Photo : M. Hacène Par Algérie Presse Service Des poétesses arabes émigrées ont estimé que le mal du pays ne devrait pas être l'unique inspiration des auteurs établis dans d'autres pays que ceux d'origine, car la créativité littéraire s'adresse, en prime, à l'humain et dépasse toutes frontières ou nationalités. Ne pas écrire dans la langue mère, aborder des thèmes pas forcément nostalgiques, laisser l'amour de la patrie loin des écrits, éviter de «barricader» son imaginaire, vivre son émigration sans recourir à l'encre, sont les principales idées défendues par ces femmes de lettres, invitées à une rencontre-débat dans le cadre du 4e Feliv sur le thème «Littérature entre deux exils». Sur le concept «exil», elles ont toutes affirmé qu'il s'agissait d'un terme «trop fort» qui ne reflétait pas leur cas, du fait que l'émigration était, pour elles, un choix et non une obligation. Vivre loin de sa terre natale, pour un artiste, peu importe sa spécialité, est un mode de vie à assumer parfaitement sans pour autant en faire le noyau de ses œuvres. Souleima Rahal, poétesse algérienne établie au Caire depuis quatre années, qui a abordé la question de l'émigration d'un point de vue philosophique, dira que, pour elle, l'émigration est un sentiment qui habite l'être humain dès sa naissance et provient de différents domaines, sources et sensations. Elle a cité comme exemple le sentiment d'être émigré dans son propre pays, dans sa ville natale ou même au sein de sa famille. «La planète Terre en entier représente un sol d'émigration pour l'homme car il l'a habitée après avoir été chassé du paradis», dira-t-elle. Donc, le sentiment d'être émigré, pour elle, est une question liée beaucoup plus au tréfonds de l'âme qu'au territoire. Toutefois, elle a reconnu la «tristesse» de vivre loin de son pays d'origine qui surgit par moments. Cet état d'âme a une certaine influence sur le contenu de sa poésie, sans pour autant former le thème principal, a-t-elle relevé, en ajoutant que la littérature actuelle de l'émigration est basée plus sur la conscience que sur le sentiment. Pour sa part, la poétesse et traductrice syrienne Chalat Ahmed, qui vit en Suisse, a affirmé que la perception de l'émigration variait d'une personne à une autre selon le vécu et l'expérience de chacune. L'émigration est à la fois «une aventure et un défi lancé à la quête de soi-même afin de pouvoir découvrir l'autre qui est en nous», dira-t-elle. La poétesse d'expression arabe et kurde a affirmé que l'émigration était un moyen permanent pour développer l'imaginaire et rendait l'auteur plus fort et plus responsable dans ses écrits. L'écrivain ou le poète émigré n'est pas obligé de demeurer «prisonnier» de la période durant laquelle il a quitté son pays, mais devrait laisser son imaginaire se développer sans se limiter à aborder, dans ses œuvres, uniquement sa propre expérience, ajoutera-t-elle. Nathalie Handal, écrivaine franco-américaine, d'origine palestinienne, d'expression anglaise, installée à New York depuis plus de dix années, a exprimé un désarroi inattendu quant au classement de sa littérature. S'agit-il d'une littérature arabe, américaine ou française ? s'est-elle interrogée, tout en expliquant que ceci ne posait pas de problème pour elle car la littérature «s'adresse d'abord aux hommes et efface les frontières qui les séparent». «Nous sommes des écrivains avant tout. Nous ne sommes pas obligés d'aborder des thèmes nostalgiques. Il ne faut pas stigmatiser les écrivains émigrés et limiter leur esprit créatif», a conclu Mme Handal dont l'œuvre est traduite en une quinzaine de langues.