Les prix du baril ont franchi la semaine dernière à New York les 90 dollars pour la première fois depuis octobre 2008. Le Dr Mourad Preure, expert international dans le domaine du pétrole, président du cabinet Emergy et professeur de stratégie et de géopolitique pense que «l'Algérie ne peut plus se suffire à considérer ses équilibres à l'aune des évolutions erratiques du marché pétrolier». Dans cet entretien, il recommande de «déconnecter la croissance économique nationale du marché pétrolier qui est réellement un cheval fou». L'expert pense que si «les prix sont restés relativement fermes, c'est parce que le marché a intégré une anticipation d'épuisement des réserves mondiales et donc un besoin d'investissements pour les renouveler». Le Temps d'Algérie : Les cours du pétrole ont enregistré une nette progression depuis le mois d'octobre et ont même dépassé les 90 dollars ces derniers jours. Cette évolution serait-elle conjoncturelle ou s'inscrit-elle, selon vous, dans la durée ? Mourad Preure : Les prix du brut ont, en effet, franchi le seuil des 90 dollars le baril. Il me semble fluctuer autour d'un pivot de 80 dollars le baril depuis près d'une année. Les évolutions à la hausse ou à la baisse autour de ce pivot peuvent être de divers ordres. Ici, nous voyons les effets conjugués de plusieurs paramètres, dont la demande des pays émergents à leur tête la Chine, l'hiver particulièrement froid que nous connaissons et aussi l'effet de balancier entre prix du pétrole et cours du dollar lorsque l'un baisse, l'autre augmente. Le dollar se déprécie significativement par rapport à l'euro. Cependant, il faut bien comprendre que si le pétrole est resté aux alentours des 80 dollars, fluctuant à la hausse et à la baisse, alors que du fait de la crise économique, la demande est très en deçà de l'offre, alors que les capacités non utilisées de l'OPEC, les spare capacities, sont de l'ordre de 7 Mbj, niveau historique record. Si contrairement à la bonne logique économique, les prix sont restés relativement fermes, c'est parce que le marché a intégré une anticipation d'épuisement des réserves mondiales et donc un besoin d'investissements pour les renouveler. Mon avis est que le seuil des 100 dollars le baril atteint il y a deux ans est structurel. Il correspond à la réalité économique qui veut que des investissements très importants doivent être faits pour éviter un supply crunch, un choc d'offre vers la fin de la décennie. Cependant, nous en sommes loin car nous avons deux tendances qui s'opposent. Une tendance de court terme et qui tire les prix à la baisse. Cette tendance est due au fait que la crise économique mondiale dont on sait qu'on n'est pas encore venu à bout, tire la demande vers le bas, alors que sur le long terme, les prix sont tirés vers le haut par le fait que l'on a besoin d'investir pour renouveler les réserves. Songez qu'en 2030, la demande mondiale serait de l'ordre de 110 à 115 Mbj contre à peu près 87 Mbj anticipés en 2011. Il faut signaler que l'OPEC comme l'AIE ont tous deux revu à la hausse la croissance de la demande pour cette année et 2011. Même si pour ma part je reste plus prudent car je pense que la crise économique peut connaître de nouveaux développements, notamment aux Etats-Unis et en Europe. La crise de la dette souveraine en Europe et les derniers chiffres de l'économie américaine ne sont pas rassurants. D'importants pays comme les Etats-Unis, la France et l'Espagne peuvent voir leur situation se détériorer significativement. Cependant, la marge de manœuvre de la demande reste importante avec la vigueur de la croissance chinoise notamment. Quel sera l'impact de la hausse des prix du pétrole sur l'Algérie ? L'Algérie ne peut que tirer avantage de la hausse des prix, mais il faut tenir compte du fait que les prix des matières premières s'envolent et le pouvoir d'achat du dollar se détériore. Donc on reprend d'une main ce que l'on donne de l'autre. Je pense que l'Algérie ne peut plus se suffire à considérer ses équilibres à l'aune des évolutions erratiques du marché pétrolier. La crise économique mondiale étant multidimensionnelle, sa conclusion ne se fera pas de manière simple ni à court terme. De violentes répliques sont à attendre. Les marchés financiers qui sont l'épicentre de cette crise sont fortement interconnectés avec les marchés pétroliers et leur transmettent leurs turbulences. Il nous faut déconnecter la croissance économique nationale du marché pétrolier qui est réellement un cheval fou. Pour ajouter un mot à votre question précédente, je ne pense pas que ce rebond des prix pétroliers soit robuste. Il peut très bien être de courte durée et l'année 2011 pourrait être pénible à l'OPEC qui n'a pas encore trouvé une discipline minimum et qui de surcroît a d'importantes capacités inutilisées. Défendre les prix peut très bien devenir très difficile. Les pays membres de l'Opep qui se sont réunis samedi à Quito ont décidé de maintenir les quotas actuels. Quel impact aura cette décision sur le marché ? Je pense que le marché a déjà intégré cette décision de l'OPEC. Il n'est pas possible pour cette organisation sauf à être suicidaire d'augmenter sa production alors que les dépassements de quotas sont importants par ses membres. La discipline n'est assurée qu'à 60%. D'autre part, en novembre 1997, l'OPEC avait sur la foi des statistiques augmenté sa production. Il y a eu ensuite la crise asiatique et un hiver doux et les prix ont plongé à 8 dollars le baril. Depuis, l'OPEC se méfie. Ce que l'OPEC a de mieux à faire est de faire respecter la discipline entre ses membres car l'année qui vient, elle en aura besoin.