De notre correspondant à Béjaïa Kamel Amghar L'art est une profession de foi, disait Malek Haddad. On ne s'improvise pas artiste, car on ne peut changer son âme par une autre. L'imposteur dans ce domaine précis se révèle vite à lui-même et aux autres. Les cartes professionnelles et les diplômes d'honneur ne changeront rien à cette réalité. Soit on a cette finesse exceptionnelle des sens, soit on en est dépourvu.Dans les milieux artistiques, on retrouve cependant un tas de faux prophètes. Des chanteurs qui débitent n'importe quoi. Des musiciens qui font beaucoup de bruit. Des dramaturges qui confondent théâtre et cirque. Des poètes qui se trompent de vocation. De pseudo-écrivains qui se prennent au sérieux. Il arrive aussi souvent que ces faux jetons aient leur entrée dans l'appareil bureaucratique et médiatique pour décrocher de substantielles subventions et se faire tirer des portraits grandiloquents. Çela peut tenir pour un moment, en vain.D'autres, moins fortunés et si peu connus, restent pour la postérité à travers leurs œuvres qu'on découvre immanquablement avec un certain retard et beaucoup de regrets. De leur vivant, des génies comme Mohya, Zinet, Benmabrouk, Bouguermouh, Alloula, Azzegagh, Kateb, Dib ou Issiakhem, pour ne citer que ceux-là, étaient incompris pour avoir la reconnaissance et la considération qu'ils méritaient. Critiqués, censurés, marginalisés et même poussés à l'exil, ils ont travaillé dur et déployé tant d'imagination pour faire passer leur message. Ceux qui servent aujourd'hui la véritable culture algérienne sont peut-être aussi méconnus. Des jeunes qui n'arrivent pas à se faire une place sous les projecteurs.A Béjaïa, tous les grands rendez-vous culturels sont presque exclusivement animés par des jeunes du mouvement associatif. On aimerait citer particulièrement les journées cinématographiques de Béjaïa, les rencontres du film-documentaire, le Carrefour de la Soummam, le Festival de Djoua, les Poésiades d'Aït Smaïl et le Café littéraire. Les promoteurs de toutes ces manifestations sont presque d'illustres inconnus.Dans une récente étude statistique sur le théâtre algérien contemporain, Omar Fetmouche, actuel directeur du Théâtre régional de Béjaïa, conclut que 70% des comédiens du théâtre professionnel sont issus des troupes de jeunes amateurs. Ce sondage, portant sur un échantillon de 300 troupes durant la période 2005/2010, révèle que le théâtre de jeunesse s'enrichit aussi d'éléments universitaires. Les jeunes compagnies sont aujourd'hui constituées à 62% de comédiens issus de l'université. Promues par le tissu associatif, ces compagnies sont présentes même dans les villages et investissent différents créneaux comme le théâtre pour enfants, le théâtre traditionnel et le théâtre expérimental. Qui sont ces jeunes ? Qui a initié tout ce beau monde à l'art dramatique ? Sans doute pas des gros chasseurs de subventions publiques qui occupent invariablement le devant de la scène. Comme d'habitude, on découvrira tout cela avec un certain retard.«Ce théâtre de jeunesse qui peut donner beaucoup au théâtre algérien rencontre beaucoup de contraintes liées notamment aux moyens financiers et à l'insuffisance des espaces adéquats à la répétition», souligne Fetmouche, en mettant l'accent sur la nécessité d'aider et de suivre le travail de ces associations. L'aide de l'Etat devrait en effet profiter à cette école «indépendante» qui forme et encadre les véritables faiseurs de théâtre au lieu d'aller dans les poches des bureaucrates et des faiseurs de louanges. On est tenté de dire la même chose concernant le cinéma, le livre et toutes les autres disciplines de l'art et de la culture.