Le torchon brûle entre le gouvernement et le CAMRA, collectif regroupant les médecins, pharmaciens et dentistes résidents. Et il y a de l'eau dans le gaz entre les deux parties, engagées dans un bras de fer inauguré par une grève illimitée le 28 mars 2011. De sit-in en rassemblements divers, y compris devant la présidence de la République, et de discussions biaisées en pourparlers avortés, les rapports entre résidents et tutelle administrative se sont passablement détériorés. Il y a même un cadavre dans le placard depuis que les pouvoirs publics ont eu le gourdin lourd contre des membres du CAMRA rassemblés récemment au CHU Mustapha d'Alger. Quelque chose choque dans cette propension à user de brutalité contre des citoyens pacifiques. Surtout quand il y a de nombreux blessés parmi les disciples d'Hippocrate. Le sang maculant leurs blouses blanches est une tache noire sur l'étendard d'un gouvernement cédant, de plus en plus, à sa tendance compulsive à sortir la trique en réponse à des revendications catégorielles. Pour le régime, c'est finalement le kazzoul qui prime, même si --on l'a observé sur la chaussée algéroise-- il a réfréné l'ardeur policière à faire virevolter les matraques. Et s'il a raison sur le principe même du service civil, dont les résidents exigent l'abrogation, le gouvernement est en revanche mal avisé de faire semblant d'écouter les résidents. Surtout, de le faire d'une oreille si peu bienveillante au sein d'une commission de conciliation où certains «sages» qui le représentent sont des ronds-de cuir endurcis, tout à fait étrangers à la culture de la négociation et du compromis. Le Premier ministre, dont le net franc-parler a parfois les sonorités du barrissement d'un éléphant dans un magasin de porcelaine, a blessé l'amour-propre des résidents en usant à leur endroit de mots justes mais cruellement paternalistes. En leur rappelant leur dette morale à l'égard de «la bonté de l'Algérie qui leur a donné des études gratuites», il a donné l'impression de dresser un constat de carence en patriotisme dont souffriraient ces spécialistes en devenir. Ahmed Ouyahia a pourtant raison de refuser la suppression du service civil. Même si, contradictoirement, les résidents font observer qu'ils sont les seuls à y être assujettis, au mépris de la Constitution et de la législation ad hoc, notamment la loi du 11 février 1984 portant service civil. Sur le fond comme sur la forme, la demande d'abrogation est indéfendable. Avec le service militaire, c'est une forme particulière d'accomplissement de l'obligation générale de servir, une contribution à la promotion de la cohésion sociale. C'est un acte de citoyenneté au même titre que de payer ses impôts, l'un et l'autre étant indispensables à l'essor du bien commun. L'Algérie ne fait pas exception à la règle, en vigueur en Allemagne, en France, en Suisse et en Italie, même si le service civil y est parfois volontaire. De même que les autres compatriotes, les résidents ne doivent pas se dérober à leur devoir civique, conformément à l'article 62 de la Constitution qui stipule que «tout citoyen doit remplir loyalement ses obligations vis-à-vis de la collectivité nationale». Ce devoir est d'autant plus impérieux que la couverture sanitaire dans les wilayas du Sud est de moins de 4% dans des territoires de 1,9 millions de km2 pour 3,3 millions d'habitants. Loin d'être une servitude, l'obligation pour nos 10 000 résidents de servir des Algériens peu servis dans des régions désertiques ou enclavées, ne dispensent pas nos gouvernants de l'obligation de moyens. Précisément, en équipements techniques suffisants et performants, en logements de proximité, en transports et en salaires tout à fait attractifs. Enfin, dit-on toujours, à quelque conflit malheur est bon : la question du service civil pose le problème de la santé dans sa globalité. Autant que d'une réforme profonde, elle a besoin d'un vrai plan Marshall. Un résident anonyme, le bien surnommé Symphonie, ne s'y est pas trompé. Il a crée une page Facebook intitulée «Hôpitaux algériens, bienvenue en enfer !» Il compte déjà 12 000 membres qui visitent le musée des horreurs. Ces lieux apocalyptiques où, par exemple, des chirurgiens, parfois en manque de fil chirurgical, ne trouvent pas toujours des anesthésistes et des réanimateurs. Ou bien, comble du surréalisme, continuent d'opérer à la lumière de leurs téléphones portables, faute de groupes électrogènes ! Cette prouesse inouïe ne s'est pas déroulée en rase campagne somalienne. Elle a été réalisée en 2010 dans un hôpital de la Mitidja, à moins de 60 km de la capitale ! S'ils l'apprenaient, Hippocrate avalerait du Tranxène et Kafka ingurgiterait de Lexomil. En surdose. N. K.