Tout va bien en Algérie. Tout va pour le mieux même. Alors, circulez, il n'y a rien à voir ! Plutôt, il n'y a rien à réformer. Le système politique algérien est le meilleur dans le monde arabe. Ou bien le moins mauvais puisqu'il tient bien sur ses fondations quand certains régimes arabes, réputés plus fortifiés, ont été ébranlés. Beaucoup risquent de tomber, alors que d'autres, comme le système Moubarak, font progressivement leur mue constitutionnelle. Difficilement, certes. Mais sur la façade mordorée du régime algérien, pas la moindre lézarde ! C'est pour cela qu'il n'y aura pas d'élections législatives anticipées. Pas de conférence nationale pour discuter du changement démocratique. Non plus d'assemblée constituante. Pas de nouveaux partis politiques. Pas de chaînes de radio et de télévision libres. Et le leader du MSP, qui, désormais, rue dans les brancards, renâcle, pinaille, se rebiffe et joue du menton barbu comme un vulgaire démocrate, n'a qu'à aller se rhabiller et changer d'alliance présidentielle, si ça lui chante. Et s'il est aujourd'hui membre de l'Alliance présidentielle, syndicat politique créé pour défendre le programme du président de la République, c'est par respect à la mémoire de cheikh Mahfoud Nahnah, leader historique du Mouvement pour la société islamique. Bonnes âmes, traduisez par charité politique, s'il vous plaît ! Qui dit tout ça avec l'incroyable assurance du graveur de certitudes dans le marbre de la foi politique inébranlable ? Le chef de l'Etat, qui serait revenu sur sa promesse du 19 mars 2011 ? Non, son Premier ministre. Au cours d'un passage sur A3, ectoplasme télévisuel de la chaîne de télévision unique algérienne, M. Ahmed Ouyahia, qui se veut une force tranquille, sans états d'âme, a affirmé qu'il n'y a pas urgence en la demeure car il n'y a pas, aujourd'hui, de crise politique en Algérie. Une crise d'une ampleur qui justifierait, demain, la moindre petite réforme. Et si, d'aventure, le président de la République décidait d'une révision constitutionnelle, sa préférence à lui, le Premier ministre, irait vers un régime présidentiel. Comme si l'actuel système n'a de présidentiel que le nom, la façade ou la tête. Quant à ceux qui réclament en revanche un régime parlementaire et une assemblée constituante, choix du FFS, du Parti des travailleurs et même du président de la République, selon la porte-parole du PT, eh bien, ils doivent attendre au moins cinquante ans, période de maturation nécessaire pour un parlementarisme à l'algérienne. Mais pour tous ces gens qui doivent attendre Godot, ils ne perdraient rien pour voir éclore les ambitions présidentielles, subliminales mais réelles, du secrétaire général du RND. Le vénérable Rassemblement pour la culture et la démocratie, parti né in vitro et avec de belles moustaches sur ses joues roses, selon la savoureuse formule de Mahfoud Nahnah, qui avait un sens blidéen de l'humour. Pour ceux qui ne le savent pas ou qui auraient encore quelque doute, M. Ahmed Ouyahia, «l'enfant du système» a, lui, l'ambition légitime d'incarner un jour le régime présidentiel qu'il a évoqué dans les studios de la A3. A l'image de l'ancien président Valéry Giscard d'Estaing, alors jeune loup de la politique française qui croyait qu'un président de la République naît de la «rencontre d'un homme avec son destin». Alors rêvons un chouia : dans une course électorale ouverte, honnête et transparente, Ahmed Ouyahia, candidat de son propre parti, confronté à d'autres candidats légitimes et crédibles, serait-il le Valéry Giscard d'Estaing de la deuxième république algérienne ? Une république qui serait démocratique sans l'ajout de l'épithète «populaire» comme pour l'actuelle RADP, dont M. Ahmed Ouyahia est le pur produit et le fidèle serviteur. Enfin, pour rester dans la politique, rappelons qu'En attendant Godot, pièce du génial Samuel Beckett, est un chef-d'œuvre du théâtre de l'absurde. Et au théâtre, la parole revient toujours au public. Comme en politique. N. K.