La situation en Syrie tend inexorablement à se compliquer. La révolte populaire est depuis cinq mois systématiquement réprimée au nom de la lutte contre le «complot ourdi» que le régime syrien tend à celui qui veut bien l'entendre dans cette ère de printemps arabe où les régimes absolutistes n'ont plus rien à offrir. Au lendemain de la violente répression contre des manifestants dans la ville symbole de Hama, la pression internationale s'est à nouveau accentuée contre le régime syrien. Les rapports de Damas avec les Occidentaux qui ne brillent pas par leur convivialité iront en se durcissant, ajoutant à l'isolement du régime. Le chef de la diplomatie britannique, William Hague, a réclamé «davantage de pression internationale». Rome a réclamé une réunion d'urgence du Conseil de sécurité de l'ONU. Londres a dénoncé des attaques injustifiées «d'autant plus choquantes» qu'elles ont lieu à la veille du mois sacré du Ramadhan. Le président américain, Barack Obama a promis que «les Etats-Unis continueront d'accentuer la pression sur le régime syrien et coopéreront avec d'autres pays à travers le monde pour isoler le gouvernement d'Assad et soutenir le peuple syrien». Le lendemain le président syrien Bachar al-Assad félicite l'armée «patriotique» syrienne, symbole de «l'orgueil» national, se disant certain que les Syriens parviendront à faire échouer le «complot» ourdi contre leur pays. L'image est saisissante du décalage existant entre un régime qui refuse d'évoluer et d'accepter des réformes politiques véritables et une logique occidentale qui a toujours considéré le régime Assad comme infréquentable. Pour l'heure Bachar al-Assad résiste depuis des mois face à la pression externe et la contestation interne. Et le fait que l'intervention étrangère est refusée même par l'opposition joue inexorablement en faveur du régime qui se dit défendre la volonté de la majorité du peuple. Pour Nadera Bouazza, chercheuse à l'Institut français de géopolitique et spécialiste de la Syrie, il y a dans la posture du système en place un minimum de légitimation. «Damas demeure un enchevêtrement de quartiers fidèles au régime; des quartiers sunnites, ceux des minoritaires arméniens, chrétiens, druzes et alaouites, or il faut savoir que la communauté, le clan et la famille ont toujours été les verrous du régime.» Et il en va de Damas comme d'autres villes et régions syriennes. Il y a comme un soutien, passif ou actif, du régime par une partie de la population malgré sa faible médiatisation dans les médias occidentaux. Et justement c'est grâce à une accumulation de «soutiens raisonnés» que le régime tient. Ceux des «privilégiés du pouvoir, des élites d'Etat et la bourgeoisie dorée». Le régime syrien peut également compter sur les minorités, qui sont «convaincues que celui-ci est le dernier rempart contre l'islamisation du pays et la guerre civile». Thomas Pierret, chercheur en sciences politiques à Berlin, estime, lui, que beaucoup parmi les soutiens alaouites et sunnites du régime, loin d'être des privilégiés ou des «bourgeois dorés», sont pauvres. Mais «ils pensent que l'alternative ne pourrait être que pire pour leur communauté». Ainsi la peur du chaos pourrait être le premier jouant en faveur du régime. Et l'exemple le plus patent reste le proche Irak. La Syrie ayant accueilli, depuis 2003, plus de un million de réfugiés irakiens. Le régime Assad reste synonyme, pour une majorité de Syriens, de «stabilité». En outre, fait remarquer Nadera Bouazza, les Syriens dans leur ensemble sont «attachés à la souveraineté de leur pays et hostiles à toute ingérence étrangère, qu'elle vienne des opposants syriens de l'extérieur ou des pays occidentaux». Dans ces conditions «le discours à l'extérieur n'a que très peu d'impact à l'intérieur du pays». «Les minorités confessionnelles ont donc réaffirmé leur appui au régime, car les représentations de menaces sont là, avant même que Bachar al-Assad ne les réactive pour contrer les manifestations.» La communauté alaouite, qui détient les postes-clés du pouvoir depuis 1970, représente environ 10% de la population. Même si tous les Alaouites ne soutiennent pas Bachar el-Assad et son clan, la plupart d'entre eux n'appréhendent pas avec une grande sérénité une chute du régime. La peur de l'inconnu pourrait pousser des pans de la population à préférer le régime actuel et se limiter à réclamer des réformes. De plus le fait que par son positionnement géographique et les choix politiques de la dynastie alaouite et du parti Baath, au pouvoir depuis 40 ans, la Syrie se trouve directement impliquée dans tous les conflits et intérêts majeurs qui secouent cette région du monde (rapport avec l'occupant israélien, réconciliation interpalestinienne, rapprochement de la Turquie envers les pays arabes, jeux d'influence iraniens et chaos confessionnel irakien), Damas reste au cœur de tous les enjeux régionaux. Cependant l'impasse sanglante dans laquelle s'est empêtré le régime syrien sur le plan intérieur marque un tournant crucial pour l'avenir du pays. Le printemps arabe a bel et bien de son souffle happé la Syrie. M. B.