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«Cette crise est une occasion de réviser la politique économique» le Pr Farid Yaici, doyen de la faculté des sciences économiques de Béjaïa et expert à l'ANDRU, affirme :
Photos : Riad Entretien réalisé par Salah Benreguia La Tribune : Des journées d'étude sur le rôle des Etats et leur intervention dans les économies nationales sont organisées. On parle de la responsabilité de certains pays dans cette crise financière mondiale. Pouvez-vous nous dire où se situe cette responsabilité ? Farid Yaici : Je pense franchement que le gouvernement fédéral américain a une grande responsabilité dans l'avènement de cette crise. Le principal reproche qu'on peut lui faire est qu'il ne l'a pas vue venir, ou qu'il n'a pas voulu la voir venir, obnubilé qu'il était par la guerre en Irak et, à un degré moindre, par la guerre en Afghanistan. Sa politique absolue de «laisser faire» a entraîné des dérives de la part des ménages qui se sont surendettés, des banques qui ont pris trop de risques, des agences de notation qui se sont trompées dans leurs appréciations, des compagnies d'assurances qui n'ont rien vu des risques encourus, des investisseurs institutionnels attirés par des compléments de revenus, des spéculateurs qui ont pratiquement joué à la loterie, etc. Tous les acteurs concernés ont été entraînés dans une espèce de rêve américain (american dream) où l'on ne voyait que l'enrichissement et la réussite au bout. La Federal Reserve a, de son côté, très mal géré l'évolution de ses taux d'intérêt directeurs. Elle a été l'élément déclencheur de cette crise. Quant aux autres Etats concernés, ils ont suivi, pour la plupart, la même politique libérale américaine. Mais, ce qui l'a fait propager rapidement à tous les continents, c'est la globalisation financière, traduite sur le terrain par l'interconnexion des marchés financiers. Justement parlons des Etats. A quel autre niveau peut intervenir chacun d'entre eux pour en finir définitivement avec cette crise, nonobstant les plans de sauvetage lancés ici et là ? Comme signalé auparavant, lorsque j'ai parlé des décisions prises par le G20 lors du sommet de novembre 2008, la principale intervention de l'Etat concerne la relance économique par la politique budgétaire, c'est-à-dire par le biais du déficit public. Les plans de sauvetage annoncés ici et là, et qui consistent en l'injection de sommes faramineuses dans l'économie, entrent justement dans le cadre de cette politique. Ils ont tous pour but de redonner confiance aux acteurs concernés par la crise en palliant ainsi à la pénurie de liquidités, et donc de crédits, laquelle a été aggravée par une crise de confiance des banques et une méfiance réciproque. Il faut, cependant, faire attention à ce que les déficits publics ne se creusent pas trop et qu'ils ne déstabilisent pas les économies nationales concernées. Quelle serait la politique (financière) qu'il faudrait adopter, notamment à moyen et long terme, et quels sont les secteurs sur lesquels il faut consacrer beaucoup d'énergie, de moyens et de considération, pour mettre sur les rails (les vrais) l'économie mondiale ? Il existe, dans le monde, deux types de financement de l'économie : le financement indirect, caractéristique des économies d'endettement où le financement bancaire est dominant et le financement direct, caractéristique des économies de marché où le financement par le marché financier est dominant. La finance directe fait gagner beaucoup de temps et favorise les affaires puisqu'elle permet aux investisseurs de lever immédiatement et directement des fonds auprès des épargnants. Sur le marché financier interviennent également énormément de spéculateurs. Ces dernières années, avec la gamme de produits dérivés qui y sont développés, les marchés financiers sont entrés dans une sophistication telle que les opérations qui y sont réalisées nécessitent des modèles de plus en plus élaborés dont seuls les initiés et les professionnels ont le secret. Cependant, il est indéniable que les marchés financiers ont contribué grandement à l'essor des économies développées et, depuis quelques années, à celui des économies émergentes. Il reste que dans les économies en développement, le financement bancaire est encore dominant. C'est le cas de l'Algérie. Le modèle de financement caractérisé par l'économie de marché financier est et restera le modèle idoine qui permettra la poursuite de l'essor de l'économie mondiale à moyen et long terme. Ce qu'il faut combattre, ce sont les aspects qui ont contribué au déclenchement de la crise financière internationale comme la trop grande prise de risque de la part des banques dans l'octroi de crédits, le transfert et la diffusion des risques à travers les marchés de produits dérivés et le manque, voire l'absence, de transparence de la part des banques, dissimulant ainsi des pratiques anormales. Il faut aussi surveiller les centres «offshore» et les paradis fiscaux. Toutes ces actions peuvent être menées à travers le renforcement des règles prudentielles des banques et des établissements financiers, une meilleure règlementation des marchés financiers, une harmonisation des normes comptables, une meilleure transparence et l'élargissement des pouvoirs des institutions internationales. Quelles sont les incidences positives et négatives de la crise financière mondiale sur l'Algérie ? La crise financière internationale, en tant que telle, n'a pas affecté l'économie algérienne, dans une première phase, en raison de la déconnexion de son système financier des marchés financiers internationaux. Le marché financier algérien demeure embryonnaire et le système bancaire algérien reste encore dominé par les banques publiques à hauteur environ de 90%, tant en termes d'actifs que de crédits à l'économie. Paradoxalement, le retard du système financier algérien l'a protégé de la contagion de la crise financière internationale. Cependant, la dégradation de l'économie mondiale a rattrapé l'Algérie en quelque sorte. En effet, le ralentissement de celle-ci a entraîné une baisse de la demande d'énergie, entre autres, et donc de ses prix. Les hydrocarbures ne sont pas en reste. Les prix du pétrole brut, qui ont dépassé les 140 dollars le baril en juillet 2008, sont descendus au-dessous des 40 dollars aujourd'hui. Comme les recettes d'exportation de l'Algérie proviennent à hauteur de 98% d'exportation des hydrocarbures et que les prix du gaz naturel sont indexés sur ceux du pétrole brut, l'évolution dans le même sens se réalisant avec six mois de retard, on peut déduire facilement les conséquences que cela peut avoir sur l'économie algérienne. A titre d'illustration, une baisse de 50% des prix des hydrocarbures diminuerait de moitié les recettes d'exportation du pays, d'un tiers les recettes budgétaires de l'Etat et d'un quart le produit intérieur brut de l'Algérie. Bien évidemment, l'Algérie dispose, à fin novembre 2008, de réserves de changes considérables (138,5 milliards de dollars), d'un fonds de régulation des recettes confortable (68 milliards de dollars) et d'un excès de liquidités des banques important (39 milliards de dollars), tandis que la dette extérieure du pays n'est plus que de 4 milliards de dollars. Mais, si la crise économique mondiale venait à perdurer, tous ces excédents financiers vont fondre et l'économie algérienne pourrait entrer, à son tour, en crise si le manque à gagner, dû à la baisse des recettes d'exportation d'hydrocarbures, n'est pas compensé par un accroissement corrélatif de revenus hors hydrocarbures. Posséder des réserves de changes et un fonds de régulation des recettes suffit-il à l'Algérie pour faire face aux différentes crises qui peuvent surgir à tout moment au niveau international ? Avoir un matelas financier confortable, permet de «souffler» un peu et de laisser le temps à l'économie du pays de se redéployer. Il faut donc que cette crise soit l'occasion pour les pouvoirs publics de réviser leur politique, d'explorer d'autres possibilités et d'utiliser pleinement les marges de croissance qui existent dans les secteurs autres que les hydrocarbures. L'Etat algérien, qui a su jusque-là protégé l'économie du pays de la crise financière internationale, par sa gestion prudente, ces dix dernières années, des ressources financières du pays, doit aussi se consolider, non pas en devenant interventionniste à tout va, mais en adoptant un rôle d'accompagnateur et de développeur. Il ne se passe pas une semaine sans qu'un responsable rassure les Algériens que notre pays possède les moyens financiers pour faire face à cette crise. Est-ce que les responsables de l'Etat ont réellement pris en considération les conséquences de cette crise sur l'économie réelle ? Il est certain que la gestion prudente des finances du pays, depuis au moins une décennie, a fait qu'aujourd'hui elle possède un matelas financier confortable qui peut lui permettre d'affronter les conséquences du ralentissement économique mondial sur notre économie pendant au moins deux ans. Il est vrai aussi que l'Algérie a été échaudée par la grave crise économique qu'elle a vécue à la suite de la baisse drastique des prix des hydrocarbures, en 1986, et qui s'est prolongée jusqu'à la fin des années 1990. Nous ne devons pas oublier enfin les années de vaches maigres ayant conduit le pays à rééchelonner sa dette extérieure et à suivre un programme d'ajustement structurel sous la houlette du Fonds monétaire international, dans un contexte national sécuritaire dégradé. Le fait est que la constitution de ce matelas financier confortable a été possible grâce à l'embellie des cours du pétrole brut sur le marché pétrolier international pendant au moins dix ans et que ce confort relatif nous a fait oublier de diversifier notre économie et nos exportations. Pour le reste, je crois que l'organisation de cette rencontre internationale témoigne de la prise de conscience des pouvoirs publics des dangers que pourrait constituer un trop plein d'optimisme. La crise financière mondiale a fait et continue de faire beaucoup de dégâts. Plusieurs experts en la matière disent que le glas a sonné pour l'actuel système financier mondial. Partagez-vous cet avis ? Absolument pas ! Mais, pour répondre correctement à votre question, il faut d'abord, comprendre la genèse et l'évolution de la crise financière internationale, ensuite analyser la réponse exprimée par la communauté internationale, notamment à travers les conclusions du sommet du G20, réuni le 15 novembre 2008 à Washington. Après les attentats du 11 septembre 2001, les Etats-Unis allaient sombrer dans la récession économique. La Federal Reserve (Banque centrale américaine), dans le but de relancer la demande de crédits et, par voie de conséquence, les investissements américains, avait alors entrepris une politique de baisse de ses taux d'intérêt directeurs jusqu'à ce qu'ils atteignent 1% en 2003. Les banques, qui accordaient des crédits immobiliers hypothécaires sur 27 ans, avec des taux d'intérêt fixes les deux premières années et variables les 25 années suivantes, indexés sur les taux directeurs de la «Fed», ont répercuté cette baisse sur leur clientèle. Il y eut, subséquemment, un engouement pour ce type de crédits, particulièrement de la part des catégories les plus fragiles de la population américaine pour lesquelles est appliquée une prime de risque élevée (subprime). Le marché de l'immobilier était, pendant ce temps, de type cyclique progressif et ce, depuis 1945. Et, les banques américaines espéraient qu'en cas de défaillance des emprunteurs, elles mettraient en jeu les hypothèques pour récupérer leur argent et réaliseraient même une plus value. Au milieu de l'année 2004, la banque centrale américaine, voyant l'inflation menacer l'économie américaine, avait commencé à faire remonter ses taux directeurs jusqu'à ce qu'ils atteignent 5,25% vers le milieu de l'année 2006. Et, les banques ont répercuté cette hausse sur leurs emprunteurs, celle-ci venant s'ajouter aux primes de risque déjà trop élevées. En 2006, la mise en jeu des hypothèques a touché des centaines de milliers, voire des millions de ménages américains, faisant ainsi chuter considérablement les prix de l'immobilier. En été 2007, la crise des crédits hypothécaires à risque (mortgage subprimes crisis) éclate. Cependant, les banques avaient titrisé leurs créances et vendu les titres sur les marchés de produits dérivés à des investisseurs institutionnels, via des fonds communs de créances (Special Purpose Vehicle), ce qui s'est avéré, par la suite, être un facteur de propagation de la crise aux marchés financiers. De plus, comme ces titres avaient été découpés en tranches et que seuls les bons avaient été cédés sur les marchés financiers après rehaussement, les mauvais ayant été vendus aux filiales des banques dans les centres offshore et les paradis fiscaux, ils avaient obtenu la notation AAA de la part des agences de rating et avaient été assurés avec une bonne police d'assurance. Ainsi, l'éclatement de la bulle immobilière et la crise des subprimes qui s'en est suivie ont occasionné des pertes d'actifs considérables aux banques, aux compagnies d'assurance et aux investisseurs institutionnels ainsi que l'effondrement des marchés financiers. Du fait de la globalisation financière, la crise s'est propagée à tous les continents. Au total, l'origine de la crise financière internationale peut s'expliquer par trois causes principales : une trop grande prise de risque de la part des banques dans l'octroi des crédits, un transfert et une diffusion des risques à travers les marchés de produits dérivés et, enfin, un manque, voire une absence, de transparence de la part des banques, dissimulant des pratiques anormales. De ce fait, les traitements de la crise financière internationale ne peuvent concerner, dans l'esprit des tenants de l'économie de marché, et donc de leurs gouvernements, que les aspects ayant été à l'origine de la crise. Ils ont été prônés en trois étapes : d'abord au niveau des pays concernés, individuellement, ensuite, à un niveau plus large, par petits groupes de pays ou d'une union (Union européenne) et enfin, à un niveau global, par les pays du G20. Parmi les remèdes préconisés, ceux du G20 se déclinent en deux engagements : un engagement consistant à relancer l'économie mondiale par des mesures immédiates et une promesse d'engagement se définissant par cinq champs d'action sur lesquels doivent plancher les ministres des Finances du G20 et faire des propositions avant le 31 mars 2009, le second sommet du G20 devant se tenir en avril 2009 à Londres. L'engagement immédiat consiste en des mesures budgétaires (relance économique par la politique budgétaire) et des mesures monétaires (relance économique par la baisse des taux d'intérêt directeurs des banques centrales et, par voie de conséquence, par la baisse des taux d'intérêt des banques). Les cinq champs du second engagement consistent en la revue des aspects de la régulation qui exacerbent les crises, l'harmonisation des normes comptables, la transparence des marchés de produits dérivés, la révision de la rémunération des dirigeants des banques et, enfin, la réforme des institutions financières internationales. Comme vous pouvez le constater, à travers ce que je viens d'expliquer, à l'exception d'une réforme attendue des institutions financières internationales au niveau de l'élargissement de leurs ressources et dont les accroissements pourraient provenir des pays émergents, et, par voie de conséquence, l'octroi d'un nombre plus important de voix, dans les délibérations, à ces pays, les autres champs d'action ne concerneront que le traitement des aspects techniques de la régulation qui n'ont pas correctement fonctionné.