Les Sénégalais sont sortis samedi dans la rue, la troisième fois en un mois, pour rappeler au président actuel du Sénégal, Abdoulaye Wade, son devoir de respecter le principe de l'alternance au pouvoir après avoir accompli deux mandats successifs. L'opposition a organisé en fait un grand meeting politique dans une banlieue de la capitale Dakar qui a réuni environ dix mille personnes, selon les organisateurs, et seulement trois mille manifestants, selon la police. Le Mouvement du 23 juin (M23) était derrière cette nouvelle manifestation qui s'est déroulée malgré l'absence d'une autorisation de la part des autorités. Parallèlement, le président Wade a réuni ses partisans, entre un million et demi à deux millions de personnes, dans un autre quartier de la capitale pour contrer les leaders du M23 qui lui demandent tout simplement d'éviter au Sénégal un retour en arrière. Abdoulaye Wade veut briguer un troisième mandat successif et a tenté de modifier la Constitution à sa guise, ce qui a soulevé un tollé général au sein de la classe politique sénégalaise, y compris dans son propre entourage qui le soupçonne de vouloir imposer son fils Karim Wade comme futur président du pays. Au pouvoir depuis 2000 et âgé de presque 82 ans, Abdoulaye Wade a été contraint de retirer son projet de réforme constitutionnelle grâce à une impressionnante mobilisation de la rue. Les manifestations avaient été initiées par le mouvement «Y'en a marre» qui a pu réunir autour de lui de nombreux acteurs politiques et associatifs le 23 juin dernier et créer ainsi une nouvelle dynamique dans le pays. Outre en fait les partis politiques traditionnels qui sont dans leur rôle de jouer aux opposants, en prévision de la présidentielle de 2012, de plus en plus en plus de voix ont lancé un appel à la raison au chef de l'Etat qui semble être aveuglé par la soif du pouvoir pour laquelle sont, malheureusement, connus la plupart des dirigeants africains. Le Rassemblement islamique du Sénégal (RIS) a fait son entrée en jeu et a ouvertement pris position contre Wade. Des intellectuels sénégalais ont aussi exprimé leur inquiétude de voir leur pays sombrer dans le chaos parce qu'un seul homme a voulu garder le pouvoir entre ses mains contre la volonté du peuple, qui a été déçu en dix ans de règne sans résultats apparent sur le terrain. Les Sénégalais ont investi la rue en fait non pas pour dénoncer les velléités dynastiques du président, mais pour crier leur ras-le-bol contre la dégradation de leur cadre de vie, principalement, et le chômage endémique qui contraint de nombreux jeunes à risquer leur vie dans la mer en émigrant clandestinement vers l'Europe. Les manifestations contre les coupures du courant électrique à travers tout le pays ont provoqué des manifestations massives le 13 juillet dernier et ont failli tourner à l'émeute, bien que des incidents aient été enregistrés lors d'affrontements entre manifestants et services de l'ordre. Il faut rappeler que les Sénégalais ont également manifesté dans le passé contre les inondations et les accidents ferroviaires et routiers en raison de l'absence d'entretien et de l'inexistence d'un minimum pour éviter ces catastrophes naturelles et humaines. La présidentielle de 2012, le seul enjeu ? Tout en exprimant leur solidarité avec le M23, le Rassemblement islamique du Sénégal (RIS) a estimé que les citoyens sénégalais doivent rester vigilants. «Le RIS appelle à la vigilance et à la détermination de tous les citoyens, afin que les acquis de ces réussites éclatantes et mémorables du peuple soient conservés, pour un véritable changement en 2012», a indiqué le Rassemblement dans un communiqué rendu public la semaine dernière. La résolution des problèmes auxquels est confrontée la population n'émane pas du simple départ d'Abdoulaye Wade de la tête de l'Etat, estime le RIS. «Le vrai changement pour le RIS ne signifie pas uniquement le départ de Wade de la tête du pays, mais il consiste à proposer un projet alternatif crédible et à exiger un contrat social solide entre le peuple et les candidats à la présidentielle de 2012 afin d'éviter toute possibilité de confiscation du pouvoir», résume le Rassemblement islamique dans sa vision du mouvement des tenants et aboutissants de la véritable lutte du M23 qui refuse que son combat soit récupéré par tel ou tel candidat à la prochaine échéance électorale. Le M23 se considère comme un mouvement de veille et veut le rester afin de pouvoir dénoncer tout dérapage de la part de n'importe quel dirigeant politique qui aura la mission de présider aux destinées du Sénégal pour les années à venir. Pour conclure, davantage de Sénégalais sont conscients que l'enjeu principal, c'est la sauvegarde des acquis de la République qui passe d'abord par l'alternance au pouvoir. La présidentielle du 26 février 2012 n'est en fait qu'un moyen pour assurer cette alternance à laquelle Abdoulaye Wade ne semble pas du tout branché. Wade a promis le changement, mais il a déçu. Aujourd'hui, il est de plus en plus contesté et la rue exprime fortement ce mécontentement. Va-t-il donc finir par céder où prendra-t-il le risque de résister à la volonté populaire et mettre ainsi le Sénégal en péril ? L. M. Le Sénégal d'Abdoulaye Wade depuis 2000 2000 : Abdoulaye Wade remporte l'élection présidentielle, mettant fin à 40 ans de règne du Parti socialiste. Janvier 2001 : La Constitution est modifiée par référendum. Le mandat présidentiel est réduit de sept à cinq ans, le Sénat est supprimé, le nombre de députés réduit. Mars 2001 : Un accord de paix est signé entre le gouvernement et l'abbé Diamacoune Senghor, secrétaire général du Mouvement des forces démocratiques de Casamance. Avril 2001 : A l'occasion d'élections législatives anticipées, la coalition «Sopi» («changement», en wolof) du président Wade remporte 89 sièges sur 120. Le Parti socialiste (PS) n'en obtient que 10. Septembre 2002 : Naufrage d'un navire, le Joola, qui effectuait la liaison Ziguinchor-Dakar. Il transportait plus de 1 800 personnes, alors que la capacité théorique du bateau était de 550 passagers. 64 personnes seulement arrivent à survivre à cette tragédie. Avril 2004 : Rupture d'Abdoulaye Wade avec son Premier ministre Idrissa Seck. Ce dernier sera inculpé pour atteinte à la sûreté de l'Etat et incarcéré en juillet 2005, puis libéré en février 2006. Décembre 2004 : Signature d'un accord général de paix en Casamance. Abolition de la peine de mort. Juin 2006 : L'Espagne et le Sénégal concluent un accord prévoyant le rapatriement des passagers clandestins à destination des Canaries. Depuis le début de l'année, plus de 10 000 émigrants africains ont débarqué aux Canaries, venant principalement du Sénégal, mais aussi de Mauritanie et de Gambie. Février 2007 : Abdoulaye Wade est réélu avec 55% des voix devant l'ancien Premier ministre Idrissa Seck (15%) et le candidat du Parti socialiste, Ousmane Tanor Dieng (13%). Juin 2007 : La coalition du président Wade remporte les élections législatives. Le scrutin est marqué par une faible participation après l'appel au boycott des principaux partis de l'opposition. Mars 2009 : Elections locales, municipales et régionales. L'opposition arrive en première position dans la plupart des régions et remporte la victoire à Dakar. Septembre 2009 : Des pluies torrentielles provoquent de violentes inondations dans le pays. Février 2010 : Un projet de loi déclarant l'esclavage «crime contre l'humanité» est exposé par le chef de l'Etat. Abdoulaye Wade annonce également la fermeture de la base militaire française à Dakar. Février 2011 : Dakar rompt ses relations diplomatiques avec l'Iran, accusé d'avoir livré des armes aux rebelles indépendantistes de Casamance, où la recrudescence de la violence depuis fin décembre 2010 a causé la mort d'au moins seize soldats sénégalais. Juin 2011 : Face à la fronde de la rue, Abdoulaye Wade renonce à une réforme constitutionnelle qui prévoit de faire élire un ticket présidentiel, au premier tour, avec 25% seulement des suffrages exprimés. On le soupçonne de vouloir assurer sa réélection et de préparer la succession pour son fils Karim. Juillet 2011 : Les Sénégalais sortent dans la rue pour, cette fois-ci, protester contre les coupures courantes d'électricité, un problème qui persiste depuis des années et auquel les autorités de Dakar ne trouvent pas de solution.