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«Nos placements sont garantis par l'Etat américain et ne présentent pas de risque de non-remboursement» Dr Mourad Preure, expert pétrolier international et président du cabinet Emergy
Entretien réalisé par Badiâa Amarni La Tribune : La crise qui affecte les Etats-Unis suite à une dette publique dépassant les 14 300 milliards de dollars risque de se répercuter négativement sur l'économie mondiale. Pourriez-vous nous donner votre avis sur la question ? MOURAD PREURE : En fait l'économie mondiale est en crise depuis 2008. La reprise entamée en 2009 et confirmée en 2010 restait à trop fort contenu budgétaire. De plus, le système financier restait encore affecté par les causes structurelles qui ont conduit à cette crise. J'ai toujours avancé que la sortie de crise ne pouvait se faire en V (récession – reprise) mais en W ou double creux. Un nouveau cycle récessif était en route. Les Etats occidentaux déjà endettés se sont endettés davantage pour sauver le système financier et ont de la sorte transformé de la dette privée en dette publique. Les signaux d'alerte ont commencé en 2010 avec la crise de la dette souveraine en Europe et la guerre des monnaies. Les pays les plus fragiles comme la Grèce, les pays à déficit budgétaire et demande interne forte comme l'Italie, l'Espagne, le Portugal, mais aussi la France, l'Irlande ont donné des signes de faiblesse. L'action vigoureuse de l'Union européenne en sauvant la Grèce et instaurant le Fonds européen de stabilité financière, doté de 440 milliards d'euros, a contenu le mal. La crise de la dette souveraine en Europe commence à atteindre des seuils où son potentiel de diffusion est exacerbé avec l'Italie qui est autrement plus importante que la Grèce et dont la dette, proche des 2000 milliards d'euros, dépasse la dette espagnole et représente six fois la dette grecque. La dégradation de la dette souveraine américaine est à mon avis un signal fort. La panique boursière qui s'ensuivit, si elle perdure, risque d'accentuer les tendances entropiques récessionnistes à l'œuvre. En fait, l'économie mondiale est un bateau ivre qui ne répond plus aux commandes. La crise que nous vivons est l'aboutissement de tendances à l'œuvre depuis l'avènement de ce que l'on a appelé la globalisation. La révolution des TIC et la chute du mur de Berlin la décennie 90 ont rendu possible l'abolition des frontières et l'émergence du marché global où se meuvent des acteurs globaux. Ces changements fondamentaux se sont imbriqués sur deux tendances lourdes à l'œuvre depuis les années 80 : la libéralisation des économies et le culte du dieu marché supposé doté d'un pouvoir autorégulateur, une «main invisible» d'une part, la prééminence de plus en plus réelle du système financier et le développement d'instruments de couverture contre le risque, d'arbitrage et de spéculation. Ces marchés financiers se sont depuis interconnectés à travers la planète, ont développé leur opacité, leur caractère spéculatif et leur autonomie vis-à-vis des Etats. La crise que nous vivons est selon moi la première crise post-mondialisation. Elle pose des questions pressantes : un besoin de régulation et de gouvernance pour l'économie mondiale. Mais par qui ? La puissance tutélaire de la planète passe de mauvaise grâce le témoin à la Chine qui est depuis une année deuxième puissance mondiale et qui sera première dans vingt ans très certainement. L'OCDE est aujourd'hui l'homme malade de l'économie mondiale. Les Etats occidentaux déjà endettés ont du mal à trouver une solution à la crise et apparaissent débordés par les évènements. Pour compliquer les choses, l'économie mondiale connaît deux régimes de croissance : (i) l'OCDE menacée de récession, (ii) les pays émergents qui résistent bien, malgré les forts risques inflationnistes en Chine, et qui disposent d'un potentiel de croissance réel. Ils risquent d'emporter les prix des commodities, dont le pétrole (ils tirent à la hausse la demande) et compliquer la sortie de crise pour les premiers. En fait, il semble que les marchés financiers surréagissent à la décision concernant la dette américaine et anticipent (sans doute à juste titre) une récession américaine durable. Il y a une très forte imprévisibilité car un effet domino est tout à fait probable, tant les interrelations entre les pays sont fortes et organiques et tant les logiques financières spéculatives sont prégnantes. L'OCDE relève d'ailleurs dans son rapport de mai 2011 que «des signaux plus forts d'inversion des cycles de croissance ont fait leur apparition aux Etats-Unis, au Japon et en Russie». Elle ajoute : «Les indicateurs pour le Canada, la France, l'Allemagne, l'Italie, le Royaume Uni, le Brésil, la Chine et l'Inde continuent à pointer vers des ralentissements d'activité économique.» Quelles seront les répercussions de cette crise sur les prix du pétrole et sur l'Algérie ? Les marchés pétroliers sont interconnectés avec les marchés financiers et subissent leurs évolutions erratiques. En fait, aujourd'hui la spéculation agit plus que les fondamentaux sur les prix. Les prix du pétrole ont perdu 30% en trois mois et 10% en une semaine. L'OCDE représente plus de la moitié de la demande pétrolière mondiale alors que les pays émergents n'en représentent qu'un petit tiers, cela même s'ils tirent vigoureusement la demande et contribuent à orienter les prix à la hausse. Un effondrement de la demande OCDE aura un effet baissier très fort incontestablement. L'Opec a d'ailleurs corrigé à la baisse ses prévisions de demande pour 2011 et 2012. Mais le problème me semble l'effet conjugué des anticipations des spéculateurs quant à l'économie mondiale et à la demande pétrolière et de l'état de leurs portefeuilles d'actifs autres que pétroliers. En manque de liquidités, ils auront tendance à «capituler», à se dessaisir massivement d'actifs, au nombre desquels des actifs pétroliers et entraîner les prix à la baisse. Nous avons connu ce scénario en 2008 où le prix du pétrole est passé de 147 dollars le baril en juillet 2008 à 35 dollars en décembre. Aujourd'hui le marché pétrolier est bien sinon surraprovisionné mais la capacité inutilisée de l'Opec tend à fondre avec les augmentations de production intempestives de ses membres et la perte de la production libyenne. Elle n'est plus de 3 Mbj, et le marché en cas de risque géopolitique risque d'être vite très tendu. Le potentiel de diffusion de l'instabilité dans le monde arabe est réel et participe à raffermir les prix. Nous voyons donc qu'il y a beaucoup de déterminants à l'œuvre dont le plus fort nous semble être l'état des pays les plus éminents de l'OCDE. Toutes choses égales par ailleurs, les prix devraient continuer à fluctuer autour d'un pivot de 90-100 dollars le baril, qui est un niveau relativement fort et absolument pas justifié du tout par un rapport offre - demande comme on l'a vu. Au-delà, le prix contient un potentiel récessionniste et de destruction de demande. Considérant les combinaisons possibles de ces variables, le risque de collapsus et de correction brutale à la baisse n'est pas à exclure, il peut même être considéré comme moyennement probable. Si risque il y a, la valeur des bons du Trésor américain que détient l'Algérie, serait-elle affectée ? Tout d'abord nos placements sont garantis par l'Etat américain et ne présentent pas de risque de non-remboursement. D'éminents experts algériens l'ont démontré. Il semble que dans la mesure où ils ne sont pas mis sur le marché dans l'immédiat, les bons du Trésor détenus par l'Algérie ne perdent pas leur valeur alors même que leur rendement va s'améliorer du fait de l'augmentation des taux d'intérêt. Voilà ce que je peux dire. Si vous me demandez plus de détails, je ne saurai vous répondre, et quel expert le pourrait ! Quelle est la part placée en bons du trésor Américain ? Dans quelles monnaies sont placées nos réserves de change ? Mystère. Comme d'autres experts algériens, je pense qu'il est urgent d'entamer un débat sur la gestion de nos réserves de change. Je pense qu'autant pour les ressources en hydrocarbures que pour nos réserves de change, un contrôle citoyen est impératif. Ce sont des questions trop importantes, tout de même ! L'opacité dans laquelle sont traitées ces questions ne peut être profitable au pays. Toute l'intelligence de ce pays doit être sollicitée et mobilisée pour comprendre la complexité de l'économie aujourd'hui, mesurer les vulnérabilités de notre pays mais aussi les immenses opportunités, anticiper les évolutions probables et décider au mieux de nos intérêts. Mais je vais profiter pour vous répondre à une question que vous ne m'avez pas posée : notre pays est-il exposé à cette crise ? Qu'en sera-t-il en cas d'évolution chaotique, de collapsus ? Notre pays est articulé à l'économie mondiale par ses exportations d'hydrocarbures et ses importations de produits manufacturés et alimentaires. Il subit déjà la crise par l'inflation importée, il la subira davantage et à une autre échelle, autrement plus traumatisante si la crise s'aggrave sévèrement. Ses les exportations en hydrocarbures se font en dollar, il subira de fait la baisse de la monnaie américaine qui résultera d'une récession mais aussi d'un choix de l'Etat américain d'un dollar faible pour amoindrir le poids de sa dette. Il subira dans une moindre mesure à travers la baisse des prix pétroliers car cette baisse ne peut être durable à mon avis même si une correction brutale à la baisse est dans l'ordre du possible. Tout ceci souligne l'impératif de déconnecter notre croissance des évolutions erratiques du marché pétrolier. Une dynamique de croissance autoentretenue suppose d'abord que l'on ne se trompe pas de siècle. Il faut orienter le développement industriel sur les logiques structurantes de la nouvelle économie fondée sur les technologies de l'information, sur l'innovation et les réseaux de savoir. Il faut donner une impulsion décisive à nos PME et nos universités. Il faut aussi agir offensivement face à la crise, c'est le meilleur moyen de la surmonter avec succès. Et nous le pouvons. Je pense qu'il faut ouvrir des perspectives nouvelles dans le sens d'une insertion active de notre pays dans la mondialisation au lieu d'une insertion passive fondée sur l'exportation d'hydrocarbures et l'importation de biens manufacturés et alimentaires. Il nous faut une industrie performante, solidement articulée à l'université et la recherche. Une industrie qui trouve sa place dans les chaînes de valeur globales où elle doit convoiter les segments à haute charge en matière grise. La crise actuelle, qui va mettre à mal bien des entreprises leaders dans le monde, est une excellente opportunité pour faire des acquisitions d'actifs en international. Nos réserves de change peuvent être un excellent levier pour cette immense ambition. Dans ce sens, je plaide pour la création de deux fonds souverains. (1e) un fonds souverain national qui visera à financer la création de richesses et d'emplois dans le pays en privilégiant l'innovation, les industries à haute charge en matière grise, les universités et la recherche, tout en n'omettant pas, bien entendu, l'import-substitution (qui ne doit pas être l'objectif premier), (2e) un fonds souverain qui se prépare à faire des acquisitions en international dans les industries porteuses de synergies pour notre industrie (pétrole, mécanique, électronique, TIC, etc.). Pour citer Napoléon : «Se faire battre est excusable, se faire surprendre est impardonnable.»