Alors que la prochaine conférence de la coalition internationale à Londres veut trouver une issue diplomatique à la crise libyenne, la ruée militaire vers l'Ouest des insurgés a été stoppée à environ 150 km à l'est de Syrte, ont constaté sur place, lundi dernier, des envoyés spéciaux d'agences de presse. Syrte, cité de 120 000 habitants, était bombardée dans la nuit de dimanche à lundi par la coalition dont les opérations sont désormais commandées par l'Otan. Lundi matin, les milices pro-Kadhafi patrouillaient dans les rues désertées de Syrte, toujours sous le contrôle des forces loyalistes, ont noté sur place les agenciers internationaux. Les rebelles, qui s'étaient emparés dimanche de la ville de Ben Jawad, à l'est de Syrte, après avoir repris le contrôle du terminal pétrolier de Ras Lanouf, à l'ouest de Benghazi, avaient subi notamment des tirs de missiles et de mitrailleuses lourdes gouvernementales montées sur pick-up.Au cours de leur avancée victorieuse, les rebelles, bien que disposant désormais d'artillerie lourde, ont dû revoir leur plan de conquête de l'Ouest. Faiblement armés tout de même mais portés par les vents d'un enthousiasme juvénile et révolutionnaire, ils se sont repliés à quelques kilomètres de Ben Jawad, plus à l'est. Cette ville constitue la position la plus avancée qu'ils occupent depuis début mars lors de leur première poussée vers l'Ouest, avant que la ville ne soit reprise par les forces de Kadhafi le 6 du mois en cours.Samedi dernier, la reprise d'Ajdabia et du site pétrolier voisin de Bréga avaient constitué leur première victoire depuis le début de l'intervention internationale le 19 mars, inversant la tendance après une longue reculade et une semaine de stagnation et de démoralisation des troupes. Bien que momentanément stoppée par des forces en plus grand nombre, plus aguerries et disposant d'une plus grande puissance de feu, l'avancée triomphale vers l'Ouest, tel un blitzkrieg, a été largement rendue possible par l'intervention aérienne de la coalition. En effet, selon la formule militaire consacrée, les raids aériens ont préparé le champ de bataille tandis que des officiers et soldats de l'armée libyenne ont rejoint la rébellion. Ces militaires expérimentés, dont on ne connaît ni le nombre ni le niveau de grade et de technicité, semblent jouer un rôle majeur et coordonnent leurs attaques avec la coalition.Sur le terrain, les rebelles sont encore à 650 kilomètres de Tripoli. Moins bien armés, mal organisés malgré l'apport de militaires professionnels et un moral élevé, ils n'ont pas les moyens de prendre Tripoli. Les loyalistes, quant à eux, n'ont plus les moyens de frapper un coup décisif. Ni de lancer une attaque majeure, en raison de la zone d'exclusion aérienne, de la distorsion de leurs lignes de ravitaillement et de la dislocation de leurs moyens de communication sur un long et vaste théâtre d'opérations. Face à eux, les rebelles, qui disposent d'armes légères, de lance-roquettes, de lance-grenades et de canons antiaériens transportés, pourraient, dans le cas le plus optimiste, s'arrêter aux portes de la capitale. Ils auront alors contre eux le désavantage de s'attaquer à une ville fortement urbanisée et fortement défendue, notamment avec le sanctuaire militaire de la caserne de Bab El Aziziya où le colonel Mouammar Kadhafi dispose de l'essentiel de ses troupes d'élite commandées par ses fils. La prise de contrôle de Tripoli dépendra notamment de l'attitude des officiers loyalistes et, surtout, de la population qui, si elle venait à s'insurger contre Kadhafi, ferait basculer nettement le rapport de force. Et même précipiter le départ ou le suicide du Guide de la Jamahiriya libyenne. En attendant, le chemin vers Tripoli reste long. Les insurgés eux-mêmes avancent un peu, reculent autant et demeurent prudents en raison de la puissance de feu et de la capacité de nuisance militaire du colonel Kadhafi, difficile à mesurer à l'heure actuelle malgré la destruction d'une partie de son arsenal de défense. De l'avis même des stratèges de Washington et de l'Otan, une éventuelle victoire militaire des opposants venus de l'Est ne signifierait pas forcément la stabilisation rapide du pays. L'Otan a prévenu que les opérations pourraient durer au moins trois mois. L'Organisation transatlantique, qui a fait respecter dès dimanche la zone d'exclusion aérienne, n'a peut-être pas oublié le précédent du Kosovo. Il avait fallu, en effet, 78 jours de bombardement, du 24 mars au 10 juin 1999, 37 465 sorties aériennes, soit 480 par jour en moyenne, pour venir à bout des forces serbes et stabiliser un tant soit peu la situation. Un enlisement du conflit reste donc possible. L'hypothèse d'une intervention au sol demeure plausible. Pour le moment, Gérard Longuet est le seul à l'avoir évoquée. Le ministre de la Défense français a raison, du moins en théorie : la résolution 1973 de l'ONU, qui instaure une no fly zone interdit la présence d'une force «d'occupation» mais pas «d'intervention». Du point de vue du dirigeant français, «la résolution 1973 s'appuie sur une base juridique extrêmement large et permet une opération au sol. Il s'agit d'une opération au sol à partir de l'air». CQFD. N. K.