Photo : Sahel De notre correspondant à Béjaïa Kamel Amghar L'art et la culture en Algérie se déclinent aujourd'hui comme un luxe réservé à une certaine élite. Contrairement aux années 1970 et 1980, le grand public est quasiment absent dans les rares manifestations qui s'organisent çà et là. Dans chaque ville du pays, on rencontre ainsi des cercles retreints -pour ne pas dire fermés- qui s'intéressent à une discipline artistique quelconque. Des ciné-clubs, des cafés littéraires, des troupes de théâtre amateur ou des passionnés de photographie se regroupent ainsi dans ce qui ressemble à une ligue où l'on vient s'exercer son hobby préféré. Ces groupes, que l'on peut qualifier d'«éclectiques», évoluent souvent en marge de la société réelle qui, elle, semble avoir d'autres soucis bien plus urgents. Pour beaucoup de foyers algériens d'aujourd'hui, assister à un vrai concert de musique, voir un bon film au cinéma ou s'offrir un grand spectacle de théâtre, c'est un privilège plutôt rare. Et quand ça se trouve, l'affiche est souvent onéreuse. En plus de la contrainte financière que l'on peut aisément comprendre, la qualité des représentations proposées, l'organisation, les conditions d'accueil laissent partout à désirer. A défaut d'une programmation régulière d'événements culturels, les promoteurs de spectacles ont, eux-mêmes, perdu la main. L'anarchie, l'improvisation et le désordre qui caractérisent la quasi-totalité des spectacles proposés éloignent le large public, notamment les ménages. L'attitude autosuffisante et hautaine des promoteurs et des gestionnaires de la chose culturelle creuse davantage le fossé qui les sépare de la majorité des petites gens.Naguère, nos dramaturges, nos chanteurs, nos cinéastes, nos écrivains et même les responsables de nos arènes culturelles côtoyaient joyeusement le peuple, s'y imprègnaient à chaque instant pour s'en inspirer et répondre à des besoins précis. C'est une condition fondamentale dans toute entreprise de création. Objectivement, on ne peut produire un art destiné aux Algériens en partant s'installer dans l'Antarctique. Hélas aujourd'hui, ceux qui émergent un tout petit peu du lot se mettent à lorgner vers d'autres cieux lointains. On semble croire naïvement que le brevet de la notoriété et de la grandeur doit être délivré dans les grandes capitales comme Paris, Londres ou Montréal. Il y eut un moment où l'on attribuait volontairement ce phénomène à la détérioration de la situation sécuritaire, mais à présent on se rend compte qu'il s'agit d'une «mode» ridicule, d'une manière légère de concevoir le métier d'artiste. Même s'il y a encore des choses qui se font de temps à autre, le peu de communication et de publicité sciemment faites autour de ces événements épisodiques creuse la distance qui les sépare des milieux populaires. A Béjaïa, par exemple, le Festival national de la musique et de la chanson kabyles, les Journées cinématographiques, les Rencontres du film documentaire et le Carrefour culturel de la Soummam sont, entre autres, autant de manifestations annuellement organisées par les services publics de la culture ou le mouvement associatif, mais leur très faible fréquentation par le public ne leur confère pas quelque dimension. Il s'agit aujourd'hui de chercher à savoir pourquoi. Pour toutes les questions soulignées précédemment, le citoyen ordinaire préfère manifestement une empoignade footballistique si médiocre soit-elle- à n'importe quelle affiche prétendument culturelle. Aucune autre explication ne peut résister à cette réalité des faits. Il est clairement établi que les artistes, les promoteurs de l'action culturelle et les institutions publiques de la culture se sont délibérément éloignés des préoccupations de la rue. Celle-ci le leur rend de fort belle manière en les ignorant royalement.