Rentrée récemment d'Allemagne après une longue période de convalescence, Bettina Heinen Ayech a choisi de se confier à Liberté sur un sujet qui lui tient particulièrement à cœur, sa rencontre avec Issiakhem et l'art en Algérie, en général. Liberté : Votre absence au 10e Salon d'arts plastiques n'est pas passée inaperçue. Qu'en est-il vraiment ? Bettina H. A. : Je regrette beaucoup de ne pas avoir participé à ce Salon, car j'étais en Allemagne où je devais subir une intervention chirurgicale. Mais, ce que je regrette le plus, c'est de n'avoir pas pu revoir tous mes amis peintres que je considère comme mon pied-à-terre… mon vrai chez moi. Parlez-nous un peu de votre parcours en Algérie et de tous ces liens artistiques que vous avez pu tisser durant toutes ces années ? Ma première exposition individuelle remonte à 1967 et 1968 en Algérie, elle m'a permis de tisser des liens avec un bon nombre d'artistes algériens, auxquels je tiens beaucoup, entre autres, le regretté Samsoum que j'adorais, et naturellement Issiakhem que j'ai rencontré de façon très amusante. C'était lors de mon exposition, alors que j'étais en pleine conversation avec des invités, j'aperçois un homme de l'autre côté qui n'arrêtait pas de me faire signe de le rejoindre. Très étonnée, je demande alors si quelqu'un le connaissait, et c'est là qu'on me dit que c'était Issiakhem. Ce fut un réel bonheur pour moi de discuter avec ce grand artiste. Qu'est-ce qui vous a le plus marqué chez lui ? J'ai eu l'occasion de voir ses dernières toiles. Elles sont empreintes de vérité et de beaucoup de courage. C'était sans doute son combat contre la maladie qui lui a donné la force qu'on retrouve dans pratiquement tous ses autoportraits. D'ailleurs, ce sont ceux réalisés à la fin de sa vie qui m'ont le plus touchée. Hormis Issiakhem, quels sont les artistes qui vous ont marquée ? Ils sont nombreux. Il y a Farès, Hakar, Ghalène de Souk Ahras, Boussena, écrivain et peintre reconnu à Guelma, et bien d'autres qui m'ont fait comprendre que mon arbre pouvait avoir des racines en Algérie. Leur engagement à travers la peinture et leur combat contre la marginalisation n'ont fait qu'accroître mon envie de rester dans ce pays. Pensez-vous que l'artiste peintre a sa place en Algérie ? L'impressionniste berlinois, Max Liberman, a dit un jour : “ Il faut trois choses à un peintre pour réussir : du talent, de l'argent et beaucoup de travail.” À première vue, on pourrait se poser des questions, car il y a beaucoup de gens qui se sont fait un nom, sans pour autant satisfaire les trois commandements. Mais j'ai réalisé que sans talent et surtout sans argent, un artiste ne peut prétendre à une carrière nationale, encore moins, internationale. Et l'art dans tout çà ? On ne s'improvise pas peintre, écrivain ou sculpteur, mais parce qu'on l'est. C'est un don qu'on a dans le sang. Mais conjoncture oblige, l'artiste perd toute confiance lorsqu'il n'est pas reconnu, au bout de dix, vingt ou trente ans de travail, ou n'a pas vendu un cinquième de ce qu'il a réalisé. Il faut être réaliste même quand on est artiste. En Algérie, un artiste-peintre ne peut pas vivre de ses dessins ou de ses sculptures. Ne pensez-vous pas que le manque d'infrastructures spécialisées soit un frein à l'émancipation de l'art en Algérie ? Il est vrai qu'il n'y a pas beaucoup de galeries, mais le peu qui existe, notamment dans la capitale, répond relativement à une demande de plus en plus croissante. Aujourd'hui, ce n'est plus seulement les institutions d'Etat qui détiennent le monopole d'un marché, désormais, ouvert aux particuliers. Que pensez vous de la jeune génération d'artistes ? Je trouve que les jeunes talents d'aujourd'hui sont créatifs et modernes à la fois. Ils ont un style très personnel et empreint, toutefois, de réalisme. Contrairement à ce qui se passe en Europe, les peintres algériens sont indépendants et leurs toiles ne sont pas conditionnées par la vague du moment ou la nouvelle mode. D'ailleurs, beaucoup de mes collègues, de l'autre côté de la Méditerranée, changent de style, comme on change de chemise. L'art est le reflet des âmes. Si on change à chaque fois de style, on ne termine jamais ce qu'on a commencé. Nos idées et nos visions se retrouvent, de ce fait, amputées. Mais ne croyez-vous pas que l'art doit évoluer ? Bien évidemment, mais il faut aller jusqu'au bout de ses idées et pensées, car pour certains, l'art quel qu'il soit est la seule façon de s'exprimer. Des projets pour l'avenir ? Je tiens d'abord à parler d'une expérience exceptionnelle. Il y a trois ans, j'ai été invitée par Bertrand Delanoé, maire de Paris, pour une exposition à l'hôtel de ville, qui a coïncidé avec une exposition de livres consacrée au Maghreb. Ce fut une véritable réussite. C'est pour cette raison que je souhaiterais renouveler l'expérience. Par ailleurs, je suis invitée à Magdeburg (ex- RDA), où je vais exposer une seconde fois dans ma ville natale, Solinger. Propos recueillis par N. Benessem