Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.
Le Mouvement du 23 juin donne naissance au «patriotisme constitutionnel» Abdoulaye Wade retire le projet d'une constitution qui menace la démocratie au Sénégal
En voulant rester au pouvoir pour trois années supplémentaires, dans la perspective de se représenter pour un troisième mandat consécutif, l'ancien président du Niger Mamadou Tandja a été tout simplement renversé par un coup d'Etat militaire le 18 février 2010. L'ex-chef d'Etat ivoirien, Laurent Gbagbo, qui ne voulait pas reconnaître sa défaite à la présidentielle du 28 novembre 2010, a, lui aussi, été chassé du pouvoir après une guerre civile qui avait opposé, pendant quatre mois, ses partisans à ceux de son adversaire Alassane Ouattara, devenu depuis le 11 avril 2011 le nouveau président de la Côte d'Ivoire. A un an de la présidentielle sénégalaise, l'actuel président, Abdoulaye Wade, n'a pas dérogé à la règle qui consiste à aller contre la volonté populaire. M. Wade a procédé de la même manière que son ancien homologue du Niger, c'est-à-dire adopter une nouvelle constitution à la mesure de ses ambitions politiques. Mais là, le peuple sénégalais n'a pas voulu de ce projet et sa mobilisation a contraint Abdoulaye Wade à faire marche-arrière. Pour Wade, il s'agit d'une limite à ne pas franchir mais pour le Sénégal, c'est une nouvelle ère politique qui commence Par Lyes Menacer Le Sénégal a vécu la semaine dernière une historique journée de protestation populaire qui, même si elle a été marquée par de violents affrontements entre les services de sécurité et les manifestants, elle a ouvert la voie à la naissance d'un véritable mouvement de la société civile qui commence à s'organiser progressivement en prévision de la prochaine présidentielle, prévue dans moins de huit mois. Le peuple sénégalais, pour remettre les choses dans leur contexte, est sorti en fait dans la rue mercredi dernier pour protester contre l'adoption d'une nouvelle constitution, laquelle allait permettre à l'actuel président du pays, Abdoulaye Wade, d'instaurer un régime dynastique, ce qui a mis le feu aux poudres aussi bien au sein de l'opposition que chez les partisans de son parti. M. Wade avait introduit dans le projet de réforme constitutionnelle, que le Parlement allait examiner jeudi dernier, ce qu'il a appelé le «ticket présidentiel». Dans sa version initiale, le texte qui avait été adopté auparavant par le Conseil des ministres proposait l'élection, dès 2012, d'un président et d'un vice-président. Ce fameux ticket devait permettre au candidat à la course électorale de l'emporter dès le premier tour s'il recueille seulement 25% des suffrages exprimés. Elu pour la première fois en 2000, Abdoulaye Wade veut, à l'âge de 85 ans, briguer un troisième mandat présidentiel et céder ensuite la place à son fils Karim (45 ans), qui occupe depuis le 1er mai 2009 le poste de ministre d'Etat, ministre de la Coopération internationale, de l'Aménagement du territoire, des Transports aériens et des Infrastructures. Abdoulaye Wade, de plus en plus contesté par l'opposition et une partie de son entourage, cherche à se faire élire avec un minimum de voix, et la création du poste de vice-président sert justement à placer son fils à la tête de l'Etat. Autrement dit, si les Sénégalais ne s'étaient pas soulevés, il aurait été certain que la dynastie des Wade allait voir le jour, et le système démocratique, encore jeune au Sénégal, allait être remplacé par une monarchie familiale. Pis, le Sénégal, où la liberté de culte est garantie par la Constitution et respectée par la société, a failli tomber entre les mains d'une seule confrérie religieuse la plus influente dans ce pays : les Mourides. Abdoulaye Wade est le premier président issu de cette confrérie religieuse née au début du XXe siècle et fondée par le cheikh Ahmadou Bamba. Naissance du «patriotisme constitutionnel» Jeudi dernier donc, des milliers de Sénégalais s'étaient donné rendez-vous devant le siège du Parlement pour demander le retrait du nouveau projet de la réforme constitutionnelle. Des députés de la majorité s'apprêtaient à l'examiner, mais ils ont fini par y renoncer devant la pression populaire à travers tout le Sénégal et la tournure qu'a prise le rassemblement de l'opposition devant le siège de l'Assemblée à Dakar. Les affrontements qui ont marqué cette manifestation pacifique, entre les militants de l'opposition et les services de l'ordre, ont fait pas moins d'une centaine de blessés dont des responsables de parti et des membres influents des organisations civiles locales. Alioune Tine, président d'une ONG et figure de proue de la société civile sénégalaise, était parmi les personnalités blessées jeudi à Dakar au cours de ce rassemblement. Pour les analystes locaux de la scène politique sénégalaise, il s'agit là d'un véritable début d'un processus qui permettra à ce pays de l'Afrique de l'Ouest de rompre avec un passé marqué par l'instabilité politique et les putschs à répétition. «On n'a jamais vu ça dans l'histoire politique sénégalaise en 37 révisions constitutionnelles depuis 1960», a déclaré le professeur Ismaïl Madior Fall à propos de la naissance du Mouvement du 23 juin qui constitue, pour lui, la naissance du patriotisme constitutionnel. Et pour cause, le professeur explique que «parmi les réformes qu'il y avait eu, il y avait bien des révisions qui ont remis en cause des acquis démocratiques [annualiser le mandat de l'Assemblée nationale qui était de 5 ans, instaurer un conseil économique et social...]. Ce qui a laissé les populations indifférentes», a rapporté PressAfrik.com. Ce constitutionaliste a rejeté l'idée d'existence d'un vice-président pour la simple raison qu'«il n'y a pas de pertinence, dans un régime politique comme au Sénégal, à avoir un vice-président». Pour certains acteurs des médias, le président du Sénégal, contraint à retirer son projet de nouvelle constitution, est complètement en déphasage avec la réalité de son peuple. «S'il y a quelqu'un qui est en déphasage avec les Sénégalais, c'est bien Abdoulaye Wade. Il est dépassé et déphasé parce qu'il n'a plus accès à la vérité. Parce que ce qui se passe est que, d'habitude, les gens lui donnent des informations tamisées», a écrit le politologue Tamsir Jupiter Ndiaye, également chroniqueur à l'hebdomadaire local Nouvel Horizon. Le regroupement d'une soixantaine de partis et d'organisations politiques et associatives autour du Mouvement du 23 juin est une vraie gifle à Abdoulaye Wade, qui ne semble pas comprendre que le Sénégal est engagé dans un processus de démocratisation qui ne doit pas être interrompu par une simple ambition personnelle ou familiale. Abdoulaye Bathily, universitaire sénégalais, a d'ailleurs expliqué à l'Agence de presse sénégalaise que le but de la création de ce mouvement répond à ce souci majeur de sauvegarder le patrimoine national du pays. «Nous mettons en garde ceux qui sont dans les sociétés nationales contre toute tentative de détournement du patrimoine national. Nous allons mettre en place un dispositif de sauvegarde de notre patrimoine», a-t-il dit. «Nous avons lancé le combat […]. Le Mouvement du 23 juin, ce n'est plus seulement Bennoo Siggil Senegaal. Ce ne sont plus seulement les partis d'opposition», a insisté M. Bathily, secrétaire général de la Ligue démocratique (LD), précisant qu'«Abdoulaye Wade doit savoir qu'il ne peut plus être candidat à l'élection présidentielle (de 2012). Il ne doit plus y avoir de découpage administratif. Il ne doit plus y avoir de ministre de l'Intérieur (politiquement) partisan», a rapporté l'APS. Il est clair qu'avec la naissance du Mouvement du 23 juin, le président du Sénégal doit se rendre à l'évidence et céder le pouvoir sans provoquer une nouvelle guerre civile ou aller jusqu'à sortir par la petite porte en subissant un coup d'Etat, comme c'est devenu coutume dans le continent africain. Mais pour le moment, le calme est revenu à Dakar, écartant ainsi toute inquiétude sur une éventuelle dégradation de la situation dans ce pays de l'Afrique de l'Ouest qui occupe une place importante au sein de l'Union africaine.