibilisés au fil des années aux yeux de l'opinion publique par leurs compromissions avec le pouvoir pour obtenir quelques postes honorifiques. Leur poids réel est impossible à évaluer dans un pays où le taux de participation aux dernières élections n'a pas dépassé 10%, selon les observateurs indépendants. Reste la montée en puissance du prix Nobel, Mohammed El Baradei et les attentions dont il bénéficie de la part des médias internationaux suscitent encore des jalousies au sein d'une opposition gangrenée par les mesquineries et les ambitions personnelles. Voire, il demeure vomi par un Occident qui lui reproche ses prises de position lors de l'envahissement de l'Irak et le fait d'avoir exigé de l'Etat hébreu de faire état de son arsenal nucléaire. C'est dire qu'il ne leur inspire pas confiance. Ses positions révèlent même pour l'Occident une menace pour la sécurité d'Israël et de leurs intérêts stratégiques. Moubarak est officiellement parti. Alors que le pouvoir, chargé de gérer les affaires du pays, est légué «provisoirement» au Conseil suprême de l'Armée, composé d'une vingtaine de généraux, par Moubarak. Ces derniers sont tous formés et forgés dans les vieux carcans du régime, fondé depuis 1952. D'autant plus que cette Armée, forte en stratégies, a su, faut-il le souligner, tirer sa légitimité de la douleur du peuple, de la rue, au point de s'approprier la révolte. Elle s'est même offert, au regard de sa conduite durant les événements, un statut irréprochable et digne d'une Armée représentant la voix du peuple. Chargée d'assurer la transition en Egypte, elle a pris ses premiers engagements samedi, au lendemain de la révolution. Dans un communiqué, le Conseil suprême des forces armées, dirigé par le ministre de la Défense, Mohamed Tantaoui, a garanti une «transition pacifique du pouvoir» qui «préparera le terrain à un pouvoir civil, élu en vue de construire un Etat démocratique libre». L'Armée, dépositaire de tous les pouvoirs, du moins pour le moment, peut-elle réellement tenir sa promesse? Ou s'agit-il juste d'une stratégie lui permettant de se repositionner, sachant qu'à la tête du Conseil suprême de l'Armée, Moubarak a pris le soin de nommer l'un de ses plus proches, en l'occurrence le maréchal Mohammed Hussein Tantaoui? Ce dernier, faut-il le signaler, ne peut pas passer pour un homme neuf et un révolutionnaire. A ce propos, des officiers égyptiens de rang intermédiaire, relèvent des diplomates américains, sont très critiques à l'égard d'un ministre de la Défense qu'ils estiment plus prompt à valoriser la loyauté que la compétence chez ses «subordonnés». Ces mêmes officiers surnommaient d'ailleurs leur chef le «caniche» de Moubarak. Tandis que plusieurs câbles diplomatiques américains, dévoilés par WikiLeaks, le décrivent, dès 2008, comme «charmant et courtois», mais aussi «âgé et résistant au changement». «Moubarak et lui se focalisent sur la stabilité du régime et le maintien du statu quo». A partir de là, tout porte à croire que le régime, tant vomi par les Egyptiens, entame un processus de repositionnement, pour mieux s'adapter à la nouvelle donne égyptienne. S'agissant de la chute de régime, cela demeure un voeu pieux pour les Egyptiens. D'ailleurs, sur ce chapitre, l'armée est claire et précise. Il n'y aura pas d'épuration au sein de l'Exécutif, malgré les appels de certains manifestants à la démission immédiate de l'ensemble du «système Moubarak».Le gouvernement égyptien, nommé par le raïs quelques jours avant son départ, restera en place jusqu'à la fin de la période de transition, ont confirmé, dimanche dernier, les autorités de l'Armée, qui se sont réunis le même jour. Autre engagement de taille pris par l'armée: le respect de tous les traités régionaux et internationaux signés par l'Egypte, à commencer par le Traité de paix signé avec Israël. De quoi rassurer les Etats-Unis d'Amérique et l'Union européenne qui n'ont pas caché ces deux dernières semaines leurs craintes sérieuses de voir émerger au Caire un nouveau pouvoir qui serait hostile à cet accord. Ces derniers, pour rappel, et à leur tête les USA, tout au long des événements, se sont évertués à tenir le bâton de leur politique par le milieu. Ils ont accompagné, et le font encore, le cours des événements, tout en les orientant sans pour autant toucher aux sensibilités des révoltés, ce qui ne les empêche pas de veiller, par conséquent, à leurs intérêts stratégiques.