S'il enregistre de réelles avancées dans le domaine des libertés et de la promotion des droits de l'Homme, le projet de révision constitutionnelle proposé par le roi ne fera pas basculer le Maroc dans la monarchie constitutionnelle, parlementaire et sociale, promise par le Commandeur des croyants. Les Marocains sont donc loin de vivre le «tournant historique et déterminant» annoncé. La nouvelle Constitution fait de Mohamed VI un monarque qui règne, gouverne, arbitre et garantit. Un souverain qui conservera toutes ses prérogatives de chef de l'Etat et de Commandeur des croyants, l'autorité ultime en matière religieuse. Il préside le Conseil des ministres et l'inédit Conseil supérieur du pouvoir judiciaire. Il reste le chef suprême et opérationnel des Forces armées royales (FAR) et coiffe le Conseil supérieur de sécurité, nouvellement créé. Il octroie des prérogatives exécutives supplémentaires au futur Premier ministre, qui sera tout de même bordé et encadré par le roi qui garde la haute main tranchant en dernière instance. Bref, Mohamed VI récupère de la main gauche ce qu'il a cédé de la main droite. Incontestablement, la constitutionnalisation des droits de l'Homme est une avancée concrète. S'y trouvent donc promues et mieux défendues la parité entre les hommes et les femmes en politique, la présomption d'innocence, la garantie d'un procès équitable, la liberté de la presse, d'expression et d'opinion. De même, la torture, les disparitions forcées et la détention arbitraire, qui ont longtemps terni l'image de la monarchie, notamment sous le règne de Hassan II, seront plus ou mieux combattues grâce à de nouveaux mécanismes constitutionnels. Le roi Mohamed VI est d'autre part le garant d'une justice plus indépendante où les voies de recours seront élargies. De même, fait inédit dans les annales de la justice au Maghreb, possibilité sera donnée aux justiciables d'évoquer la question prioritaire de constitutionnalité, qui permettra de juger d'une éventuelle inconstitutionnalité d'une loi. Garant de la justice, le roi est, dans tous les sens du terme, le premier magistrat, qui plus est présidera le futur Conseil supérieur du pouvoir judiciaire qui remplacera le Conseil supérieur de la magistrature. Tout aussi incontestable, l'inscription dans le marbre constitutionnel de tamazight, langue maternelle de la majorité des Marocains, est l'autre grande avancée enregistrée dans la nouvelle Constitution. Outre le caractère national qui lui était déjà reconnu, elle sera désormais une langue officielle, au même titre que l'arabe. Sur ce point, le roi Mohamed VI a parfaitement raison de considérer que sa promotion à ce statut unique dans le Maghreb arabo-berbère est une «initiative d'avant-garde». A charge pour le palais royal de rendre effective son officialisation, en définissant notamment les modalités de son intégration dans l'enseignement et aux secteurs prioritaires dans la vie publique. En termes de pouvoir politique, le roi s'est en revanche taillé une djellaba plus confortable dans la mesure où il sera un chef de l'Etat au-dessus des partis mais arbitre ultime du jeu politique. Il demeure, comme toujours, le Commandeur des croyants, c'est-à-dire le gardien de la foi, le maître de la fatwa et le gardien du dogme malékite dans un royaume travaillé en profondeur par le salafisme. Sa personnalité reste sacrée et inviolable, et respect lui sera toujours dû. En matière de transmission du pouvoir, rien ne change : la Couronne du Maroc et ses droits constitutionnels restent héréditaires et se transmettent de père en fils aux descendants mâles en ligne directe et par ordre de primogéniture de Sa Majesté. Deux petites différences tout de même : le roi pourrait, s'il le souhaitait, désigner de son vivant un successeur parmi ses fils, autre que son fils aîné; et l'âge du successeur est porté de 16 à 18 ans. De ce point de vue, la succession est verrouillée afin de ne pas favoriser, par exemple, l'arrivée sur le trône d'un Moulay Hicham, troisième de rang dans la succession du roi, favorable à l'avènement d'une monarchie parlementaire. La pérennité et la sacralité d'une monarchie ancestrale sont donc préservées. S'agissant du pouvoir exécutif, là aussi les changements existent mais sont mineurs. Le roi se contente à ce sujet de proposer des aménagements destinés à assurer un fonctionnement plus souple et plus harmonieux de l'exécutif. S'il sera issu des rangs de la majorité élue au Parlement, le futur Premier ministre, qui accède au statut honorifique de chef du gouvernement, se voit attribuer de nouvelles missions soumises cependant à l'assentiment et à l'arbitrage du roi. Par exemple, le pouvoir de dissolution et celui de la nomination à certains postes civils. S'agissant du pouvoir de nommer, les désignations dans la magistrature reviennent en dernier ressort au roi qui sera le garde des Sceaux effectif. Sous le royaume alaouite, la devise «toi tu proposes librement et moi je dispose souverainement» sera toujours de mise. Et, diadème militaire accroché à la couronne royale, le roi Mohamed VI demeure le chef suprême des forces armées. Il est le chef opérationnel des FAR et nomme seul aux emplois militaires qu'il peut déléguer, sans toutefois que soient précisés le niveau et les délégataires éventuels. Il est même créé un Conseil supérieur de sécurité, chargé de la «bonne gouvernance sécuritaire» du royaume. Le caractère consultatif de cette future instance n'empêche pas le roi de le présider. Il en fixera l'ordre du jour, même dans le cas où il en aurait délégué la présidence au chef du gouvernement. Autre domaine royal réservé, la diplomatie. Le roi définit la politique étrangère, accrédite auprès de lui ambassadeurs étrangers et ambassadeurs du Maroc à l'étranger. Il signe et ratifie les traités, à l'exception des accords de paix ou d'union, ou ceux relatifs à la délimitation des frontières, les traités de commerce ou ceux engageant les finances publiques qui relèvent tous du législatif. Il y a donc loin de la coupe aux lèvres ! Le nouveau système institutionnel marocain est toujours fondé sur la prééminence du roi qui demeure omnipotent, même si, par souci d'efficience managériale, des prérogatives élargies sont attribuées au Parlement, au futur chef du gouvernement et aux provinces, dans le cadre d'une régionalisation avancée. Mais on est loin, bien loin d'une monarchie parlementaire à l'espagnole, avec un Premier ministre qui dispose de tous les leviers de gouvernement, de parlements régionaux et un roi voué à l'inauguration des chrysanthèmes. L'opposition islamiste radicale représentée par Al-Adl wal-Ihsane (justice et bienfaisance) de cheikh Abdesselam Yacine et, surtout, le mouvement du 20 février, qui réclament une monarchie où le roi règne sans gouverner, vont devoir battre encore plus le pavé et porter plus haut la voix de la revendication démocratique. La nouvelle Constitution sera adoptée sans encombre, le 1er juillet prochain. D'ores et déjà, les principaux syndicats, les relais associatifs du régime et les partis de gouvernement les plus en vue, l'USFP, l'Istiqlal, Authenticité et Modernité (créeé par l'ami intime du roi, Fouad Ali El Himma) et le PJD (islamiste modéré) ont approuvé avec enthousiasme le projet de révision constitutionnelle. Dans l'état actuel du rapport de force entre le mouvement citoyen du 20 février 2011 et les islamistes radicaux d'al-Adl wal-Ihsane de cheikh Abdesselam Yacine, qui revendiquent une monarchie parlementaire détentrice du pouvoir réel, les opposants devront battre encore campagne et élargir le cercle de la revendication pour espérer atteindre, un jour, leurs objectifs. Tout compte royal fait, un M6 qui ressemblerait à la reine d'Angleterre, ce n'est pas encore pour demain. Ceux qui rêvent de lendemains démocratiques sous une monarchie purement symbolique attendront des jours et un rapport de force meilleurs. N. K.