A trois mois des législatives décisives, l'Egypte est face à l'incertitude politique. Des appels à reporter le scrutin se font de plus en plus pressants. Il y a des craintes de voir la «révolution s'effondrer» et ses bienfaits déviés. Face à cette situation, des militants égyptiens ont décidé d'appeler à manifester le 8 juillet pour «sauver la révolution», menacée de s'enliser dans les éternelles controverses politiques. Pour les jeunes, il s'agit de revenir aux idéaux de liberté et de défense des droits portés par une révolte extraordinaire. «Politiques de tous bords qui débattez pour savoir s'il faut d'abord une constitution ou des élections, sauvez d'abord votre révolution, sauvez l'Egypte d'abord. Notre révolution s'effondre», clament les adeptes de «la 2e révolution de la colère». C'est le nom de l'événement créé sur Facebook par les protestataires égyptiens. Ils exhortent les politiques à revenir aux revendications qui ont mené à la chute du «pharaon» Hosni Moubarak. Sur les 55 000 profils en ligne invités à participer à «la 2e révolution de la colère», plus de 9 000 ont déjà répondu présent. Les militants estiment que les revendications initiales, qui ont poussé Moubarak et son clan à lâcher le pouvoir, tendent à laisser la place à des demandes peu sérieuses. Les échéances de calendrier se sont substituées à la défense de plus importants : les droits et les libertés, principes pour lesquels le peuple s'est soulevé contre l'ordre établi. Pour les auteurs de l'appel à manifester le 8 juillet, les priorités sont la liberté d'expression dans le pays, la bonne tenue des procès publics et la fin des procès de civils en cour martiale. C'est pour cela que le peuple s'est soulevé et non pour les chicanes au sujet des dates de scrutins. A la tête du pays depuis la chute de Moubarak, le Conseil suprême des forces armées est l'objet de tous les grognements. Les militants de la place Tahrir accusent l'armée de persister à employer les méthodes de l'ancien régime. Et de vouloir casser toute velléité de revenir à la protestation. L'armée égyptienne, étroitement liée aux Etats-Unis pour son équipement et l'aide annuelle d'un milliard et demi de dollars, est soupçonnée de gérer une transition à la faveur de la continuité du système. Toujours soutenus par les Saoudiens, les militaires qui contrôlent le pouvoir seraient particulièrement tentés par l'exemple pakistanais. Tenir les commandes tout en confiant la gestion de la société aux partis religieux. Rien n'est moins aisé dans un pays caractérisé certes par une profonde religiosité, mais dont la jeunesse a montré un degré élevé de maturité politique. La scène politique en Egypte demeure confuse et les priorités des uns et des autres divergentes. Les législatives prévues en septembre prochain sont les premières du genre depuis la chute de Moubarak le 11 février et la dissolution du Parlement. Les militaires, qui ont publiquement promis de quitter le pouvoir dès que possible, se sont engagés à «accompagner» la rédaction d'une nouvelle Constitution suivie d'élections présidentielles deux mois plus tard. Cependant quatre mois après la chute fracassante de Moubarak, l'état d'impréparation de la grande majorité des partis et mouvements issus de la révolte a provoqué une multiplication des appels soit à reporter le scrutin, soit à rédiger au préalable une nouvelle loi organisant le «jeu» démocratique. Le Premier ministre de transition, Essam Charaf, qui avait évoqué la possibilité d'un report des législatives, joue l'équilibriste. L'éventuel report des élections est critiqué par les frères musulmans mais également par certains courants laïques. L'éventualité du report est assimilée à la volonté de l'armée de se maintenir aux affaires, retardant de ce fait le processus démocratique engagé. Mais la vigilance populaire est toujours de mise. Le ministre égyptien des Finances, Samir Radwan, vient d'abandonner son projet de demande de prêts au Fonds monétaire international (FMI) et à la Banque mondiale. Cette décision des nouvelles autorités du Caire intervient moins d'un mois après la négociation d'une facilité permanente de trois milliards de dollars avec le FMI. L'Egypte avait également négocié un prêt de 2,2 milliards de dollars avec la Banque mondiale. L'opinion égyptienne en a décidé autrement. La révolte du peuple confirme qu'elle ne se limite pas au domaine politique et aux revendications démocratiques, mais qu'elle intègre une dimension socioéconomique aussi décisive. Les institutions de Bretton Woods ont mauvaise presse auprès de nombreux Egyptiens. Pour le peuple, ces deux institutions ont imposé des mesures étouffantes sous Moubarak. Une situation qui a bénéficié davantage aux nantis qu'aux pauvres. Selon la Banque mondiale, plus de 18% de la population égyptienne vit avec moins de deux dollars par jour. Selon les médias et des économistes, plus de 40% de la population (30 millions de personnes) survivent en dessous du seuil de pauvreté. Et pour ne pas arranger les choses, le coût de la vie a connu une hausse brutale au cours des trois derniers mois. Une aggravation imputée à la spéculation mais aussi à la volonté de faire payer au peuple une révolution ayant fait vaciller l'édifice politique et administratif de corruption et de prédation qui constitue l'ossature du régime. L'Egypte post-révolution se retrouve dans un carrefour. Le processus démocratique demeure exaltant pour un peuple épuisé par des décennies d'autoritarisme. Mais les insupportables inégalités sociales et l'absence de perspectives pour une jeunesse avide de changement restent autant de combustibles menaçant de futures explosions. M. B.