�J�aime mon pays comme tout Alg�rien qui se respecte. Je ne le vends pas aux chim�res et le d�fends quand il le m�rite� ( Entretien avec Yasmina Khadra , men� par Mohamed Chafik MESBAH) BIO EXPRESS DE YASMINA KHADRA Yasmina Khadra, de son vrai nom Mohamed Moulessehoul est n� le 10 janvier 1955 � Kenadsa non loin de Bechar, aux portes du Sahara. Son p�re rejoint les rangs de l� ALN dont il devient officier. C�est tout naturellement qu�il destine son fils � devenir soldat. Mohamed Moulessehoul rejoint, en effet, � l��ge de neuf ans, en 1964, l�Ecole des cadets de la R�volution. A Tlemcen puis Kol�a. En 1975, il int�gre l�Acad�mie Millitaire de Cherchell.Il en sortira sous lieutenant en 1978 et servira dans des unit�s de combat aux fronti�res occidentales du pays. Il continue sa carri�re, toujours dans le corps de bataille, jusqu�a sa retraite, avec le grade de commandant, en septembre 2000.Yasmina Khadra s�est �tabli � Aix-en-Provence,sans perdre, nullement, le contact avec la m�re patrie. D�s son enfance, faut-il le mentionner, il avait contract�, la passion de l��criture. Il produit de nombreux essais in�dits, mais commence, � acc�der � la notori�t�, en s�essayant au roman policier, sous un nom d�emprunt compos� des deux pr�noms de son �pouse, Yasmina Khadra. Apr�s qu�il eut regagn� la vie civile, il d�voile son vrai nom tout en conservant celui de Yasmina Khadra pour signer ses nouvelles oeuvres. Il se lib�re, d�abord,du poids de son enfance en publiant �L��crivain�, puis �L�imposture des mots� pour expliquer, sinon justifier sa d�marche. Il se consacre, par la suite, � une trilogie qui le m�ne de Kaboul �les hirondelles de Kaboul�, � Baghdad �les sir�nes de Baghdad� en passant par la Palestine �l�Attentat�.Cette trilogie est consacr�e � la violence, sinon comme il aime � le dire, �� l�incompr�hension entre l�Orient et l�Occident�. Traduit en plus de vingt langues, dans plus de trente pays, Yasmina Khadra a atteint les c�mes de la gloire internationale. Apr�s le tournage en Alg�rie de �Morituri� par Okacha TOUITA, c�est au libanais Ziad DOUIERI de commencer � filmer �l�Attentat� aux USA. Il reste, en attente, cependant, d�un grand prix litt�raire dont l��loignent son franc-parler et son alg�rianit� farouchement revendiqu�e. Aix, 14 Avril 2007�En me rendant chez Yasmina Khadra pour finaliser l�entretien qui lui est consacr�, j�avais pr�sent � l�esprit le torrent imp�tueux qui imprimait le flot de ses r�pliques et la flamme qui brillait de ses mille feux au d�tour de chaque id�e, chaque formule, chaque locution jaillies comme de ses entrailles profondes. Au grand bonheur sans doute des lecteurs alg�riens que j�invite instamment � d�couvrir encore plus, encore mieux, cet orf�vre de l��criture qui affirme respirer de toutes ses pores son alg�rianit� inalt�rable. Yasmina Khadra n�aime pas tellement que son pass� militaire soit ressass�, estimant m�me qu�il constitue un obstacle � l�appr�ciation de son �uvre dans sa dimension strictement litt�raire. Dont acte. C�est un aspect de cette vie ant�rieure �voqu�e dans la houle d�ferlante de ses propos qui a retenu, cependant, mon attention. Je veux parler de cette description fabuleuse -combien fid�le- qu�il venait de commettre, incidemment, � propos de cette relation exceptionnelle, empreinte de chaleur affective et impuls�e par une exigence s�v�re de perfection morale et d�excellence intellectuelle, que Houari BOUMEDIENE, entretenait avec les cadets de la R�volution dont Yasmina Khadra fut un. Il s�agissait le plus souvent de jeunes cadets issus de familles laborieuses du pays profond, pour ne pas dire familles d�munies, que BOUMEDIENE pr�destinait, avec conviction, � prendre la rel�ve au sommet de la hi�rarchie militaire. Quel paradoxe, ce destin qui, plut�t que de le propulser parmi les grands chefs militaires de l�Alg�rie ind�pendante, a hiss� le cadet de la Revolution Mohamed MOULESSHOUL au firmament de la c�l�brit� et de la gloire dans le monde encore plus ferm� de la litt�rature! Pour reprendre l�expression m�me de Yasmina Khadra, je per�ois bien Houari BOUMEDIENE avec � sa moustache rousse, son regard triste et son regard lointain � intrigu� de ce d�tour du destin mais pas contrari� du tout que cette perc�e de l�intelligence se soit dirig�e dans un sens inattendu. Apr�s avoir v�cu une forme d�exil int�rieur plus mortel que l�exil tout court, Yasmina Khadra a eu la chance inouie de rencontrer la bonne �toile, cette f�e qui lui a inocul� le don d��crire avec un talent fabuleux et une verve insatiable�Il a pu se procurer donc le rem�de ad�quat � la malvie, cette th�rapie comme il dit qui lui permet de r�sister � l�usure du d�senchantement. Il propose, presque avec candeur, d�en faire profiter ses semblables dans le pays. Sinc�re et convaincu presque, il recommande, simplement, de laisser exploser le g�nie alg�rien : �Il existe,clame-t-il, de vrais intellectuels alg�riens, tout � fait �clair�s et libres d�esprit, des intellectuels au sens le plus probe et le plus noble du terme �.Mais attention, ce soup�on de pr�vention ne diminue en rien de l�admiration qu�il est possible de porter � Yasmina Khadra qui nous apprend � ne pas desesp�rer puisque la gloire n�est pas interdite aux Alg�riens. Mais attardons nous, plutot sur l��uvre de Yasmina Khadra. Comment lui vient l�inspiration des th�mes qui essaiment ses romans ? On l�aura compris, la violence est au c�ur des romans de Yasmina Khadra .Mais p�dagogique, il temp�re: � A travers mon livre je prends l�Occidental par la main et je l�am�ne au commencement du malentendu, au plus proche de cet homme qui, un jour, d�cide de se faire sauter au milieu d�innocents �.Il consid�re avoir accompli son �uvre : � Il n�y aura pas de suite � cette trilogie consacr�e au malentendu entre l�Orient et l�Occident �. Examinons � pr�sent la technique de l��criture chez Yasmina Khadra ou la flamboyance du verbe la dispute � peine � cette esth�tique tour � tour saccad�e, hach�e ou torrentielle, selon l�humeur et qui vous subjugue de bout en bout d�un r�cit qui se donne � d�couvrir � chaque nouveau parcours que vous en faites. Lui reproche- t-on de s�int�resser � des th�mes qui captivent les Occidentaux plut�t que ses concitoyens ? Il se d�fend sans perdre pied : � je ne voulais pas donner un nom arabe � la violence, argue-t-il, car elle est partout humaine �... C�est, arpent de terre par arpent de terre, en effet, que Yasmina Khadra d�fend, l�arme au poing allaisje me hasarder, son terrain vital. Il le fait avec un grand bonheur m�me si c�est au prix d�une f�rocit� du verbe rarement �gal�e�Il ne fait de concession ni aux uns ni aux autres, les officiels de l�Alg�rie qu�il ignore, les thurif�raires autochtones et les salonards parisiens qui s�amusent � d�cerner les palmes de vertu. Sa muse est ailleurs que dans la politique. D�ailleurs Il n�� point d�ambition politique. � L�engagement renvoie au militantisme, notion qui est en totale contradiction avec mon esprit ind�pendant� pr�cise-t-il . Il a pleine conscience des limites de son influence. �Un �crivain fait ce qu�il peut,d�clare-t-il, une fois son livre sur les �tals des libraires, il est seul. C�est au lectorat de le rejoindre �. Il consid�re n�avoir de compte � rendre qu�� la multitude de lecteurs lesquels, s�arrachant ses livres � travers le monde, consacrent son universalit� non sans lui assurer, par un retournement extraordinaire de situation, la cons�cration en France et dans son pays natal. Apr�s avoir lu et rencontr� Yasmina Khadra, il devient plus ais� de comprendre sa formule saisissante �je suis devenu mon propre r�ve : �tre �crivain�.Voil� tout son bonheur � �coutons Yasmina Khadra, plus prolifique que jamais, dans un entretien qui fera, certainement, date par la sinc�rit� du ton et la violence du verbe qui l�accompagne� Mohamed Chafik MESBAH � Ma m�re portait constamment un regard philosophe sur les mufleries de la vie (�) ainsi j�ai appris � regarder le monde toujours avec distanciation � Mohamed Chafik MESBAH : Commen�ons par l�origine de votre carri�re litt�raire, si vous le voulez bien. Vous affirmez avoir commenc� � �crire � l��ge de neuf ans. Quelle influence le milieu familial a-t-il pu exercer sur votre vocation litt�raire ? Yasmina Khadra : Concr�tement, aucune. Ma famille n��tait pas trop port�e sur le livre. Je ne me rappelle pas avoir vu un seul bouquin � la maison quand j��tais petit. Mon p�re �tait militaire. Sa litt�rature s�arr�tait aux rubriques politiques des journaux. Ma m�re �tait analphab�te. Le seul qui d�vorait des romans avec une furieuse voracit�, c��tait mon oncle Driss. C�est gr�ce � lui que je m��tais familiaris� avec le roman policier. Ceci dit, quelque chose fleurait bon dans l�ambiance familiale. Les miens parlaient avec une certaine d�licatesse. Leurs reproches s�appuyaient souvent sur des adages, pour ne pas heurter les susceptibilit�s. Ils pr�f�raient user de la m�taphore pour interpeller quelqu�un plut�t que de le rappeler � l�ordre de fa�on frontale. C�est � cet endroit que j�ai rencontr� le Verbe. Par ailleurs, ma m�re portait constamment un regard philosophe sur les mufleries de la vie. Elle avait l�art de subir, le talent de souffrir sans faire porter le chapeau � quelqu�un. Ainsi j�ai appris � regarder le monde, toujours avec distanciation. Plus tard, en commen�ant � �crire, ce recul m�a permis d��tre vigilant. Je ne r�agis pas en fonction de mes col�res, mais par rapport � celles des autres. Je reste lucide, patient et attentif. N�est-ce pas d�j� d�passionner les d�bats ? MCM: Vous �voquez, volontiers, une g�n�alogie familiale de po�tes, en particulier Sidi Abderrahmane Moulessehoul qui au XVII�me si�cle transmettait son savoir � Tlemcen. C�est du fantasme ou une v�rit� historique ? YK : Pourquoi fantasme ? Curieux comme tout ce qui �chappe � la petitesse et � l�insignifiance semble relever, chez nous, du domaine de la fabulation. Wassiny Laredj m�a pos� la m�me question au sujet de ma rencontre avec Houari Boumediene : fantasme ou v�rit� ?... Quel est ce Cadet de Kol�a qui n�a pas rencontr� Houari Boumediene ? Le Ra�s suivait de tr�s pr�s notre �cole qu�il appelait la p�pini�re de l�Alg�rie. Il fondait de grands espoirs sur ces � enfants de la R�volution � et d�barquait r�guli�rement chez eux pour les voir pousser. Il lui arrivait souvent de nous surprendre jusque dans nos chambr�es, de nous parler, de nous demander ce que nous pensions de la qualit� de l�enseignement qui nous �tait dispens� et ne ratait presque jamais la f�te de fin d�ann�e scolaire puisqu�il pr�sidait en personne la c�r�monie de Remises des prix. J�ai eu la chance d�avoir �t� surpris par lui, d��changer deux mots avec lui et de d�couvrir sa moustache rousse, son regard triste et son sourire lointain. Il aurait �t� ravi, aujourd�hui, de savoir que le petit cadet d�braill� qui �crivait des po�mes sous le pr�au de l��cole a r�ussi � aller un peu plus loin� Je crois qu�il faut arr�ter de rejeter toutes les belles histoires qui nous nourrissent. Certes, notre quotidien est consternant de nullit�, mais ce n�est pas une fatalit�. C�est, peut-�tre, � cause de notre ent�tement � ne regarder que du c�t� o� le b�t blesse que nous sommes devenus insensibles aux beaut�s qui nous entourent� Dans les trag�dies qui ont jalonn� notre histoire, nous sommes pass�s � proximit� de grands moments sans nous attarder dessus. Les Alg�riens sont naturellement beaux, naturellement g�n�reux, mais les d�ceptions les d�figurent au point o� ils n�arrivent plus � se reconna�tre. D�s lors, ils se m�fient de tout ce qui ne les fait pas douter d�eux-m�mes� Nous avons tendance � oublier que le peuple alg�rien a toujours �t� l�, � travers les �ges et les bouleversements id�ologiques. Le d�fil� des occupants n�a pas r�ussi � nous ab�tardir. Nous �tions isol�s, assujettis, disqualifi�s, mais nous avons su triompher de l�ensemble de ces exclusions en demeurant opini�trement nous-m�mes. Pourquoi faut-il fl�chir maintenant qu�une ultime �preuve nous s�pare de la cons�cration d�finitive : �tre pleinement ce que nous sommes ? Ma tribu raconte un peu ce long apprentissage de l�authenticit�, cette intenable r�sistance � l��rosion des banqueroutes et des intrusions culturelles. J�ai la chance de conna�tre l�histoire de mon � kaoum �. Je sais de qui je tiens, d�o� je viens. Les Doui Menia sont une �pop�e. Bouamama les conna�t. Les Ouled Sidi Cheikh aussi. Isabelle Eberhardt, Charles de Foucault. Nous avons nos chantres et nos guerriers : Ould Belkheir, po�te �m�rite et cavalier preux ; Ould Bouzid, une terreur itin�rante qui tua un g�n�ral fran�ais dans les ann�es 1920 lors d�une embuscade tendue sur la route de Taghit� C�est bien de conna�tre l�histoire des siens. De toucher du bout des doigts le pouls de sa propre authenticit�. Aucune authenticit� ne peut survivre � l�oubli sans la m�moire. Cette m�moire, ce sont les lettr�s, les po�tes, les artistes, les �rudits qui l�entretiennent. Ma tribu avait les siens. Mohammed Moulessehoul, le premier Cheikh � avoir r�ussi � uni- fier les rangs de l�ensemble des tribus qui n�arr�taient pas de se chamailler pour des broutilles. Durant son r�gne, � partir de 1492, aucune razzia ne fut observ�e. Mohammed Moulessehoul avait, par ailleurs, fond� une grande medersa en 1496. Je suis incapable de vous dire o� exactement, � Igli ou � Kerzaz. Le manuscrit s�culaire consult� ne le pr�cisait pas. Sidi Abderrahmane Moulessehoul est arriv� beaucoup plus tard, vers la fin du XVII si�cle. Il �tait v�n�r� dans le Sahara (Il n�a pas �t� � Tlemcen, lui, contrairement � ce que laisse supposer votre question),. Par contre, il s�journa longuement � Mekhn�s. Puis, il y a eu Sidi Ahmed Moulessehoul, un �rudit itin�rant qui enseigna jusqu� � Tombouctou. Son mausol�e se trouve pr�cis�ment � Djebel Essayad, entre Sebdou et El Gor, au sud de Tlemcen. Mon grand-p�re, Moulessehoul Moulessehoul (m�mes nom et pr�nom), �tait un po�te, lui aussi. Sauf qu�il n��crivait pas. D�chu, humili� par l�arm�e fran�aise et la dislocation de ses alli�s, pauvre et sans r�el charisme, il a v�cu comme tous les Alg�riens, dans l��troitesse plurielle et la n�gation. Il est mort en 1957. � Quand je suis pr�sent� comme ancien militaire, c�est mon champ de man�uvres qui est r�duit � MCM: Focalisons plus si vous le permettez sur l�ambiance spartiate qui a caract�ris� votre enfance et votre adolescence dans un milieu militaire, forc�ment ferm�. La vie militaire qui comporte des privations mais aussi l�opportunit� d�une vie communautaire ou les valeurs de solidarit� et de compagnonnage prennent le pas sur les r�gles �crites, j�en parle en connaissance de cause, a impuls� ou plut�t frein� plut�t votre vocation et, partant, l��closion de votre talent? YK : Je pr�f�re ne pas m�attarder sur cette question. L�arm�e n�a pas pour vocation de favoriser les esprits libres. Les Arts et les Lettres, ce sont des pr�occupations de chiffes molles et de tar�s, pour elle. Je me suis construit tout seul. La marginalisation qui me frappait dans les rangs me permettait de cr�er mon propre monde � l�abri des indiscr�tions. La preuve, tandis que je d�frayais la chronique un peu partout, la hi�rarchie continuait de me consid�rer comme du menu fretin. �crire a toujours �t� un acte solitaire, par moments un acte de r�sistance. Quand on me pr�sente comme ancien militaire, on ne fait que r�duire mon champ de manoeuvre. Des centaines de lecteurs m�ont dit qu�avant de me d�couvrir par hasard, ils ne comprenaient pas ce que foutait un bidasse dans la litt�rature. Des ann�es durant, bien que me connaissant de r�putation, � aucun moment ils n�avaient jug� utile de me lire. C�est le bouche � oreille qui a fini par les secouer. Je crois que sans cette mention d�ancien militaire, j�aurais �largi dix fois plus mon audience. Ce pass�, que je ne renie pas et dont je suis fier par endroits, aide mes d�tracteurs � occulter mon travail de romancier. J��tais � deux doigts de d�crocher un prestigieux prix International en 2006. Des intervenants ext�rieurs, des parisianistes, ont dit qu�il fallait attendre un peu parce que je n��tais pas tout � fait � clair �, jetant ainsi le doute dans les esprits et for�ant le jury � me disqualifier sans autre forme de proc�s. C�est vous dire les raccourcis et les clich�s, les l�chet�s et la mauvaise foi qu�un tel rep�re � l�arm�e � est capable de l�gitimer. Pas plus tard que cette semaine, mon �ditrice alg�rienne, Radia Abed, m�a avou� qu�elle me croyait de la S�curit� militaire. Vous mesurez un peu la parano�a ambiante ? Quand on se r�f�re � ma carri�re militaire, d�aucuns ne veulent pas me chercher l� o� j��tais r�ellement : dans les unit�s de combat, sur les fronti�res, dans les maquis, dans des tanks ou dans des h�licopt�res, parmi la troupe, dans des casemates malodorantes, � subsister de patriotisme et d�eau fra�che. Je me demande si les gens n��prouvent pas un malin plaisir � me situer l� o� �a les arrange ? A la longue, �a devient carr�ment ridicule. Surtout lorsqu�on n�essaye pas de me d�finir par rapport � mes textes, c�est-�-dire � travers mon v�ritable ADN. Certains pr�tendent savoir lire. Pourquoi deviennent-ils soudain dyslexiques quand il s�agit de plonger dans mes livres ? N�y a-t-il pas dans cette d�robade l�expression d�une malhonn�tet� intellectuelle ?... Je ne triche pas. Je suis ouvert comme mes livres. Et seul. Mais libre et int�gre. Je n�appartiens ni � un clan, ni � un r�seau, ni � une corporation. Je ne suis soutenu ni par mon propre pays, ni par la francophonie � qui d�ailleurs ne me blaire pas � ni par qui que ce soit. Je nage � contre-courant contre mon gr�. Pourtant, boud� aussi bien par les chapelles bien pensantes occidentales que par les miens, j�avance. Chaque ann�e, je gagne du terrain. A mon arriv�e en France, j��tais traduit dans une dizaine de pays. Apr�s quatre ans d�exclusion farouche en France, je suis pass� � dix sept. L�an dernier, j��tais � vingt quatre pays. Cette ann�e, je suis traduit dans plus de trente pays� Pourquoi ?...Parce qu�il y a toujours une justice sur cette terre. On ne voile pas le soleil avec un tamis et ne reste dans le lit de la rivi�re que ses galets. Quelqu�un d�autre � ma place aurait probablement p�t� les plombs. Je ne craque pas. Je reste serein, et confiant. Et si vous avez du respect pour moi, n�associez plus ma vocation de romancier � ma carri�re d�officier. La premi�re s�est faite par elle-m�me, la seconde en a bougrement souffert. � La francophonie ne s�inscrit pas dans l�ambition ou dans la promotion de la langue fran�aise (�) elle a horreur des esprits libres des talents dignes � MCM: Vous avez rencontr� bien des difficult�s � votre d�part de l�arm�e. D�une part, les milieux litt�raires fran�ais, fortement domin�s par les puissances d�argent dont nous connaissons les accointances, vous ont quasiment contest� le statut d��crivain. D�autre part, certains milieux politiques exigeaient presque de vous acte de repentance d�avoir servi dans les rangs de l�arm�e alg�rienne. Comment avez-vous eu raison de ces obstacles ? Cela a-t- il laiss� des traces sur votre personnalit� et bien entendu sur votre perception des r�alit�s du monde ? YK : En restant moi-m�me, un Alg�rien comme je l�aime. Les milieux litt�raires ne contestent pas mon statut d��crivain, ils me reprochent d�avoir �t� soldat. C�est plus intelligent et plus efficace ; �a fait de moi une fripouille, et d�eux une conscience. Vous savez ? Le vrai racisme se situe pr�cis�ment dans ces milieux-l�. Pour moi, le Pen n�est pas un raciste, c�est un x�nophobe enrag�. Ils n�aiment pas les �trangers. Un raciste n�est pas oblig� d��tre x�nophobe. Un raciste se consid�re comme un �tre sup�rieur, et �a ne l�ennuie pas d�avoir � port�e de son crachat des ouistitis. Certains intellectuels Blancs sont persuad�s que les Arts et les Lettres sont exclusivement de leur rang � eux. Narcissiques, ils s�interdisent de regarder plus loin que le bout de leur nez. Et quand on ose leur dire que le monde ne s�arr�te pas au contour de leur nombril, ils fulminent. Pour eux, nos chantres, nos �rudits ne sont que des amuseurs de galerie, des �normit�s foraines, des sorciers pour folklore. A la Sorbonne, par exemple, on ne nous �tudie pas comme des �crivains, mais comme des curiosit�s. Il arrive souvent que l�on d�cortique, sur un m�me pied d��galit�, le texte de Kateb Yacine et celui d�un autiste. Pour eux, c�est du pareil au m�me. N�avez-vous pas remarqu� qu�� chaque fois qu�ils nous invitent � parler de nos livres, ils nous demandent s�il ne s�agit pas de th�rapie. C�est dire combien, � leurs yeux, nous ne sommes que d�attendrissants cas pathologiques. Ils sont convaincus que le g�nie, chez nous, rel�ve des eaux mal�fiques. Comprendre �Djinn�. C�est profond�ment ancr� dans l�esprit de ces culs lustr�s. Si, par hasard, nous produisons un grand livre, nous suscitons de l��tonnement, jamais de l�admiration. S�r qu�ils nous soup�onnent de plagiat, d�avoir puis� des trucs dans leur g�nie � eux. Et puis, si nous insistons � ce niveau de cr�ativit�, ils nous demandent si nous ne sommes pas fran�ais. Qui sait ? Apr�s 132 ans de colonialisme, des croisements contre nature auraient pu s�op�rer quelque part. Et quand un � Bougnoule �, militaire de surcro�t, se permet l�immonde insubordination d��tre plus traduit, plus connu, plus lu que ces blancs-becs nostalgiques, c�est carr�ment le peloton d�ex�cution. Attardons nous une seconde sur la Francophonie, par exemple. Cette institution ne s�inscrit ni dans l�ambition ni dans la promotion de la langue fran�aise ; elle s�installe dans le parrainage de la n�gritude et l��levage des �yaoualed�. Elle a horreur des esprits libres, des talents dignes. La preuve, jetez un �il sur ses � prot�g�s �. Mais c�est de bonne guerre. Ce qui est troublant, c�est notre attitude, notre na�vet�. Nous ne comprenons toujours rien aux enjeux ni aux supercheries. Et si certains de nos intellectuels mordent � l�hame�on, ce n�est pas de gaiet� de c�ur. Heureusement que bon nombre de nos �crivains et artistes r�sistent aux tentations. Ils essayent de construire leur univers avec les moyens de bord. J�en ai rencontr�s un tas, admirables de courage et de lucidit�. Mais l�exclusion use, et ils se demandent s�ils vont tenir longtemps le coup. Ils se sentent flou�s, trahis par le syst�me obscurantiste qui s�vit dans notre pays. Nos gouvernants, g�n�ralement des �nes b�t�s et des mafieux, sont visc�ralement hostiles � tout ce qui a trait � la conscience et � l�intelligence. Leur diablerie se voit menac�e d�s lors qu�un talent �merge. Aussi s��vertuent-ils � museler tous les sons de cloche qui sonnent leurs glas. Ils poussent � l�exil ce qui en ont les moyens et maintiennent les restants dans un ostracisme mortel. C�est la raison pour laquelle certains de nos intellectuels vendent leur �me au plus offrant pour nous vomir dessus. Si le Pouvoir avait la pr�sence d�esprit � je sais, c�est trop lui demander � de s��lever au rang de son �lite, cette derni�re serait en train d�aider le pays � s�en sortir. Par ma part, je suis conscient de cette fragilit� et d�s le d�but, j�ai �t� clair et net : je ne renierai pas un seul aspect de l�Alg�rien que je suis. C�est parce que je refuse de me laisser manipuler que l�on essaye de ternir mon image. Vous savez, c�est le Parlement international des �crivains qui s��tait port� garant de moi et de ma famille en septembre 2000. C�est lui qui m�a envoy� au Mexique. Il s��tait engag� � me prendre en charge pendant deux ans, le temps pour moi d�apprendre � me d�brouiller seul. Figurez-vous qu�au lendemain de mon engagement contre la campagne m�diatique hostile � l�arm�e alg�rienne, ce faussement solennel Parlement m�a coup� automatiquement les vivres et je me suis retrouv� sans le sou en France, avec une femme et trois enfants sur le dos. N�est-ce pas la plus abjecte des l�chet�s ? Ce m�me Parlement est all� jusqu�� demander � mon �diteur italien Feltrinelli de ne plus me traduire, chose que Feltrinelli a accept� de faire. Je suppose qu�il s�en mord les doigts, aujourd�hui. Les Alg�riens ignorent toutes les vacheries et les f�lonies que j�ai eu � subir pour rester un Alg�rien digne. En 2002, alors que je faisais la promotion des Hirondelles de Kaboul � la Fnac de Montpellier, Amnesty International s�est amen�e avec des �criteaux injurieux pour chahuter mon intervention. On lisait sur des pancartes � N�oubliez pas que l�arm�e alg�rienne a du sang sur les mains �. On a fait circuler un po�me qui m�insultait dans la salle ; po�me �crit par un Alg�rien bien s�r. Je n��tais � cette rencontre avec le public que pour parler des Hirondelles de Kaboul. Rien � faire� Il fallait encore qu�on la ram�ne. Et pendant tout ce temps, personne n�a lev� le petit doigt pour dire �a suffit. M�me le Pouvoir alg�rien, qui �tait au courant de ma situation, pr�f�rait me vouer aux g�monies, persuad� que c�en �tait fini de moi. Et mes fr�res alg�riens, ils �taient tellement ravis de me voir passer par les trappes, mijoter � tous les rago�ts, crucifi� sur la place. Pas un �crivain, pas un artiste, pas un com�dien n�a dit � �a suffit �. Pire encore, beaucoup, notamment en France et m�me en Allemagne, contribuaient activement � m�isoler et � me diaboliser. R�sultat : je suis toujours l�, plus cr�atif que jamais. Les mesquineries des uns et le l�chage des miens n�ont pas emp�ch� ma r�demption. Je suis l�, toujours digne. Je n�ai jamais m�dit de personne ni charg� qui que ce soit. Bien au contraire, je d�fendais des talents certains, mais grossi�rement l�che-bottes et pleurnichards. Puis les gens s��veillent, commencent � se poser des questions, � vouloir se faire une id�e par eux-m�mes. Ils cessent de se pr�ter aux rumeurs et aux calomnies et vont d�couvrir cet �crivain honni, ce pestif�r� d�cri�. L�, ils s�aper�oivent qu�ils se trompaient de salaud et rectifient le tir. Ne reste que le poids du parjure et la marque ind�l�bile de l�opprobre. Bien s�r, le combat continue ; il reste encore quelques poches de r�sistance, mais tout le monde sait pourquoi certains s�ent�tent. Ils s�ent�tent par d�pit. Ils savent qu�ils ne font pas le poids, alors ils font la fine bouche. Pour ma part, je me porte bien. J�ai des lecteurs qui m�encouragent, et des critiques qui me soutiennent. Ainsi est la vie. Il faut un peu de tout pour faire un monde : des braves et des b�tes immondes, des justes et des fourbes, des g�ants et des gnomes, des Alg�riens splendides et de sordides Alg�riens. Je sais o� est mon camp, je sais qui sont les miens. � Certains incarnent leur propre purulence, les d�sinfecter serait les d�naturer � MCM: Mettons de cot�, ces facteurs ambiants qui, � des degr�s divers, ont fa�onn� votre carri�re, vous estimez que devenir �crivain c�est le r�sultat d�un choix raisonn� ou bien le fruit d�une vocation inn�e ? YK : C�est plut�t un d�fi. Je l�ai relev� enfant pour protester contre le destin qui me frappait. Aujourd�hui, je le revendique haut et fort. Je dirais aux Alg�riens qui sont dans ma situation que s�ils croient fortement en eux, ils parviendront � mettre le doute � genoux. Qui vendait cher de ma peau � mes d�buts d��crivain ? Personne. Ni mes camarades d�unit� ni mes proches. Pour tout le monde, j��tais cet imb�cile qui pr�f�rait taper comme un dingue sur sa vieille dactylo au lieu d�aller rouler les m�caniques sur la plage. Certains avaient m�me piti� de moi. Et dans l�arm�e, on se payait largement ma t�te. Je me souviens, lorsqu�en septembre 2000, Bernard Pivot avait annonc� la fin de � Bouillon de Culture �, le lendemain au mess, c��tait la rigolade. Mes coll�gues me disaient � Dommage ! On aurait �t� tellement fiers de te voir sur le plateau de Pivot �. Et on se marrait � gorge d�ploy�e. Je souriais. Puis, quatre mois plus tard, j��tais sur le plateau de Pivot. J�imagine que je leur en ai bouch� un coin, aux coll�gues. Ils n�en reviennent toujours pas d�ailleurs. MCM: Que pensez-vous de la notion d�intellectuel engag�, est-elle pertinente pour rendre compte de la r�alit� du statut de l�intellectuel dans le monde arabe et, tout singuli�rement, en Alg�rie ? YK : Je pense que la race des intellectuels est en voie d�extinction. Personne n�en veut. Les t�l�s pr�f�rent leur cheptel � elles, des phraseurs incultes mais ind�cemment z�l�s ; les radios pr�f�rent tendre la perche aux manchots et les journaux se complaisent dans le renvoi d�ascenseur et le tutti frutti. Les intellectuels, les vrais, sont d�clar�s � persona non grata �. Le monde n�a plus besoin d�intelligence. C�est un monde de spectacle et de chahut. Ce que nous voyons sous les feux de la rampe n�est qu�un ramassis de cuistres et d�hercules forains. M�me les chapelles bien pensantes r�v�r�es commencent � pr�ter uniquement aux faux jetons et aux esprits rat�s. De cette fa�on, la confusion sera bien entretenue et le monde ira droit dans le mur� Je pense qu�il s�agit d�une sorte de s�nilit�. L�humanit� perd la raison. Ne voyant plus clair dans le clinquant illusoire, elle radote. Mais si l�Occident s�applique � imposer ses propres charlatans, l�Orient les tue d�une mani�re ou d�une autre. Dans ce combat, nous serons encore une fois les perdants. Quand la famille intellectuelle de chez nous s��vertue � tirer vers le bas ce qui est cens� l��lever dans l�estime des autres, c�est que finalement elle ne se sent dans son �l�ment qu�� proximit� de la boue � je reste correct. On peut soigner certaines tendances, mais pas toutes, h�las ! J�ai �crit dans l�Imposture des mots ceci : � Certains incarnent leur propre purulence. Les d�sinfecter serait les d�naturer �. Il faut respecter l�ordre des choses et la nature des �tres. De toute �vidence, quand les esprits retors se fossilisent, on ne peut les redresser sans les d�truire. Un jour, peut-�tre, un vent salvateur soufflera sur la poussi�re de notre mentalit� r�trograde, et nous aurions la chance de comprendre et de constater combien elle est la cause principale de notre d�confiture. Alors, dans un ultime soubresaut, nous acc�derions � la maturit�. Pour le moment, nous batifolons all�grement dans le m�pris et l�inconsistance. �a ne nous r�ussit pas, mais �a nous amuse. Apr�s tout, si �a nous convient, pourquoi s�en d�faire ? Il n�y a que les imb�ciles qui ne changent pas d�avis. Et l�imb�cillit� nous va comme un gant. Je d�plore seulement le fait que beaucoup d�Alg�riens essayent de s�en d�marquer sans disposer des moyens qui vont avec cette belle volont�. Ils sont les otages de la m�diocrit� r�gnante et, par voie de cons�quence, la subissent deux fois plus que ceux qui s�en accommodent. MCM: Vous affirmez que � l��crivain peut changer beaucoup de choses, par exemple dans l�appr�ciation d�une situation, dans la prise de conscience d�un peuple �, c�est l� une mani�re disons douce pour le romancier d�agir sur la soci�t� ? YK: Dans notre religion, il est dit � Dieu n�am�liorera le sort d�une nation que lorsqu�elle aura r�ajust� sa mentalit� �. M�me Dieu pr�f�re que �a vienne des gens eux-m�mes. Un �crivain n�impose rien, ne d�cide de rien. Il r�agit � une d�bandade et propose une approche personnelle. Certains s�en enrichissent, d�autres la rejettent. Je ne suis pas s�r qu�il y ait une adh�sion programm�e dans ce genre d�engagement. Les gens vont l� o� ils croient rejoindre une v�rit�. C�est un �lan rationnel, r�fl�chi. Il ob�it � un choix de conviction�. Parfois, la sinc�rit� d�une intelligence, conjugu�e � un formidable besoin d��mancipation, pourrait amener un intellectuel, un philosophe ou un romancier � mobiliser des masses enti�res autour d�un id�al. Mais quand la foi n�est pas l�, quand les soucis et les attentes sont ailleurs, quand le renoncement fait fl�chir les c�urs et les esprits, aucun chant de sir�ne ne peut forcer le miracle. Pour pouvoir, il faut le vouloir. Un �crivain fait ce qu�il peut. Une fois son livre sur les �tals des librairies, il est seul. C�est au lectorat de le rejoindre. MCM: Votre exp�rience personnelle vous permet-elle d�imaginer qu�une production litt�raire peut �tre indemne de substance politique ? C�est � dire qu�une �uvre intellectuelle peut ne pas avoir prise sur la r�alit� v�cue par la soci�t� ? YK : La fiction est la th�rapie de la r�alit�. Elle est l�esth�tique de la banalit�, peut-�tre son salut. Quand elle traite d�une soci�t� ou d�une politique, elle en fait un objet d�attention soutenue. Elle a cette magie d�aller de l�autre c�t� du miroir et d�observer � son aise, et avec intelligence, ce qui se passe en face. Dans ce genre d�approche, elle ne pourrait se mettre � l�abri des �claboussures. Elle devient un outil de r�flexion et se met ainsi en danger. Bien s�r, elle risquerait m�me de se diluer dans le sujet, de devenir une attitude politique. Cependant, je veille � ne pas trop me laisser prendre � ce pi�ge. J��cris en me r�p�tant sans arr�t que je suis romancier, non le partisan de telle ou telle politique. Je me retranche alors derri�re mes personnages, les laisse porter eux-m�mes leurs histoires. Gr�ce � la distanciation cit�e plus haut. C�est ce qui est arriv� avec ma trilogie sur le � Malentendu des mal entendants �. De cette fa�on, le lecteur reste seul juge. Je mets � sa disposition un maximum d�ingr�dients pour qu�il se fasse sa propre id�e et je le laisse libre de d�cider. L�int�r�t que suscitent mes livres vient de l�. Mes romans parlent de l�actualit�, mais �chappent aux t�moignages. Ils restent des �uvres purement litt�raires, avec un style singulier, une �criture reconnaissable, un rythme et une atmosph�re particuliers. G�n�ralement, au sortir de mes livres, mes lecteurs me parlent surtout de ma langue, de la cr�dibilit� de mes personnages, de la justesse de mes propos. Ils d�couvrent un univers qu�ils ne connaissaient pas et s�en attachent. Contrairement � ce qu�avancent certains fr�res, qui pensent amoindrir l�importance de mon travail en le situant dans ce qu�ils appellent l��criture de l�urgence (encore un caract�re de complex�s !), mes romans sont porteurs d�une �me, d�une �motion et d�un imaginaire exceptionnels. Ce qui explique l�engouement qu�ils suscitent aussi bien au Japon qu�en Inde, en Afrique qu�en Scandinavie, aux Am�riques qu�en Europe de l�est. J�entends d�ici certains crier � la m�galomanie. Il ne s�agit aucunement d�une quelconque fanfaronnade. L�internet existe. Il suffit d�aller sur Google, de choisir une pr�f�rence, c�est-�-dire un pays et de taper mon nom. Par enchantement, on a acc�s � tous les sites qui parlent de mes livres. Si �a peut les rassurer, il existe quelques sites hostiles, sionistes et arabes, des descentes en flammes magnifiques, splendides, et mes fr�res que j�adore et qui ne m�aiment pas pourraient y prendre leur pied. Je ne suis pas m�galo. Je suis sinc�re. Je parle de moi comme d�un �tranger. Sans passion ni fausse modestie. Je ne laisserai personne se substituer � moi. Je r�agis l� express�ment pour contrecarrer certains de mes compatriotes ch�ris qui hi�rarchisent, font et d�font � leur guise la qualit� ou la nullit� d�un talent. Dans un sens, j�essaye de sauver leur �me, de leur rappeler qui ils sont, de les inviter � ne pas trop prendre leurs �lucubrations pour argent comptant et qu�ils ne s�adressent pas forc�ment � des abrutis. Les gens qui nous lisent, souvent sont plus intelligents et lucides que nous. Apprenons � faire attention � nos analyses, � nos approches, � nos th�ses que parfois on brandit non comme un travail de recherche mais comme un lance-flamme et une arme assassine. Et puisque je suis un homme de c�ur, j�invite ces revanchards � nous �crire de superbes romans et � nous �merveiller. C�est bien beau de critiquer, encore faut-il savoir faire mieux. Allez !... du cran !... Montrez-nous l��tendue de votre g�nie ! Je jure devant Dieu et devant l�ensemble des Alg�riens que je serai le premier � me battre pour eux et les aider � rayonner partout o� l�on me pr�te le moindre int�r�t, quitte � ce qu�ils me fassent de l�ombre jusqu�au jugement dernier. � Il existe de vrais intellectuels alg�riens, tout � fait �clair�s et libres d�esprit � MCM: Vous ne pensez pas que l��lite intellectuelle en Alg�rie est d�missionnaire en refusant, nonobstant toutes les contrari�t�s du syst�me, de jouer son r�le d�aiguillon de la soci�t�? YK : L�Alg�rie est, mentalement, toujours colonis�e. Elle n�arrive pas � se d�faire des influences ext�rieures. Les arabophones s�orientent sur le baathisme ou l�int�grisme asiatique. Ils sont un peu les gardiens du temple alors qu�en r�alit�, ils ne gardent que du vent. Ils refusent de s�alg�rianiser et de r�fl�chir en tant qu�Alg�riens. Pour eux l�arabit� est l�essence de la nation et oublient notre amazighit�, notre tamashek et surtout notre dialecte propre. Un aussi d�plorable daltonisme ne peut nous �veiller aux splendeurs alentour. De leur c�t�, les francophones sont connect�s sur le parisianisme. Ils copient ces culs lustr�s, s�alignent sur leurs th�ses et tirent la langue d�s qu�un nonos est promis quelque part. A croire que les Alg�riens ne peuvent survivre sans ma�tres. Or, il existe de vrais intellectuels alg�riens, tout � fait �clair�s et libres d�esprit, des Alg�riens conscients des sp�cificit�s alg�riennes, de nos richesses, de nos potentialit�s ; des intellectuels au sens le plus probe et le plus noble du terme. J�en ai rencontr� partout. Ils me fascinent et me rassurent. Ils sont universitaires, chercheurs, �rudits, artistes, mais ils sont exclus des d�bats. Ce sont des gens qu�on ne verra jamais � la t�l�, ou sollicit�s ou seulement d�clar�s comme tels. En Alg�rie, le d�bat est livr� aux gueulards et aux illumin�s, aux l�che-culs et aux vauriens. Le s�rail perp�tue la dynastie, et la dynastie privil�gie le s�rail. Les vrais talents sont occult�s, les vraies chances sont musel�es. Les rares intellectuels qui osent r�agir et s�en indigner sont vite rep�r�s et inscrits sur la liste des objets perdus. On n�entendra plus parler d�eux. Les autres, ceux que l�on met sur un pi�destal de nigauds ou sous les feux de la rampe sont l� pour montrer au monde combien nos martyrs sont morts pour des prunes, combien nos sacrifices sont vains, combien nos esp�rances sont pip�es. Et pourtant, il suffit de les sortir d�un millim�tre de leur bulle pour qu�ils se perdent. En dehors de cette pauvre Alg�rie, ils n�existent pas. Ce ne sont que des leurres, des ombres chinoises, de la vermine �blouie� La vraie question qui se pose est : Qui nous emp�che de nous imposer ? Nous avons de la classe, des arguments, des devoirs, du punch� Peut-�tre nous manque-t- il l�essentiel : la volont�. Quand il m�arrive de rencontrer nos intellectuels, je per�ois nettement la force en train de sourdre en eux. Je comprends que ce sont des centaures, des divinit�s, des oriflammes� mais des oriflammes en berne. Ces �tres magnifiques sont capables de faire de l�Alg�rie un pays de r�ves. Je le sais. Je l�ai lu dans leurs yeux. Leur �me est sublime, leur c�ur est noble. Mais ils sont seuls, nombreux mais seuls, dispatch�s � travers nos torts et notre d�raison, marginalis�s � cause de notre c�cit�. Pourtant, il suffit d�un rien pour les rendre heureux, et nous tous avec : d�une simple pr�sence d�esprit. MCM: A consid�rer que vous vous sentez engag�s au service de votre patrie, estimez-vous que le m�tier d��crivain vous permet � lui seul de vous acquitter de ce devoir ? YK : cela n�a rien � voir. J�aime mon pays comme tout Alg�rien qui se respecte. Je ne le vends pas aux chim�res et le d�fends quand il le m�rite. Je ne suis pas au service de ma patrie ; elle ne m�a jamais reconnu. Je suis au service de l�id�e que je me fais d�elle. Et au service de mes lecteurs qu�ils soient fran�ais, finnois, indon�siens ou martiens, blancs ou noirs, jaunes ou rouges. Ce sont l� ma vraie famille, le sens de ma vie d��crivain. Ce sont eux qui m�encouragent et m�invitent � croire encore � l�Alg�rie, aux Alg�riens, aux neiges de Tikijda, aux pics de l�Atakor, aux Ergs de Tin Agherhor, aux �coliers de mon pays, aux femmes de mes contr�es, � tout ce qui me fait r�ver. Mon devoir, le vrai, est de m�riter l�honneur que l�on me fait en me lisant, la confiance que l�on m�accorde en me soutenant. Sans mes lecteurs, je ne suis qu�un monologue qui se dilue dans le silence et la nuit, qu�une triste complainte lanc�e dans le d�sert de toutes les infortunes. MCM: Comment se pr�sente, bri�vement, le panorama litt�raire en Alg�rie ? Assistons-nous � un renouveau ou � une d�cr�pitude de la litt�rature en notre pays ? YK : Je l�ignore. Il y a de tr�s bons �crivains, que j�ai lu et beaucoup appr�ci�. Le talent existe, mais pas la strat�gie qui va avec. Je pense que les �diteurs et les m�dias devraient se bouger un peu. Mais le veulent-ils vraiment ? J�en doute. La seule chose que j�ai � dire � nos �crivains, c�est de tenir bon. Un jour, ils finiront par se faire une place au soleil et rayonner. Si �a peut les stimuler, j�avais publi� 8 romans en Alg�rie sans jamais faire fr�mir un seul poil. Je ne leur demande pas d�attendre d��crire 8 romans, mais de prendre leur temps pour �crire le roman qui va les propulser au firmament. Je sais, c�est difficile de gamberger dans un pays sinistr� culturellement. Je suis pass� par l�. Mais ils n�ont pas le choix. Qu�ils veillent seulement � ce que �a ne fausse pas leur inspiration. Je vous assure que j�ai �t� formidablement bluff� par certaines plumes comme Benfodil, Mati, Grine, Layachi, A�t Sidhoum, Bachir Mefti, Ayyoub et d�autres qui me pardonneront de ne pas les citer. Je suis de tout coeur avec eux. Si seulement ces pantins du s�rail se poussaient un peu pour les laisser respirer. � Ce n�est pas pertinent d�essayer de secouer l�arbre pour faire tomber de sa branche quelqu�un qui vend la main � MCM: Existe-t-il vraiment, � votre avis, des �coles litt�raires diff�rentes en Alg�rie ? YK : Il n�y en a aucune. D�sunis sur les plateaux, d�sunis dans le texte. Chacun m�ne son bateau � sa guise et traque ses propres mirages. Et c�est tant mieux. C�est la preuve de l�extraordinaire diversit� de nos talents. Sauf que, dans ce genre d�aventures, il est d�raisonnable de faire cavalier seul. T�t ou tard, il faudrait se rejoindre, s�enrichir les uns des autres, et asseoir une plateforme commune pour donner � notre litt�rature dans sa diversit� linguistique une carrure reconnaissable de loin. Je comprends parfaitement les frustrations qui nous rendent agressifs les uns contre les autres, mais ces attitudes ne nous apporteront rien. La seule chance de grandir, de sauter le mur qui nous occulte est de s�appuyer les uns sur les autres. Si l�un de nous parvient au sommet, tant mieux. Nous aurons au moins quelqu�un qui nous tendra la main pour nous tirer vers le haut. Ce n�est pas juste, et ce n�est pertinent d�essayer de secouer l�arbre pour le faire tomber de sa branche. �a n�a pas de sens. C�est m�me absurde. Pour construire des �coles litt�raires, il faut d�abord consacrer le g�nie. Des �coles � partir de quoi, � partir de qui ? Des �coles buissonni�res ? Elles n�ont jamais d�bouch� sur des acad�mies. MCM: La langue d��criture, qu�il s�agisse de l�arabe ou le fran�ais, pr�figure-t-elle d�une diff�rence de nature des �uvres litt�raires produites? Est-il si important que cela d��crire dans cette langue ci ou dans l�autre ? YK : La litt�rature n�a rien � avoir avec la langue. C�est une question de verbe, et rien d�autre. On l�a ou on ne l�a pas. Tout le reste n�est que fuite en avant. J�aime les Alg�riens, kabyles ou Touaregs, Chaouis ou b�douins, blonds ou basan�s, ils sont les miens. Qu�ils parlent en fran�ais ou en chinois, ils disent les Alg�riens que nous sommes. C�est une chance inou�e d��tre trilingues. Je suis jaloux des polyglottes. MCM: Alg�rien, vous vous r�clamez aussi bien d�Albert CAMUS, pied-noir dont l��merveillement obstin� devant la beaut� des paysages alg�riens semble vous fasciner que de KATEB Yacine l�indig�ne dont l�enracinement pathologique dans le terroir profond du pays doit vous interpeller. Vous vous situez ou, au juste, dans ces fronti�res mouvantes que chacun de ces deux �crivains trace par ses racines et son �uvre ? YK : Pour moi, tout �crivain est une g�n�rosit� � part enti�re. Qu�il m�offre la lune ou un bout de pain, il reste mon bienfaiteur. Et quand je lis, je ne cherche pas la faille, je cherche o� se terre le g�nie. J�aime Camus pour l�Etranger. Un roman fabuleux. Il me restitue mon pays confisqu�. C�est vrai, Camus n��tait qu�un petit colon issu des franges d�favoris�es de la soci�t�. Il ne voyait en nous que l�Arabe g�n�rique, caricatural, cacochyme, vulgaire, mis�rable. Il ignorait nos valeurs ancestrales, notre berb�rit� po�tique et notre arabit� cosmique. Mais ce n�est pas � cet endroit que je le cherchais. Guy de Maupassant aussi portait un regard cr�tin et inculte sur nous. Hugo ne se g�nait pas de ne voir en nous qu�un troupeau de sauvageons qu�il fallait civiliser au nom de la charit� chr�tienne. En-dehors de nos textes, nous sommes quelconques. Nous avons tous une trivialit� crasse � nous reprocher. Mais dans le texte, c�est d�autres param�tres qui entrent en jeu. Comme j�aime les �crivains, je les fr�quente comme tels. Camus est un immense romancier. J�aime la transparence de ses id�es � ce qui ne veut pas dire qu�elles sont justes � la fluidit� de son verbe. Avec Kateb Yacine, il s�agit d�un autre rapport, aussi affectif qu�objectif. C�est une plume de mon pays. Ses col�res sont les miennes, ses coups de gueules sont mes chants ; je me reconnais en chaque personnage qu�il cr�e. De l� � m�inscrire farouchement dans le chauvinisme, c�est trop me demander. Il existe d�autres �crivains qui me fascinent. Ils sont am�ricains, russes, japonais, fran�ais, �gyptiens, tunisiens ; ils sont ma culture g�n�rale. En Alg�rie, c�est surtout Malek Haddad qui m�a le plus apport�. Ailleurs, c�est John Steinbeck. Ce qui ne m�emp�che pas de pr�f�rer Tewfik el Hakim � Mauriac et Taha Hossein � Andr� Gide. Le respect que j�ai pour Naguib Mahfouz n�a d��gal que celui que j�ai pour Moufdi Zakaria. Il faut savoir aimer de chaque jardin botanique une plante et de chaque mythologie une divinit�. C�est uniquement de cette fa�on que l�on s�enrichit. � La vie culturelle est r�duite � un folklore inodore et terriblement chiant ! � MCM: Comment expliquez-vous l�aridit� du paysage litt�raire et m�me de la vie intellectuelle et culturelle en Alg�rie ? YK : Pour l�aridit� du paysage litt�raire, je ne suis pas d�accord. Il y a un r�el effort de cr�er et d��tonner. C�est l�int�r�t pour cette litt�rature qui fait d�faut. A cause justement d�une vie intellectuelle b�quillarde, sinon cruellement s�lective. Quant � la vie culturelle, elle est r�duite � un folklore inodore et terriblement chiant. Cependant, il y a un rem�de. C�est � nous de faire vivre notre univers. Cherchons des m�c�nes, je suis certain qu�ils existent et qu�ils seraient ravis de ressusciter une vie intelligente et savante. D�fendons le talent, soutenons- le. Que les libraires apprennent � vivre ensemble, � b�tir ensemble ; que les artistes arr�tent de s�enfieller les uns pour les autres, que les �crivains aient la noblesse de s�incliner devant les meilleurs d�entre eux et de s�instruire aupr�s d�eux au lieu d��tre l� � sucer du sel et � chercher des poux aux chauves. Le jour o� nous parviendrons � surmonter nos frustrations et nos jalousies, o� nous abolirons � El Hosd wal Boghd � de notre milieu, nous pourrons enfin sortir de l�auberge espagnole o� nous faisons fonction de porteurs de chandelier. MCM: Vous n�allez pas de main molle pour exprimer votre amour de la langue fran�aise (� J�adore la langue fran�aise. Si elle �tait une femme, je l�aurais �pous�e �affirmez-vous).Vous ne craignez pas que cet attachement visc�ral au fran�ais ne vous conduise � rev�tir l�habit du colonisateur ? YK : L�amour n�a rien � avoir avec l�identit�. On peut �tre Alg�rien et �pouser une Russe. Le c�ur a ses raisons que la raison ignore. A aucun moment, le fait d��crire en fran�ais n�a menac� mon alg�rianit�. J��cris avec ma sensibilit� d�Alg�rien, et rien d�autre. J�aurais pu devenir po�te en arabe. On m�a d�courag�. La litt�rature est un texte, et non un territoire. Dans les pays o� je suis traduit, on me lit en tant qu�Alg�rien. Les gens qui doutent de mes racines visent autre chose qu�il est inutile de citer ici. MCM: Vous d�clarez, justement, � propos de la perception de votre r�le aupr�s du lecteur occidental ce qui suit : � je prends l�Occidental par la main et je l�am�ne au commencement du malentendu, au plus proche de cet homme qui, un jour d�cide de se faire sauter au milieu d�innocents �.Vous pensez, r�ellement, avoir trouv�, � cet �gard, une oreille d��coute en Occident ? YK : Je crois que la question ne se pose m�me pas. Regardez le nombre de lecteurs que j�ai, le nombre de pays o� je suis traduit. Rien qu�en France, l�Attentat s�est vendu � 400 000 exemplaires. Cela se passe de commentaires. MCM: Vous dites qu� � il n�y a rien de pathologique dans le terrorisme �.Vous pr�cisez, � propos de ceux qui recourent � des actes de violence qu� � il s�agit simplement d��tres qui, � un moment, ne sont plus interpell�s par leurs r�ves d�avec lesquels ils divorcent comme ils divorcent d�avec le monde �.Puisque c�est l� le th�me r�current de votre trilogie, quelle est, en d�finitive, l�origine, selon vous, de l�explosion de la violence dans les soci�t�s arabes? YK : D�abord, dire qu�il s�agit du th�me r�current de ma trilogie est inexact. Dans �les Hirondelles de Kaboul� je parle du renoncement, de la cheptelisation de la nation, de la d�shumanisation de la soci�t� taliban et surtout de l�Amour avec une majuscule. Dans �l�Attentat�, j�explique la r�sistance palestinienne. Dans �Les Sir�nes de Baghdad�, je raconte la guerre am�ricaine vue par un jeune b�douin. Quant � la violence, elle est un d�nominateur commun. En France, le racisme bat son plein et la col�re citoyenne d�passe l�entendement. En Tch�tch�nie le crime d�Etat s�op�re dans l�impunit� totale, r�confort� par la l�chet� plan�taire. Au Proche-Orient, l�h�g�monie de l�alliance am�ricanoisr�alo- britannique est en passe de d�clencher un embrasement de toute la r�gion. Les menaces qui gravitent autour de la Syrie et de l�Iran, conjugu�es � la d�sinformation outranci�re et aux discours biais�s des d�mocraties �fallacieuses�, pr�parent d�j� le terrain � d�autres trag�dies. Pourquoi donc associer la violence aux soci�t�s arabes qui ne sont que les victimes d�enjeux g�ostrat�giques �hont�s ? La vraie violence est occidentale. Lisez bien Les Sir�nes de Bagdad. J�ai �t� tr�s clair � ce sujet. �l��crivain c�est le livre d�une �poque, et d�une aspiration commune, d�un r�ve alg�rien...� MCM: A propos, tout particuli�rement de votre roman � L�Attentat �, d�aucuns vous accusent de servir de faire-valoir pour accr�diter l�id�e d�une aptitude au bien de la soci�t� isra�lienne� Cela ne vous choque pas ? YK : Le roman existe. Il est clair comme l�eau de roche. Vous l�avez lu ? Qu�est-ce que vous en pensez ? Vous n�avez pas besoin des commentaires des autres. MCM: Est-il exact que vous avez �crit � L��crivain � puis � l�imposture des mots � pour vous vous en servir d�exutoire afin de vous lib�rer de vos d�mons d�enfance ? YK : Quels d�mons ? J�ai �t� un gar�on tranquille. Sans haine et sans secrets. C�est encore de la foutaise. Tous les Alg�riens de ma g�n�ration, que j�ai eu le plaisir de rencontrer, me disent qu�ils se sont parfaitement reconnus dans � L�Ecrivain �. C�est le livre d�une �poque, le livre d�une aspiration commune, d�un r�ve alg�rien. Nous naissions au monde aux forceps. Nous voulions croquer la lune � pleine dent. Nous croyions dur comme fer aux lendemains qui chantent et nous reconnaissions NOTRE �toile en chaque �tincelle dans la nuit. Les d�mons ? Ce n��tait pas notre tasse de th�. Nous �tions blancs comme des anges et nous voulions construire un beau pays. Telle est l�histoire de �l� Ecrivain �. Quant � � L�imposture des mots �, il s�agit juste d�une mise au point, sans plus. � Je suis alg�rien et, quoique l�on dise, je ne fais que porter tr�s loin le talent alg�rien � MCM: Vos pol�miques avec la presse nationale sont devenues c�l�bres en Alg�rie. Certains journalistes vous accusent presque de m�galomanie lorsque vous vous vous encensez �Les Alg�riens sont fiers de moi. L� ou je passe, c�est l�euphorie�. De mani�re plus significative vous proclamez vouloir � absolument soustraire les sujets trait�s-terrorisme, fondamentalisme ou extr�misme � l�in- fluence des m�dias �, ou se situe, au juste, la nature de votre diff�rent avec une partie de la presse en Alg�rie ? YK : Je n�ai pas eu de pol�miques avec la presse alg�rienne, mais avec un journal, en l�occurrence �El Khabar �. Il y a �norm�ment de journalistes qui me respectent et m�encouragent dans mon pays. Il y en a d�autres qui me d�testent pour des raisons qui m��chappent. C�est tout � fait �quitable. Heureusement que cette pol�mique repose sur le fait d�avoir d�fendu un �crivain alg�rien, et non sur mon rapport direct avec la presse. J�ai lu des mensonges et des calomnies � mon sujet et je n�ai pas r�agi. Des journalistes alg�riens m�ont invit� � y r�pondre, mais j�ai pr�f�r� ne pas en faire un plat. Pour ce qui est de la m�galomanie, �a d�pend de comment on interpr�te mes propos. Dire que les Alg�riens sont fiers de moi est une r�alit�. Les �crivains alg�riens pr�sents au Salon de Paris ont vu le monde qui est venu me voir sur le stand de Julliard. Parmi mes lecteurs, ils ont d� remarquer la � fiert� � des Alg�riens. O� est la m�galomanie ? Je suis fier de Morcelli, de Boulmerka, de Lounis Ait Menguelet que je consid�re comme le plus Grand Alg�rien vivant. Est-ce que cela fait d�eux des m�galos. Et puis pourquoi emp�cher les Alg�riens d��tre fiers d�un des leurs, un �crivain de surcro�t, qui �crit des livres salu�s dans le monde entier et traduit jusqu�en Malayalam ? Faut-il �tre fier uniquement de l��quipe nationale de football. Je suis Alg�rien et quoi que l�on dise, je ne fais que porter tr�s loin le talent alg�rien. Les Alg�riens sont fatigu�s de nous voir nous entred�vorer. Qu�on laisse chacun vivre le peu de r�ves qui lui reste. Apr�s tout, o� est le probl�me si certains m�aiment ? Le font-ils au d�triment d�autres valeurs ? Je suis tellement heureux de voir les Alg�riens, malgr� les d�boires et les d�sillusions qui leur g�chent l�existence, continuer de croire et d�aimer, de r�ver et d��tre fiers. Si mon succ�s contribue un peu plus � cette foi, � ce bonheur infime, � ses particules d�esp�rance, alors je ne peux que m�en f�liciter et en �tre fier, moi aussi.