Mahmoud Abbas ne fait plus dans la nuance. Les Palestiniens sont «contraints» de demander à l'ONU l'adhésion d'un Etat de Palestine. En face, l'Etat colonisateur refuse plus que jamais de stopper la colonisation et de négocier sur la base des frontières de 1967. Il est devenu impératif de changer de stratégie. La récente réunion de l'ensemble des représentants diplomatiques palestiniens à Istanbul se place déjà dans l'optique du grand rendez-vous de septembre. La perspective embarrasse une partie de la «communauté internationale», en fait certaines capitales occidentales qui ont du mal à dépasser le seuil psychologique : celui d'indisposer Israël, un Etat au statut bien particulier. Les conditions pour annoncer la naissance de l'Etat palestinien à l'ONU sont plus que jamais réunies. La décision fait l'objet d'un large consensus au sein de l'opinion palestinienne du Fatah au Hamas. «Comme le reste des peuples du monde, nous voulons être membres de l'Assemblée générale, membres de l'ONU, ni plus ni moins», dira Mahmoud Abbas. Les démarches administratives sont en cours. Elles seraient finalisées le 4 août lors d'une réunion restreinte du comité de suivi arabe à Doha. La lettre officielle sera envoyée à l'ONU durant la première semaine d'août. Israël tourne le dos à toute solution du conflit et refuse de lever l'inhumain blocus sur Ghaza, une enclave où s'entassent un million et demi de Palestiniens. «La tragédie provoquée par Israël à Ghaza ne peut être expliquée. Il n'y a aucune autre réalité que celle de voir des femmes, enfants et civils innocents tués d'une manière barbare et inhumaine», avait dit fort à propos le Premier ministre turc, Erdogan, dont le gouvernement appuie la démarche palestinienne à l'ONU. Dans les travées de l'auguste assemblée onusienne, les Palestiniens comptent éviter de proclamer unilatéralement un Etat, comme à Alger en 1988. Ils sont même parés à éviter un veto inévitable des Etats-Unis au Conseil de sécurité. La décision de demander l'adhésion à l'ONU d'un Etat de Palestine fait l'objet d'un large consensus à l'intérieur et à l'extérieur de la Maison Palestine. De sa geôle israélienne, le très populaire Marwane Barghouthi appelle au soutien populaire pour appuyer la reconnaissance d'un Etat palestinien par l'ONU, en septembre prochain. De quoi susciter la nervosité d'Israël qui s'emploie systématiquement à faire échouer l'initiative. Contraint par un contexte arabe en plein bouleversement, le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, se dit vouloir négocier. «Je suis prêt à négocier la paix directement avec le président Mahmoud Abbas», clame-t-il. La perspective d'une Assemblée générale de l'ONU votant la reconnaissance de l'Etat palestinien dans ses frontières de 1967 et son admission au sein des Nations unies semble constituer une hantise pour Israël. La proposition israélienne particulièrement pressante d'ouverture de négociations ne vise rien de moins qu'à torpiller la reconnaissance de l'Etat palestinien par l'instance onusienne. C'est surtout l'impact sur le plan de la symbolique qui provoque l'appréhension de l'Etat hébreu. Il y a à l'heure actuelle 117 pays reconnaissant l'Etat de Palestine dans ses frontières de 1967. Depuis la réconciliation entre le Fatah et le Hamas, intervenue dans le sillage du «printemps arabe», l'Etat colonisateur ne peut plus user des divisions internes. Convaincre certains pays «alliés» ou hésitants à voter contre la reconnaissance d'un Etat palestinien n'est pas chose facile. Les Israéliens ont besoin d'un minimum de 30 voix pour faire échouer la demande d'admission d'un Etat palestinien. Une occupation «unilatérale» Une grande campagne est en cours pour étayer l'idée que l'initiative palestinienne est «unilatérale» et donc ne pouvant régler un conflit entre deux parties. Usant de l'artifice du droit pour le tordre à son avantage, Israël feigne d'oublier qu'il foule aux pieds un nombre important de résolutions de l'ONU le visant. «Ce qui est unilatéral, c'est la colonisation israélienne», dira Abbas. Le toujours président de l'Autorité palestinienne est bien placé pour avoir cru jusqu'à l'inimaginable aux vertus du dialogue et de la négociation. Abbas a été accusé de compromission tellement il a joué le jeu jusqu'au bout face à un vis-à-vis adepte de la duperie dans le but de gagner du temps. La réconciliation inter-palestinienne intervenant dans le sillage du printemps arabe et la chute de Hosni Moubarak ont introduit une nouvelle donne qu'Israël ne peut éviter. L'Etat hébreu s'est déjà permis de refuser le plan arabe de paix adopté en 2002 à Beyrouth, préconisant le retrait d'Israël de tous les territoires occupés en échange de sa reconnaissance et de l'établissement de relations diplomatiques. Bien qu'approuvé, du moins verbalement, par les Etats-Unis et l'Union européenne, ce plan est resté sans suite en raison de l'obstination et de l'arrogance d'Israël. Ainsi le Conseil de sécurité de l'ONU se réunira, offrant au monde une chance de soutenir une proposition qui pourrait mettre fin à des décennies d'échec d'un processus de paix fatigué de faire du surplace. Plus de 120 nations du Moyen-Orient, d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine ont déjà approuvé cette initiative. Les Etats-Unis y sont férocement opposés. L'Europe est encore indécise. L'opinion publique mondiale devrait saisir cette occasion unique pour mettre fin à 40 années d'occupation inique. L'ONU, la Banque mondiale et le FMI ont tous trois récemment déclaré que les Palestiniens sont prêts à diriger un Etat indépendant, mais le plus grand frein à cette réussite est l'occupation israélienne. Même le président des Etats-Unis a émis sa désapprobation face à l'expansion des colonies et appelé à un retour aux frontières de 1967. Le Premier ministre israélien, Netanyahu, a réagi avec fureur. Après des décennies d'impunité, Israël s'est habitué à refuser d'appliquer l'ordre international. La reconnaissance mondiale de la Palestine pourrait relancer la possibilité d'une réelle résolution négociée du conflit. Le monde tolère de moins en moins l'impunité et l'intransigeance d'un Etat ultra-militarisé et occupant des terres de façon illégale. L'injustice qui frappe le peuple palestinien depuis soixante ans n'a que trop duré. M. B.